Francophonie et communauté scientifique internationale Francophonie et Afrique

Francophonie et communauté scientifique internationale Francophonie et Afrique Francophonie scientifique : le tournant. AUPELF-UREF ed, John Libbey Eurotext, Paris © 1989, pp. 45-54 L'Afrique face aux défis de la science et de la technique E. KODJO Président de l'Institut interafricain des relations internationales Introduction Maladies endémiques, malnutrition, sous-alimentation, famines et faim, ignorance généralisée, etc., l'Afrique apparaît aux yeux du monde d'aujourd'hui comme le symbole de la pauvreté. Selon les dernières statistiques de l'Organisation des Nations Unies, le Produit National Brut par habitant est l'un des plus bas de la Terre : 750 dollars américains soit 4 500 F par an pour 610 dollars (3 600 F) pour l'Asie méridionale, 1360 dollars (8 280 F) pour l'Asie Orientale, 1890 dollars (11 340 F) pour l'Amérique Latine, 7 200 (43 200 F) pour l'Europe, 13 890 (83 340 F) pour l'Amérique du Nord et 6 350 (20 100 F) pour l'Union Soviétique. Ces 4 500 FF de revenu annuel moyen par habitant du continent cachent d'énormes disparités. L'Afrique du Nord avec 1 190 dollars soit 7 740 F, l'Afrique sud-saharienne Afrique du Sud exceptée, avec 440 dollars soit 2 640 F, montrent bien que la réalité de la pauvreté africaine est dure. Un Libyen est bien crédité d'un revenu annuel moyen de 45 000 F, un Gabonais de 25 200, un Algérien de 6 960 F, un Egyptien de 4 200 F mais 27 pays africains membres du groupe des Pays les moins avancés ont un revenu annuel par habitant inférieur à 380 dollars américains soit 2 220 F, un taux d'alphabétisation de la population inférieure à 20 % et le secteur manufacturier représentant moins de 10 % de la valeur de la production intérieure brute. Ces conditions de pauvreté absolue ne sont-elles pas la conséquence d'un grand retard scientifique et technique du continent africain par rapport aux sociétés industrielles du monde actuel ? Car, en analysant de près l'histoire économique et sociale du monde contemporain, il semble aisé de constater que la science et la technique constituent les facteurs essentiels du progrès social. L'Afrique est condamnée, si elle tient à sa modernisation, à se doter de ces instruments de progrès que sont la science et la technique modernes avec, évidemment, le concours des nations extérieures qui possèdent une avance certaine dans ce domaine. 45 Francophonie et communauté scientifique internationale Science et technique, instruments du progrès social Ce n'est pas à une si auguste assemblée que l'on doit rappeler les réalités économiques et sociales du monde développé avant la révolution industrielle. A partir d'une date que les historiens eux-mêmes situent entre 1730 et 1790, le machinisme commençait à pénétrer les techniques de production dans quelques pays de l'Europe du Nord-Ouest. L'on peut suivre avec l'Histoire des Techniques de Maurice Dumas, la civilisation technicienne en marche. C'est elle qui va aider à la réalisation de la révolution agricole, de la révolution industrielle, de la révolution des transports, créant ainsi les conditions d'un vaste et profond progrès social en Europe et partout où les Européens émigrés ont su imposer leur culture et même au Japon, où une classe dirigeante clairvoyante a su s'inspirer du modèle européen de développement. La société européenne d'avant l'ère industrielle connaissait des conditions difficiles. Pour ce qui concerne la France, l'Anglais Arthur Young a laissé de ses voyages à la veille de la Révolution un tableau saisissant du monde rural. Il a décrit les difficultés de la vie campagnarde mais, c'est là un grand intérêt, les innovations que réalisait une infime minorité de grands propriétaires. Il faut citer la Rochefoucault-Liancourt, M. de Turbilly près de La Flèche, le duc de Choiseul à Chanteloup, l'agronome Duhamel de Monceau près de Pithiviers. Ceux-ci suivaient des Anglais fameux tels que Jethro Tuli, Charles Townshend, Robert Bokewell et Thomas Coke qui, quelques décennies auparavant, tentaient des expériences de modernisation de la production agricole dans les îles Britanniques. Ces innovations agricoles, plus tard généralisées dans maints pays européens, furent en partie à la base de la révolution agricole de l'Europe au XIX e siècle. Cette révolution agricole fut marquée par la révolution des techniques de production accompagnée, par endroits, de réformes profondes des structures des paysages agraires. Elle a provoqué une véritable mutation du monde rural et, grâce à l'enseignement agricole qui plus tard sera développé, fit faire à l'agriculture européenne des bonds extraordinaires. Nul ne peut oublier ce que la révolution agricole européenne doit aux innovateurs anglais et aux agronomes passionnés de recherches et aux vulgarisateurs d'autres nationalités que sont le Hanovrien Albrecht Thaer, le Piémontais Auguste Bella, les Français Antoine Polonceau et Mathieu de Dombasle. Cette