ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 415-416, 2008 3 Disparités territoriales : effets et
ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 415-416, 2008 3 Disparités territoriales : effets et causes des comportements des agents D oit-on craindre que des « fractures spatiales » soient induites par les transformations de l’économie ? Dès 1967, en termes plus mesurés – époque oblige – le chef du ser- vice régional et urbain du Commissariat Général du Plan considérait que « les inégalités importantes et durables entre régions peuvent compromettre le succès d’une politique de croissance, en aggravant les déséquilibres économiques et les tensions sociales » (Viot, 1967). La politique d’aménagement du territoire conçue à cette époque vise à rapprocher les niveaux de revenu et les potentiels de production entre les territoires. Ce diagnostic et cet objectif restent très présents dans le débat public actuel. Face à ce point de vue, des représentations différentes ont pris de la force depuis une vingtaine d’années. Elles mon- trent les territoires comme impliqués chacun à sa manière dans le développement d’en- semble, qu’ils soient d’ailleurs en complémentarité ou en concurrence pour attirer les activités et les hommes. Dans cette perspective, « il n’existe plus d’argument rigoureux en faveur d’une géographie volontariste s’opposant aux forces du marché » (Gérard- Varet et Mougeot, 2001). Parler de « disparités territoriales », plutôt que d’inégalités, permet de mettre temporairement entre parenthèses ce débat de fond, pour le temps de l’observation et de l’analyse, quitte à le retrouver entier au moment des interprétations et des préconisations. Ce numéro d’ Économie et Statistique rassemble six études sur le marché du travail, les revenus, les migrations et les impôts locaux. Elles contribuent à améliorer notre connais- sance des disparités entre territoires en analysant comment elles se forment, quels sont leurs effets et comment la puissance publique peut agir sur elles. Des disparités territoriales durables1 En France métropolitaine, on observe la persistance de disparités géographiques sur des variables fondamentales de l’économie. Ainsi, les disparités de taux de chômage entre les 22 régions métropolitaines sont toujours importantes (entre 1982 et 2007, l’écart entre minimum et maximum a toujours été supérieur à 4 points, alors que le taux national était parfois proche de 7 %) et leur carte présente des aspects remarquablement stables depuis 25 ans (1) . On rend compte de plus de 85 % de la variance des taux de chômage 1. Voir dans ce numéro la carte par zone d’emploi fi n 2004 dans l’article de Blanc et Hild, page 48. ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 415-416, 2008 4 régionaux de 1982 à 2007 en utilisant simplement un effet fi xe régional, une fois déduite la fl uctuation conjoncturelle du taux national. Avant de chercher à expliquer ces disparités, il est prudent de multiplier les observa- tions de variables du même champ (2) . Les données couramment disponibles permettent de faire des observations semblables sur les créations nettes d’emploi . Les disparités régionales des taux annuels de création nette sont moins stables que celles des taux de chômage, mais elles le sont encore passablement : 40 % de la variance de l’écart région- métropole est expliquée par un effet fi xe régional sur la période 1990-2006. La carte de ces disparités n’est pas le négatif de celle du chômage : par exemple, les deux régions qui ont le taux de chômage le plus élevé, Nord-Pas-de-Calais et Languedoc-Roussillon, ont des positions très différentes quant aux variations nettes d’emploi : l’une est en posi- tion médiane, l’autre est en tête de peloton pour la création d’emplois ! 2 Malheureusement, en France, les données manquent pour réaliser des constats annuels similaires en ce qui concerne les migrations d’actifs (3) . Seuls sont pour l’instant dis- ponibles des soldes et des fl ux sur des périodes intercensitaires de plusieurs années, plus diffi ciles à interpréter (cf., à ce propos, Baccaïni, 2001). Contrairement aux études traitant des États-Unis, celles portant sur la France ne peuvent pas, jusqu’à présent, séparer convenablement les variations transitoires de ces fl ux migratoires de leurs carac- téristiques permanentes. Les fl ux d’actifs du Nord et de l’Est vers le Sud et l’Ouest sem- blent importants et réguliers depuis 30 ans, tandis que ceux concernant l’Île-de-France seraient plus fl uctuants. 3 Les disparités territoriales concernant les salaires du secteur privé peuvent être étudiées en détail grâce aux sources administratives. La hiérarchie de ces disparités reste très stable, l’Île-de-France dominant nettement les autres régions continentales. Cette hié- rarchie renvoie à celles des disparités de qualifi cation (4) , de taille des établissements, et aussi de prix à la consommation ; à nouveau, on ne constate pas de relation simple avec les disparités de chômage. 