Études photographiques 28 | novembre 2011 J.M.Cameron / Discours critiques/ Pho
Études photographiques 28 | novembre 2011 J.M.Cameron / Discours critiques/ Photographies de l'Inconscient Épouses des hommes et épouses de l’art La “question de la femme” dans les années 1860 et les photographies de Julia Margaret Cameron Brides of Men and Brides of Art: The ‘Woman Question’ of the 1860s and the Photographs of Julia Margaret Cameron Anne McCauley Traducteur : Marine Sangis Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3219 ISSN : 1777-5302 Éditeur Société française de photographie Édition imprimée Date de publication : 21 novembre 2011 Pagination : 6-50 ISBN : 9782911961281 ISSN : 1270-9050 Référence électronique Anne McCauley, « Épouses des hommes et épouses de l’art », Études photographiques [En ligne], 28 | novembre 2011, mis en ligne le 03 mai 2012, consulté le 01 mai 2019. URL : http:// journals.openedition.org/etudesphotographiques/3219 Ce document a été généré automatiquement le 1 mai 2019. Propriété intellectuelle Épouses des hommes et épouses de l’art La “question de la femme” dans les années 1860 et les photographies de Julia Margaret Cameron Brides of Men and Brides of Art: The ‘Woman Question’ of the 1860s and the Photographs of Julia Margaret Cameron Anne McCauley Traduction : Marine Sangis Dans une version de sa pièce satirique Freshwater, inspirée par la vie de sa grand-tante Julia Margaret Cameron, Virginia Woolf prête à la photographe cette lamentation exaltée : « Mes sœurs avaient la beauté pour elles ; moi j’avais du génie. Elles ont toutes épousé des hommes. Moi j’ai épousé l’art1. » Si cette affirmation en dit long sur les conflits refoulés que vivait Woolf elle-même, tiraillée entre l’attrait pour la beauté physique et la maternité (incarnées par sa sœur Vanessa), et la conscience de la supériorité de son génie littéraire2, cette dichotomie entre la vie d’une femme qui épouse un homme mortel et celle qui se consacre à son art a également structuré les débats sur le rôle de la femme depuis les balbutiements du mouvement féministe jusqu’aux discussions actuelles sur la garde des enfants. Le familial est opposé au professionnel, le privé au public, le plaisir physique à l’intellectuel, la passivité à l’activité. Quant à Julia Margaret Cameron, il s’avère particulièrement épineux de déterminer dans quel camp la situer. Parce qu’elle est la moins belle des célèbres sœurs Pattle et la seule dont l’héritage consiste en une œuvre riche et créative, sans doute pourrait-elle correspondre à la vision de Woolf. Si sa conversion à la photographie en 1863 – à quarante-huit ans, âge où la plupart des femmes ménopausées cessent de s’identifier à des procréatrices – pourrait passer pour originale de nos jours, elle est d’autant plus radicale à une époque où la respectabilité des femmes écrivains et artistes est l’objet de soupçons3. Espérant compenser les pertes engendrées par la plantation de café familiale à Ceylan et payer des précepteurs à ses deux plus jeunes fils4, Cameron réalise vite que tirer profit de son activité prend plus de temps que prévu. On sait maintenant qu’elle a Épouses des hommes et épouses de l’art Études photographiques, 28 | novembre 2011 1 commercialisé son œuvre comme l’aurait fait un photographe professionnel. Son enregistrement de 508 épreuves au dépôt légal entre 1864 et 1875, sa participation à des expositions et le fait qu’elle sollicite ses amis pour de brefs articles de presse confirment ce qu’elle admet dans une lettre de 1866 à Sir John Herschel : « je prends désormais la photographie pour quelque chose de plus sérieux qu’un divertissement5 ». Cameron correspond également à la description de la femme active, pugnace et dynamique dans sa façon de s’atteler à la production de ses photographies. D’innombrables mémoires évoquent sa manière de bousculer des hommes d’État et des universitaires d’Oxford, âgés et distingués, afin de les faire poser à son idée. Le développement d’un style totalement inédit, conjuguant flous et très gros plans, est aussi l’expression d’un tempérament prêt à braver les normes d’une technique établie. Ses lettres foisonnent d’aveux rappelant qu’elle n’a pas eu de professeur, qu’elle a travaillé seule, déplacé de lourdes charges, surmonté d’énormes obstacles et ébloui le public6. Si elle n’a jamais prétendu être un génie, elle ne se conforme certainement pas au stéréotype de la femme victorienne, modeste et effacée. Pourtant, à bien regarder ses œuvres, on peine d’abord à les identifier aux créations d’une personne si obstinée et peu conventionnelle. Taxée « d’adoratrice de héros » par le professeur d’Oxford Benjamin Jowett, Cameron ignore les défauts personnels et physiques des grands hommes de son entourage et les transforme en sages éthérés ou en titans michelangelesques. Lorsqu’elle passe aux sujets féminins, elle écarte les femmes de plus de vingt ans ou dénuées d’une beauté sculpturale