HAL Id: hal-00596417 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00596417 Submitted on
HAL Id: hal-00596417 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00596417 Submitted on 27 May 2011 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Ecrire le désert Véronique Magri-Mourgues To cite this version: Véronique Magri-Mourgues. Ecrire le désert. Cahiers de Narratologie, Laboratoire Interdisciplinaire Récits Cultures et Sociétés - LIRCES, 1997, 8, pp.249-259. hal-00596417 ÉCRIRE LE DÉSERT « Écrire le désert » pose la question du transfert d'un système de signes à l'autre, du système de la perception visuelle au système du verbal, de l'écrit en particulier. Écrire l'espace quel qu'il soit met en jeu un processus de traduction. Cette question inaugurale est posée avec d'autant plus d'acuité si on prend pour objet d'étude le désert, lieu par excellence de l'informe et du vide. Écrire le désert paraît annoncer une gageure pour l'écrivain qui s'y essaie et notamment pour Eugène Fromentin dans l'aeuvre choisie, Un Été dans le Sahara. La perception première du désert implique une attitude réceptive d'un espace non structuré, archétype de l'étendue vide. La description du désert, elle, peut s'entendre comme séquence descriptive qui a pour motif ou pour thème le désert et comme acte1 descriptif à visée pragmatique, faire connaître le désert. Pour informer l'allocutaire de l'image du désert tel qu'il l'a vu lui-même, l'écrivain doit donner forme au désert donc à l'informe ; pour dire le vide du désert, il doit remplir la page de signes. Dans quelle mesure peut-il parvenir à restituer au lecteur les prédicats types de son objet d'étude ? Le paradoxe qui sous-tend cette question se dépliera au gré de couples apparemment antinomiques, tout au long d'une oxymore réitérée : l'espace-temps d'abord, le vide opposé à la plénitude ensuite, enfin un jeu sur la formation, l'information et la déformation, tout en maintenant constamment la tension entre le voyage référentiel et le récit de voyage rédigé par Fromentin après son retour en France. 1. Le désert comme élément rythmique Un Été dans le Sahara2, paru en 1857, suit l'itinéraire du troisième voyage en Algérie de Fromentin (de mai à juillet 1853) qui apparaît tendu vers le pays de la soif, le désert du Sahara donné comme destination du voyage et comme but du récit lui-même qui ménage une progression dramatique. 1.1. Rythme de l'espace référentiel Le voyage impose « l'ordre de marche » (p. 38) du convoi où se trouve Fromentin comme structure de l'espace référentiel. C'est l'itinéraire des voyageurs qui donne forme à l'espace, la 1 La notion d’acte ajoute d’emblée la dimension temporelle au désert perçu d’abord comme espace puisque tout acte est situé par rapport à des coordonnées spatio-temporelles. 2 Eugène Fromentin, Un Été dans le Sahara (1857), Paris, Gallimard, 1984. Les références des citations renvoient à cette édition ; la pagination est donnée entre parenthèses. contiguïté spatiale des divers lieux traversés déterminant leur itinéraire. Les sillages des voyageurs tracent une grille surimposée à l'immensité « non lignée » du désert, par conséquent illisible a priori. Les « traces de caravanes » dessinent des routes susceptibles de guider les voyageurs ultérieurs en forçant la nature à s'adapter à leurs itinéraires. Quand on rencontre une touffe d'alfa, de chih ou de k'tâf, on la tourne ; l'herbe continue de pousser ; et c'est le chemin qui fait un circuit, grâce à l'imperturbable régularité des voyageurs. Je m'amusais à reconnaître la large empreinte des chameaux, le pied des chevaux, celui des hommes. De loin en loin, nous retrouvions la marque de roues. (p. 165) La durée de la marche des voyageurs est l'unité de mesure des distances du référent, comme premier signe de l'appropriation de l'espace parcouru. Nous apercevions Tadjemout, à trois heures de marche encore. (p. 150) Jamais montagne ne m'avait paru si longue ; il y avait trois heures que je marchais devant elle sans avoir l'air d'avancer, et, bien que son extrémité ne me semblât pas éloignée, je n'avais pas encore atteint le quart de son étendue. (p. 75) Les réminiscences instaurent une dimension temporelle d'un autre ordre qu'on pourrait qualifier de verticale. La mise en relation du voyage actuel avec d'autres visions antérieures opère une plongée dans le temps. Un Été dans le Sahara s'ouvre en effet sur une réminiscence qui fait figure de « syllepse temporelle », définie par Gérard Genette3, comme un groupement anachronique régi par une parenté d'ordre spatial ou thématique. Le désert évoqué à deux moments éloignés s'inscrit ainsi dans le parcours cyclique du temps. La