Équipe Égypte Nilotique et Méditerranéenne UMR 5140 « Archéologie des Sociétés

Équipe Égypte Nilotique et Méditerranéenne UMR 5140 « Archéologie des Sociétés Méditerranéennes » Cnrs – Université Paul Valéry (Montpellier III) L’an 6 de Taharqa, l’année des « merveilles » « Une chose pareille n’avait pas été vue depuis le temps des anciens […] » (Kawa V, l. 5) Hugues Perdriaud Citer cet article : H. Perdriaud, « L’an 6 de Taharqa, l’année des “merveilles”. “Une chose pareille n’avait pas été vue depuis le temps des anciens […]” (Kawa V, l. 5) », ENiM 12, 2019, p. 281-298. ENiM – Une revue d’égyptologie sur internet est librement téléchargeable depuis le site internet de l’équipe « Égypte nilotique et méditerranéenne » de l’UMR 5140, « Archéologie des sociétés méditerranéennes » : http://www.enim-egyptologie.fr L’an 6 de Taharqa, l’année des « merveilles » 1 « Une chose pareille n’avait pas été vue depuis le temps des anciens […] » (Kawa V, l. 5) Hugues Perdriaud UR LES CINQ STÈLES contemporaines du règne de Taharqa découvertes à Kawa, au Soudan, en 1931 par l’équipe du Professeur Griffith 2, dans la cour du grand temple du site, baptisé « temple T », trois font explicitement référence à la sixième année du règne du souverain koushite. Kawa IV 3 et V 4 [fig. 1-2] mentionnent ce millésime dans la datation de leur récit historique, tandis que l’inventaire de Kawa III 5 indique quelques éléments de dotation supplémentaires destinés aux fondations anciennes du domaine de Gématon 6. Si l’on s’appuie plus particulièrement sur le contenu des stèles IV et V, on constate que cette année a vu se succéder une série d’événements notables dans un règne qui débute, de nature à marquer ceux qui les ont vécus et, au-delà, le pays tout entier afin de servir l’image d’un roi légitime et efficient. Une crue exceptionnelle, tout d’abord, dont l’ampleur qui aurait pu générer de nombreux dégâts 7 a paisiblement transformé le paysage, assurant aux terres de futures récoltes importantes et éloignant durablement les fléaux agricoles que redoutaient les paysans de la région (nuisibles et insectes). L’avancée significative, ensuite, des travaux de restauration conduits dans le sanctuaire que le souverain avait initiés dès son accession au trône, avec la constitution d’un trésor composé d’ustensiles et de matériaux indispensables au culte 8. Une visite d’Abalé, enfin, la propre mère du monarque qui, partie de la lointaine Nubie, se lance dans un long voyage pour venir voir son fils alors établi à Memphis. 1 Mes remerciements vont à M. D. Devauchelle et Mme G. Widmer, professeurs à l’IPEL de l’Université Charles de Gaulle de Lille qui m’ont guidé, de 2011 à 2013, dans mes recherches relatives aux stèles de Taharqa découvertes à Kawa. 2 Respectivement Kawa III, IV, V, VI et VII, M.F.L. MACADAM, The Temples of Kawa I. The Inscriptions 1. Texts, Oxford, 1949, p. 4-44, et The Temples of Kawa I. The Inscriptions 2. Plates, Oxford, 1949, pl. 5 à 14. Pour la reproduction des stèles IV et V, on se reportera aux annexes A et B du présent article. 3 Musée de Khartoum, 2678. B. PORTER, R.L.B. MOSS, Topographical Bibliography of Ancient Egyptian Hieroglyphic Texts, Reliefs, and Paintings III. Nubia, Oxford 1952, p. 187. 4 Copenhague, Ny Carlsberg Glyptotek, AEIN 1712. 5 Copenhague, Ny Carlsberg Glyptotek, AEIN 1707 6 Nom antique du site, J. BREASTED, « A City of Ikhnaton in Nubia », ZÄS 40, 1903, p. 106-113. 7 Comme ce fut probablement le cas en l’an 3 du règne et qui conduisit à des travaux de restauration du mur d’enceinte de Djémé : H. CARTER, G. MASPERO, « Report of Work done in Upper Egypt (1902-1903) », ASAE 4, 1903, p. 178-180, ainsi qu’à Médinet Habou : H. GAUTHIER, « Les stèles de l’an III de Taharqa de Médinet Habou », ASAE 18, 1919, p. 190. 