4 Des constatations similaires peuvent être faites sur beaucoup d’autres pays développés. L ’intensité des disparités régionales sur le marché du travail en France se situe en posi- tion médiane parmi les pays de l’OCDE (OECD, 2005). Depuis deux décennies, les analyses nationales du marché du travail se sont développées en prenant en compte non plus seulement les effectifs (« stocks ») d’actifs, mais aussi les fl ux de transition entre les diverses situations individuelles par rapport au travail : non-activité, chômage et emploi. Jusqu’à présent, ces données de fl ux étaient presque absentes des analyses régionales ou locales. Emmanuel Duguet, Antoine Goujard et Yannick L ’Horty d’une part, Michel Blanc et François Hild d’autre part, nous présentent les disparités territoriales des taux de retour à l’emploi . Les premiers retracent, à l’aide de sources administratives, le devenir de demandeurs d’emploi enregistrés à l’ANPE, ou de bénéfi ciaires du RMI. Ils estiment des taux de retour à l’emploi, ou, ce qui revient au même, des durées d’attente entre la date 2. C’est désormais plus facile pour les chercheurs, grâce à l’espace « Statistiques locales » créé en 2008 sur le site internet de l’Insee (Insee, 2008). 3. L ’utilisation des enquêtes annuelles de recensement et/ou de sources administratives pourrait permettre de combler cette lacune à l’avenir. 4. Voir Combes et al. (2003). ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 415-416, 2008 5 de début de la période de chômage et la date de reprise d’emploi. Grâce à ces sources administratives exhaustives (5) , ils peuvent faire ces estimations à des niveaux géogra- phiques très fi ns. Les résultats sont illustrés par des cartes originales, qu’on peut utiliser au premier degré comme retraçant un paramètre du « vécu collectif local ». Ainsi, un chômeur attend, en moyenne, nettement moins longtemps avant de retrouver un emploi en Rhône-Alpes qu’en Normandie. Les cartes montrent la superposition d’une grande diversité « micro-locale » et de régularités « régionales » (6) . Les auteurs pointent que le retour à l’emploi est en moyenne le plus rapide à l’est de Lyon et dans le sillon Alpin, à l’ouest de Rennes, ou entre la Loire-Atlantique et la Vendée ; et qu’il est au contraire plus lent au voisinage de la frontière belge, en région parisienne et dans la vallée de la Seine en aval de Paris, ainsi que sur la façade méditerranéenne de Narbonne à Marseille. La dispersion spatiale des taux de sortie du RMI est plus grande que celle des taux de sortie du chômage inscrit à l’ANPE : mais la plupart des grandes zones se retrouvent dans les deux cartes dans la même position relative. La précision de cette géographie est un apport précieux de cette étude. 5 6 Attention toutefois aux pièges que les cartes choroplèthes tendent aux lecteurs. Il fau- drait pouvoir pondérer les impressions visuelles par l’importance des dénominateurs, et non par la surface des unités. Des « zones géographiques homogènes » apparentes peu- vent être constituées de territoires très peu denses ; il est indispensable d’examiner de très près ce qui prévaut dans les zones très urbanisées, et notamment en Île-de-France. Dans une population où les effectifs restent constants, le taux de chômage est le produit du taux d’entrée en chômage (qui porte sur la population totale) par la durée du chômage (inverse du taux de retour à l’emploi des chômeurs). La présentation des disparités spa- tiales des taux d’entrée en chômage reste à faire. La carte des taux de retour à l’emploi n’est pas le négatif de la carte des taux de chômage – sans en être très loin. En effet, les taux d’entrée en chômage présentent eux aussi des disparités spatiales, qu’il serait inté- ressant d’analyser, en lien avec la diversité des tissus économiques et des créations nettes d’emploi. À défaut de pouvoir établir directement cette information, Michel Blanc et François Hild résument les disparités des taux de chômage et des taux de retour à l’em- ploi en une typologie des zones d’emploi : ils attirent ainsi l’attention sur des situations locales apparemment paradoxales, dans lesquelles ces deux indicateurs, au lieu d’être en opposition comme c’est généralement le cas, sont en concordance. Deux cas symétriques sont mis en lumière. D’une part, les zones touristiques présentent des taux de chômage et des taux de retour à l’emploi forts ; d’autre part, certaines zones peu denses ont au contraire des taux de chômage et des taux de retour à l’emploi particulièrement faibles. Ce que uploads/Geographie/ disparites-territoriales-effets-et-causes-des-comportements-des-agents.pdf
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- Publié le Jul 05, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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