syllepse est d'autant plus remarquable lorsque l'écrivain plonge dans la mémoire collective quand il affame contempler la Bible « toute réelle encore et dans son effigie vivante, en Orient » (p. 47). Les voyageurs imposent une grille de lecture au désert en l'inscrivant dans une chaîne temporelle par leur déplacement même. 1.2. Rythme de l'espace de l'écrit De même, en reconstituant son itinéraire réel par l'écrit, l'énonciateur fait des étapes de son parcours la motivation même de son récit de voyage ; les chapitres de Un Été dans le Sahara 3 Gérard Genette (1972), Figures III, Paris, Seuil, p. 21. découpent le récit à l'instar du découpage de l'espace réel par les étapes du voyage. Trois chapitres se succèdent (De Medeah à El Aghouat, El Aghouat, Tadjemout - Aïn-Mahdy). Les noms des villes et villages traversés qui signalent parfois le lieu d'où sont écrites les lettres de voyage permettent de reconstruire l'itinéraire comme un chapelet de toponymes (El Gouda, Boghari, D'jelfa, Ham'ra, Sidi Makhelouf). La description du désert qui se fait ainsi par touches successives impose le rythme du voyage comme celui du récit de voyage. Le désert devient un maillon de la chaîne narrative. L'écrivain a soin d'instaurer une progression dramatique de son récit, notée par des locutions adverbiales comme « tout à coup » (p. 28) marquant l'irruption d'un événement qui peut être logiquement associé au passé simple, temps de l'incidence. Enfin, le terrain s'abaissa, et devant moi, mais fort loin encore, je vis apparaître au-dessus d'une plaine frappée de lumière, d'abord, un monticule isolé de rochers blancs. (p. 75) 1.3. Carrefours lexicaux L'itinéraire référentiel et narratif s'entrecroisent à la faveur de carrefours lexicaux ménagés par l'écrivain. Certaines métaphores spatiales sont ainsi remotivées par la spatialité inhérente au récit de voyage : Mais n'anticipons pas ; j'y reviendrai. Nous traverserons ensemble toute cette vallée du Chéliff. (p. 28) Maintenant, je reprends ma route. (p. 49) Cette dernière formule intervient après une réflexion qui fait figure de digression : S'agit-il de la route au sens propre ou de la route discursive ? Autrement dit, la locution verbale gardet- elle son sens propre de verbe de mouvement ou se charge-telle d'une valeur discursive, tissant la trame narrative ? Le désert découvert progressivement par le voyageur est un élément structurel du parcours réel comme de la trame narrative, un élément qui donne son rythme à ces deux itinéraires. Mais lui-même espace non structuré devient un espace rythmé quand il se trouve transposé dans l'ordre du verbal. 2.Le désert comme espace-texte rythmé 2.1. Structure temporelle Passons rapidement sur le rythme que peuvent donner les notations spatiales d'ordre topologique comme « derrière, audelà, d'un côté, de l'autre » (p. 40) pour nous intéresser à la structuration donnée par des liaisons temporelles qui dynamisent le désert. Un parcours est tracé au niveau microstructurel, une durée est inscrite dans la séquence descriptive même. D'abord, droit au plein sud, les Beni-Mzab, [...] puis les Chamba, colporteurs et marchands, voisins du Touat ; puis le Touat, immense archipel saharien, fertile, arrosé, populeux, qui confine aux Touareks ; puis les Touareks, [...] puis le pays nègre dont on n'entrevoit que le bord ; et puis quoi ? plus rien de distinct, des distances qu'on ignore, une incertitude, une énigme. J'ai devant moi le commencement de cette énigme, et le spectacle est étrange sous ce clair soleil de midi. C'est ici que je voudrais voir le sphinx égyptien. (p. 127) La perte de repères spatiaux entraîne la perte des repères temporels, la plongée dans le temps de l'histoire mythique. Une même structuration temporelle est à l'œuvre lorsque l'énonciateur emploie le terme «devenir» qui dénote une transformation du paysage alors que c'est seulement le regard du spectateur comme la parole du rapporteur qui s'inscrivent dans la durée. Quant au Chéliff, qui, quarante lieues plus avant dans l'ouest, devient un beau fleuve pacifique. (p. 36) 2.2.Figures de l'intermittence Elles sont le parangon de la structuration subjective puisque tout phénomène de récurrence n'est perceptible que par une conscience réceptrice. L'intermittence rythme les descriptions du désert, qu'il s'agisse de sensations auditives liées à une dimension temporelle, ou de sensations visuelles. Par moments, le cri sonore d'un merle éclatait tout près de nous. (p. 20) Plus intéressantes uploads/Geographie/ ecrire-le-da-sert.pdf
Documents similaires










-
42
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 01, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1177MB