tennysonienne (quelques images font exception comme celles de Lady Elcho en sibylle de l’Ancien Testament (voir fig. 1) et de Sarah Groove dans sa quatre-vingt-quatorzième année, prises en 1865). Si les descriptions d’alors vantent le charme et l’intelligence de bien des épouses de ses célèbres modèles, elles ne sont pas conviées devant l’objectif. On ne trouve ni Emily Herschel, ni Emily Tennyson, pas plus que Jane Carlyle souffrante ou qu’Alice Taylor7. On n’y voit pas non plus les célébrités féminines et les femmes de lettres [bluestockings] qui ont croisé le parcours de Cameron ou celui de ses amis, telles Florence Nightingale (correspondante assidue de Benjamin Jowett), la fameuse romancière George Eliot (à qui Cameron, admirative, expédie une série de photographies en 1871), la féministe Barbara Smith Bodichon (amie de Dante Gabriel Rossetti), l’auteurede romans Geraldine Jewsbury (confidente de Jane Carlyle) ou leur aînée Elizabeth Gaskell. À un moment où, selon William Rossetti, les ateliers de portraits commerciaux tels Elliot and Fry, sollicitent Christina Rossetti pour ajouter son portrait à une série dédiée aux femmes célèbres comprenant « mademoiselle Jean Ingelow et mademoiselle Charlotte Riddell » (deux romancières populaires8), Cameron ignore ostensiblement la plupart des modèles féminins mariés, célèbres et d’âge “mûr” (c’est-à-dire au-delà de trente ans). Même au sein de sa propre famille, son attention maternelle et photographique se porte principalement sur ses cinq fils plutôt que sur son unique fille ou sur ses sœurs. Les rares images de sa fille mariée, Julia – son homonyme –, montrent la femme de Charles Norman ou la mère des six enfants auxquels elle a donné naissance entre 1860 et sa mort en couches en 1873 (voir fig. 2). La belle allure déclinante des sœurs de Cameron – Sara Prinsep, l’hôtesse réputée de Little Holland House, l’hypocondriaque Maria Jackson et Virginia Lady Somers, célèbre pour sa beauté – est à peine immortalisée (elle aurait pris en 1867 des photographies de Somers qui n’ont pas été identifiées et seule une vue de profil de l’invalide Maria Jackson prise en extérieur a survécu). Chaque fois que l’un de ses fils déserte le nid familial, elle déplore sa perte, se plaignant en 1870 d’en souffrir d’un Épouses des hommes et épouses de l’art Études photographiques, 28 | novembre 2011 2 « manque maladif9 ». Sa fille aînée, préoccupée par sa propre famille, peut apparemment prendre soin d’elle-même10. Quand Cameron photographie des sujets féminins, elle ne montre jamais des femmes mais des personnages littéraires, bibliques ou mythologiques. Sa typologie féminine se compose d’images poétiques et idéalisées de jeunes femmes mélancoliques et stoïques dont les destins sont déterminés par des hommes : la Vierge Marie en adoration devant son bel enfant ou endeuillée devant le présage de sa mort (comme dans “Blessing and Blessed”, fig. 3), l’infortunée Juliette en compagnie de Frère Laurent qui lui transmet la potion soporifique fatale, Marguerite priant à l’autel pour trouver conseil avant de recevoir la visite nocturne de Faust et d’empoisonner sa mère par mégarde, la reine Guenièvre retirée au couvent en repentance de son amour adultère pour Lancelot (voir fig. 4). Ses sources littéraires contemporaines sont les récits épiques et les poèmes de ses amis Alfred Tennyson, Coventry Patmore et Robert Browning, et seules deux séries connues ont été inspirées par les auteures George Eliot et Christina Rossetti (ou ponctuées de leurs citations)11. Fait révélateur, lorsqu’elle évoque Adam Bede d’Eliot, elle ne retient pas le personnage positif et fascinant de Diana, la prédicatrice méthodiste, mais privilégie la figure belle mais déchue de Hetty qui cède aux avances d’un hobereau local peu scrupuleux, au prix de sa vertu, voire de sa vie12 (voir fig. 5). Les nombreux romans sociaux des décennies 1850 et 1860 traitant du sort des filles célibataires et des gouvernantes ne font pas non plus l’objet d’illustrations photographiques. On peine également à trouver chez Cameron un intérêt pour “la question de la femme” qui mobilise la presse dans les années 186013. Pendant la décennie qui précède, l’expansion industrielle, l’émergence dans l’Europe de 1848 d’aspirations à l’extension des droits et du vote, les débats sur la légitimité de l’esclavage aux États-Unis et l’accroissement démographique du nombre de femmes célibataires poussent des petits groupes d’hommes et de femmes britanniques – souvent des quakers ou des dissidents religieux – à réclamer davantage de droits pour les femmes. Leur objectif initial n’est pas l’instauration du suffrage féminin, mais l’abrogation des lois restreignant le divorce uploads/Geographie/ epouses-des-hommes-et-epouses-de-l-x27-art.pdf
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- Publié le Fev 28, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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