révolution agricole se fit souvent de manière parallèle avec la révolution industrielle qui, pour nous, se caractérise par la diffusion à une vaste échelle de nouvelles techniques de production en Europe à partir du dernier tiers du XVIIe siècle. Jean Gimpel dans ses recherches fait remonter cette mutation fantastique dans l'économie européenne au Moyen Age. Mais nul doute que les grandes innovations techniques qui ont fait décoller l'Europe datent du dernier tiers du siècle des Lumières (1770-1800) et que leur impact sur l'ensemble de la société a commencé à se signaler entre 1840 et 1850. La révolution des transports a également joué un rôle crucial dans le décollage de l'Europe. Avant les chemins de fer, les transports étaient assurés par la force animale (cheval, âne, mulet, chameau, etc.), les forces naturelles (le vent pour la navigation à voile, les cours d'eau, les canaux) et même la force humaine, mais ils étaient lents et constituaient des obstacles à l'essor des activités économiques. Les chemins de fer, tout en favorisant l'industrialisation, permirent l'extension des marchés. Avec la navigation à vapeur, ils facilitèrent le déplacement des personnes et des biens. Il faut encore mentionner la révolution dans le domaine de la biologie et des sciences médicales avec la découverte des microbes, des virus, le développement de la 46 L'Afrique face aux défis de la science et de la technique microbiologie, la vaccination, la sérothérapie. Leur application dans le traitement des maladies humaines, animales et végétales va provoquer en partie la croissance démographique des Européens, avec la disparition des grandes endémies (malaria), des grandes épidémies, l'accroissement du cheptel grâce aux soins vétérinaires plus poussés et l'augmentation des rendements de plusieurs végétaux. Nul doute que les techniques ont été, plus que la science, à l'origine de la révolution industrielle. Toutefois, très vite, les savants et les techniciens ont dû collaborer en métallurgie, en production chimique pour mieux connaître le monde naturel et surtout les propriétés des matières premières qui devaient entrer dans la fabrication des produits industriels. C'est dans les laboratoires d'entreprises industrielles que les premiers savants ont commencé leurs recherches comme d'ailleurs les premiers inventeurs de génie. Avant ces différentes révolutions, les sociétés aujourd'hui développées n'étaient pas très avancées par rapport à celles des régions en développement de nos jours. L'Inde, que les Anglais ont occupée au xvme siècle, avait un puissant artisanat métallurgique et textile. Les pays de l'Asie Centrale sous domination genghiskanide et timouride avaient des activités florissantes de même que la Perse et de vastes régions de l'Empire Ottoman. Tous ces pays faisaient, malgré la découverte de l'Amérique et l'émergence de l'Atlantique comme nouvel axe du commerce mondial, l'objet d'un commerce suivi avec l'Europe. A l'époque où débutait timidement la révolution industrielle européenne, l'agriculture utilisait 90 % de la population active en Afrique, en Asie, en Amérique Latine, entre 85 % en Amérique du Nord, plus de 75 % en Europe continentale et près de 60 % en Angleterre. Il y a donc une vérité qui doit retenir l'attention de tous : la Science et la Technique modernes sont les instruments privilégiés du développement économique et du progrès social. Qui plus est, elles sont à la portée de tout être humain quel que soit la couleur de sa peau. D'Angleterre, la révolution agricole, la révolution industrielle et la révolution des transports fondées sur des innovations techniques et des découvertes scientifiques ont pu atteindre l'Amérique du Nord et l'Europe continentale puis le Japon, où elles ont trouvé chez les Asiatiques un extraordinaire champ d'expansion. Sans perdre son âme, le Japon a adopté plusieurs institutions européennes pour créer les conditions sociales du succès de sa politique de rénovation économique. Anglais, Français, Allemands, Américains furent les maîtres des Japonais dans tous les domaines indispensables au progrès social. Au point qu'en une quarantaine d'années, l'Empire du Soleil-Levant put en 1905 se mesurer à l'Empire des Tsars et le vaincre. Plus que jamais, la révolution industrielle est la conséquence de l'application de la Science et de la Technique modernes à l'ensemble des activités humaines. C'est à ce niveau que se situe le drame de l'Afrique contemporaine. Le retard scientifique et technique de l'Afrique II se lit dans la réalité socio-économique du continent, et il suffit de survoler en avion son espace géographique pour s'en convaincre. En effet, venant d'Europe, l'observateur par les hublots d'un avion est frappé par l'aspect désordonné des paysages agraires africains, l'inexistence d'un réseau coordonné de transports. Une fois arrivé uploads/Geographie/ 55-pdfsam-francophonie-scientifique-0861962486-content.pdf

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