L’ERMITE Vous savez quand vous partez. Elle seule sait si vous rentrerez. Elle

L’ERMITE Vous savez quand vous partez. Elle seule sait si vous rentrerez. Elle s’habille de sa cuirasse, articule les vagues en catapultes. Les montagnes vous fixent mais ne peuvent rien pour vous. Ou plutôt si. Précipiter votre perte lorsque la barque s’écrasera sur elles. Vous n’êtes plus qu’une virgule dans la main de Dieu. Le vent vous rend sourd, vous fait pleurer les yeux. La Mer attaque vos cinq sens. Elle s’engouffre dans vos narines, votre trachée. Elle vous insuffle sa colère jusqu’aux poumons. Elle mâche vos alvéoles. Les vagues dansent en lambeaux, tout autour de vous afin que vous ne perdiez jamais de vue votre fin. Le bruit des matières qui se cassent, se fracassent et meurent en hurlant. La Mer est violente. Violente en vie. Violente en mort. Voilà pourquoi les pêcheurs sont si beaux. La vie et la mort trônent sur un seul et même visage. Perpétuels ressuscités. La rage du ciel bave ses nuages. Ils pleurent des larmes sur les rochers inanimés. Le soleil ne traversera pas les nuages. Pas aujourd’hui. Mais demain existe-t-il ? Seul la terreur doit régner. Le soleil reste au paradis. La Mer en enfer. Elle s’offre à eux de toute sa terreur putassière. Elle est ici, la sève mousseuse de la mort. Les mouettes sont les anges déchues qui ne vous sauveront jamais. Votre âme ? elles s’en foutent, elle veulent picorer vos yeux avant qu’ils ne rejoignent les poissons. Loin sous votre barque. La balise jaune, sous le balancement des vagues, vous fait non de la tête. « non ! retournes, à terre, non, non non… » Vous lui désobéissez. La mer vous félicite. L’horizon ouvre sans grincer, la porte de votre cercueil. Traitre ! Lui qui mélange ciel et mer pour vous sourire de gris. A votre étrave des os de bois flottent, ballotent, comme des bouts de squelette. Le vôtre ? Didier ne savait pas nager. Antoine Recco savait la Mer. * Un ermite soustrait au monde vit de son silence en Catalogne. La terre ocre effrite ses gros blocs sous nos pneus bouillants. Le paysage nous explique que l’immensité n’est pas une fable. Un désert dont les pores asséchés ne transpirent plus. A travers le pare-brise nous voyons la ligne d’horizon se déhancher sous les turbulences de chaleur. Il faut trouver l’ermite. Aujourd’hui. Nous apercevons son sanctuaire en haut d’une montagne. Il est séparé de la civilisation par une mer de terre. On serpente, on roule. De loin il surgit. Pas l’ermite, son donjon. Le donjon a la tête cubique. Ses multiples yeux vitrés nous suivent du regard. Anne, ma soeur Anne, c’est comment un ermite ? Poilu, barbu avec des cheveux jaunes en éponge métallique ? Peut-être. Un ermite qui m’écrit des mails ne mange surement pas de crapauds. Nous traversons les perruques de blés. Nous parvenons devant le flanc épais du Sanctuaire. Pas un bruit. Seulement le vent dans les cheveux catalans de l’Espagne. Deux chaussures Converses s’avancent vers nous. Elles sont vêtues d’un homme en tee-shirt et jean’s. Il s’approche et salue notre interrogation. Je le crois comme nous. Touriste suspendu. Mais il est. Lui. L’Ermite. S’échappe de son fluide une douceur en fumigène. J’imagine derrière les remparts de son antre, une file de moines aux crânes d’oeuf. Mais pas l’ombre d’une âme humaine ne suinte des pierres. « Vous vivez seul là dedans ? » « oui je suis ermite. C’est un peu l’idée. » Cet endroit est saisissant. Une atmosphère de Cité Interdite se prélasse dans les étreintes d’un passé s’effaçant. Dans l’ombre du porche, une grande cour gonfle sa panse aérienne. Une chapelle étrange nous fait face. Sa structure de pierre, est vitrifiée par une immense fenêtre quadrillée de fer d’atelier. J’aime ce lieu stoïque qui hésite entre ruine, église et art contemporain. Nous nous scellons au pas de Didier. L’ermite. Nous traversons la paroi de verre à la rencontre d’une chapelle vide, peuplée de bancs. Un être sombre m’attire sans me convoquer. Une Vierge Noire. Petite. Mais son secret appuie sur les murs, soulève la voûte et enfonce le sol. