Entre redynamisation urbaine et banalisation des espaces : tensions et enjeux d
Entre redynamisation urbaine et banalisation des espaces : tensions et enjeux de l’urbanisme touristique Entre redynamisation urbaine et banalisation des espaces : tensions et enjeux de l’urbanisme touristique1 Conçues par les urbanistes depuis une vingtaine d’années, la restauration et la requalification des espaces urbains valorisent l’architecture, animent le cœur des villes et des stations et leur donnent un nouvel ancrage temporel, un temps oublié (Vles 2004:175). Ces transformations sont notamment à l’origine de l’émergence de nouvelles pratiques touristiques et du système complexe d’activité qui leur est lié. Elles expliquent en partie l’explosion actuelle du tourisme urbain : les villes concentrent la plus forte consommation touristique en France (40 %), estimée à près de 25 milliards d’euros, dont 60 % sont le fait de touristes étrangers, en partie fondée sur ces nouvelles vitrines marchandes. Le voyage en ville justifie aujourd’hui 35 % des déplacements en Europe et connaît une croissance continue de 4 % par an (ODIT France 2008). Mais avec une durée moyenne de 4,6 jours, l’augmentation considérable du nombre de séjours urbains est aussi la résultante de modifications sociétales profondes : réduction du temps de travail, mobilité professionnelle, fractionnement des vacances, éclatement des familles, multiplication des évènements culturels, sportifs, développement des transports à bas coût… Le « tourisme endogène » prend aujourd’hui une ampleur grandissante : on devient de plus en plus touriste dans sa propre région2. La ville, que l’on a associée longtemps à l’espace/temps du travail et de la contrainte, devient un espace récréatif de premier plan, souvent chargé d’histoire, parfois support d’originalité et d’identité. C’est dans ce champ social très vaste que se rencontrent urbanisme et pratiques touristiques. Objet des recherches Cet article rend compte des premiers résultats d’un ensemble de recherches dont la première séquence est achevée, la suivante en voie d’achèvement et qui s’intéressent aux effets et tensions auquel l’urbanisme est soumis lorsqu’il est confronté au tourisme. On y observe si les projets urbains ont un effet sur les modes de transplantation, d’installation des voyageurs dans les villes touristiques et les stations. Et inversement comment les comportements des touristes, portés par des désirs variés, reflets de projets différents de mobilité, sont intégrés par les urbanistes. D’ordinaire, on envisage volontiers la transformation de l’image de la cité sous l’angle des politiques publiques, du projet urbain et de la programmation (Lynch 1998). Cette analyse reste inaboutie en ce qui concerne les rapports entre production des espaces publics modernes et pratiques touristiques. On a donc souhaité questionner l’intervention urbanistique vue par l’œil du touriste. Bien entendu, dans ce champ de recherches, on ne part pas de rien. Les sites publics en ville ont en effet donné lieu à une longue tradition d’expérimentations méthodologiques (Grosjean, Thibaud 2001). L’écologie urbaine, l’anthropologie de l’imaginaire, la sociologie des modes de vie, la géographie ou 1 Ensemble des mesures qui visent à assurer l’intégration du tourisme dans la ville. 2 Le colloque « Fins et confins du tourisme » (Grenoble, 2009) a constitué un temps fort de la mobilisation des chercheurs en sciences sociales autour du renouvellement d’une pensée réflexive et prospective sur le tourisme. On s’est interrogé sur les limites de la sphère du tourisme et des loisirs, et, par là même plus précisément, sur la validité de l’hypothèse d’un bouleversement des formes et des types de tourismes confrontés aux crises, hypothèse qui confirmerait une remise en cause du fait touristique contemporain. Les communicants ont apporté des preuves d’apparition de modifications réelles dans les systèmes touristiques modernes : le renouvellement des pratiques et des pratiquants contribue à l'innovation générale dans les modalités d’usage du temps libre, le rapport à la mobilité et plus globalement au tourisme. La réalité du « tourisme endogène » notamment dans les villes y a été démontrée et le terme - peut-être impropre - utilisé par de nombreux chercheurs. 2 encore la sémiologie de l’espace sont autant de courants ayant contribué à la diversité des méthodologies actuelles telles les « récits de vie », « cartes mentales », « observations participantes », « analyses des réseaux sociaux ». Les travaux publiés montrent que les touristes ont une représentation différente de l’espace selon les pratiques effectuées. Les disciplines scientifiques ont surtout analysé jusqu’à présent les pratiques en station ou en ville en se référant aux significations que lui confèrent les pratiquants, ce qui nécessite d’appréhender d’une part les processus par lesquels ces derniers acquièrent et transforment les informations qu’ils reçoivent à propos de ces espaces touristiques, et d’autre part l’influence que ces propos ont sur leurs comportements (Reynier 1996:85). La compréhension du rôle que jouent les espaces publics passe par la prise en compte des acteurs qui contribuent à leurs donner corps et celle des usagers qui les pratiquent. Il semble nécessaire d’associer l’étude des représentations, des images et des symboles liés aux espaces publics à celle des pratiques spatiales et de voir si ces représentations transforment l’image que les touristes se font de leur destination urbaine. Si le touriste est désormais considéré comme coproducteur de l’espace public des villes touristiques, sa perception doit pouvoir fonder l’analyse des urbanistes et le projet des maîtres d’ouvrage. Méthodes Du point de vue méthodologique, une première recherche « espaces publics touristiques urbains » (portant sur Barcelone, Bordeaux, Montpellier et Marseille), financée en 2004-2005 par la Direction du tourisme du ministère de l’Equipement et du Développement durable dans le cadre d’un appel à projets « tourisme et espace urbain », a entrepris d’identifier les perceptions des usagers des espaces publics des métropoles par les voyageurs, de comprendre la manière dont ces touristes les abordent et comment ils se les approprient, d’observer s’ils en comprennent le sens et, réciproquement, de voir quel sens voulaient leurs conférer leurs concepteurs à partir de l’analyse spatiale classique des lectures de site (Verdier 2009 :179-181). Comme le veut cette méthode, les chercheurs se sont d’abord imprégné de "l’esprit des lieux" par l’observation in situ de villes : mémorisation à toute heure des séquences visuelles, apparition et déplacement des flux dans le champ visuel, logiques d’observation ou au contraire indifférence au paysage... Cette approche du terrain a été suivie par deux développements plus qualitatifs : l’un fondé sur la technique des entretiens semi directifs afin de cerner les représentations des acteurs à travers leurs discours (étude de la demande sociale par enquêtes), l’autre, sur des méthodes d’investigation de type « spatialisées » (rapports entre pratiques et lieux), de sorte à compléter les paroles par des indications "physiques", des repères spatiaux. Ces procédés ont permis de qualifier la perception du territoire. L’outil photographique a été le support de questionnements auprès des voyageurs, suivant les travaux de Kevin Lynch3 ou de Pascal Amphoux. L’observation a consisté à soumettre des documents photographiques de situations urbaines à l’interprétation d’urbanistes, de voyageurs ou d’habitants du lieu. C’est cette première démarche qui a permis d’obtenir les résultats de recherche résumés ici. Cette première phase de recherche achevée, l’équipe poursuit deux approfondissements importants, comparatifs, dans les stations du littoral et en montagne (qui feront l’objet de publications ultérieures) menées cette fois à partir de l’adaptation d’une méthode développée pour comprendre l’imaginaire des murs à pêche de la ville de Montreuil (Séchet Laforgue 1998). Les enquêtes menées s’appuient sur une batterie d’images qui sont présentées à des touristes choisis sur place, au hasard. Deux corpus d’images leur sont soumis. Le premier contient une petite centaine de photos prises sur des sites touristiques variés (hors de leur lieu d’enquête: ce sont des destinations autres, « concurrentes », qui ne sont pas nommées). Les espaces publics de ces sites sont de toute nature : attractifs, peu attractifs ou pas du tout attractifs. Les touristes enquêtés sont invités à classer cette première série d’images en 3 Kevin Lynch peut être considéré comme l’un des précurseurs dans ce domaine. Il a proposé des méthodes innovantes d’analyses spatialisées à partir de l’observation de trois villes américaines : Boston, Jersey City, Los Angeles (Lynch 1998). Il a notamment utilisé des outils tels les représentations "picturales" des espaces vécus (les « cartes mentales »), la technique photographique (les « tests » photographiques) ou encore la réalisation de parcours concrets avec des usagers (en utilisant l’enregistrement). 3 autant de tas qu’ils le souhaitent et selon l’analyse discriminante qu’ils choisissent de mener (ceci afin d’éviter d’influencer leur jugement et leur analyse en leur soumettant des catégories prédéfinies). L’enquêteur ne doit à aucun moment induire la classification réalisée par le touriste. Certaines analyses portées par les voyageurs s’avèrent purement fonctionnelles, d’autres préférentielles («j’aime»/«je n’aime pas»), d’autres paysagères ou s’appuient sur une typologie des matériaux (bois/béton/nature…). Après avoir précisé au chercheur comment ils en sont venus à répartir les photos de l’échantillon en 4 ou 5 tas différents (en sélectionnant une photo représentative de chaque groupe formé), les touristes sont confrontés à un second paquet ne contenant plus, cette fois, que des images de la station ou de la ville dans laquelle ils séjournent et qui constitue le terrain de la recherche. L’enquêté est convié à classer ce second paquet d’une centaine de photos selon les mêmes uploads/Geographie/ entre-redynamisation-urbaine-et-banalisation-des-espaces.pdf
Documents similaires
-
21
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 18, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1406MB