8 Pour J. LECLANT, J. YOYOTTE, « Notes d’histoire et de civilisation éthiopiennes : à propos d’un ouvrage récent », BIFAO 51, 1952, p. 21, c’est en l’an 6 qu’« il prend la décision de construire un nouveau temple (IV, 14-15) ». Les premières dotations spécifiques seront faites deux ans plus tard. S Hugues Perdriaud ENIM 12, 2019, p. 281-298 282 Cet exceptionnel périple, comparé à l’épisode mythologique des retrouvailles d’Isis avec son fils Horus, sert la geste royale dans un contexte général de prospérité en renforçant l’idée que cette année-là fut véritablement celle qui vit s’accomplir des merveilles. Les récits Kawa IV (1) An 6, sous la majesté de l’Horus Aux apparitions élevées, le Nebty Aux apparitions élevées, l’Horus d’or Qui protège les Deux Terres, le Roi de Haute et Basse Égypte Khounéfertoumrê, le Fils de Rê Taharqa – qu’il vive éternellement ! – vraiment aimé de Maât, à qui (2) Amon a donné la Maât, qu’il vive éternellement ! Alors, Sa Majesté étant le seigneur du rajeunissement, vaillant, le héros unique, un roi fort sans pareil, un régent comme Atoum, l’amour de lui (3) gagne les pays comme Rê quand il apparaît dans le ciel ; le fils de Rê comme Onouris, son règne étant fait de millions d’années comme (celui de) Tatenen ; dont le pas (4) est rapide et les sandales larges, envoyant sa flèche avec (tant de) puissance qu’il a le pouvoir sur les chefs, piétinant les montagnes sous le pied dans la poursuite de ses (5) ennemis avec le combat sur son bras fort ; qui massacre des centaines de milliers, (celui) à la vue duquel chaque visage est effrayé et que chacun rejoint quand il apparaît avec (6) le désir de se battre dans le cœur chaque jour. Il ne traîne pas, son métier étant de commander le déroulement de la bataille, son nom circulant dans les terres proches et dans (7) les hauts pays grâce à la vaillance de son puissant bras. Alors, quand Sa Majesté se trouvait à Ta-Séty en tant que jeune homme, un frère du roi, avenant, elle vint en voguant (8) vers le Nord jusqu’à Thèbes parmi les autres jeunes hommes que le Roi Shabataka – juste de voix ! – avait envoyés chercher à Ta-Séty, en sorte qu’elle fut (9) avec lui parce qu’il l’aimait plus que ses autres frères. Elle passa par ce nome d’Amon de Gématon pour pouvoir se prosterner devant les doubles portes du temple ensemble avec (10) l’armée de Sa Majesté qui faisait voile vers le Nord avec elle. Il constata que le temple avait été bâti en briques et que le sable (11) alentours atteignait son toit, celui-ci étant recouvert de terre à une saison de l’année où l’on craignait que la pluie advienne. Le cœur de Sa Majesté tomba dans (12) la tristesse à ce sujet avant même qu’elle n’apparaisse comme roi, comme Roi de Haute et Basse Égypte, l’uraeus posé sur sa tête. Dès que son nom devint « l’Horus Qakhaou », il se souvint de ce (13) temple qu’il avait vu au temps où il était jeune homme, dans la première année de son règne 9. Sa Majesté dit alors à ses compagnons : « voyez, mon cœur est favorable à la restauration du temple (14) de mon père Amon-Rê de Gématon parce qu’il est bâti de briques et recouvert de terre, ce n’est pas (15) convenable dans les esprits. Ce dieu a été 10 en ce lieu sans qu’on sache ce que la pluie avait causé. (Pourtant,) il est celui qui a protégé ce temple jusqu’à ce que mon règne advienne (16) parce qu’il sait que moi, le fils qu’il a engendré, j’ai fait des monuments pour lui 11. Les mères de ma mère lui ont été consacrées (17) par leur frère, le Grand, le Fils de Rê, Alara, justifié, qui (a) dit : “Ô toi, dieu qui connais celui qui lui est fidèle, rapide, qui viens à celui qui l’appelle, (18) considère pour moi la matrice de mes [mères] et établis leurs enfants sur 9 Comprendre ici que c’est dans la première année de son règne qu’il décide de restaurer le temple qu’il avait vu délabré au temps de sa jeunesse. Le positionnement de la virgule dans la traduction qu’il a publiée a induit Macadam en erreur puisqu’il a compris que le roi était encore jeune homme quand il accéda au trône (K.A. KITCHEN, The Third Intermediate Period in Egypt (1100-650 BC), Warminster 1972, Oxford 1996 (3e éd.) (dorénavant cité TIP), p. 166, paragraphe 133). 10 C’est-à-dire a été adoré, maintenu. 11 Probable références aux restaurations et embellissements réalisés en Égypte dès son accession au trône : stèle de Médinet Habou, H. CARTER, « Report of Work done in Upper Egypt, 1902-1903, IV, Stela of Taharqa », ASAE 4, 1903, p. 179. L’an 6 de Taharqa, l’année des « merveilles » http://www.enim-egyptologie.fr 283 la terre. Agis pour eux comme tu l’as fait pour moi et donne leur d’atteindre (19) ce qui est bon”. Le dieu a prêté l’oreille à ce qu’Alara avait dit à notre sujet et me fit apparaître comme roi, comme il le lui avait demandé. Combien il est bon de faire pour lui ces choses uploads/Geographie/ enim-12-2019-perdriaud-l-x27-an-6-de-taharqa-l-x27-anne-e-des-merveilles.pdf

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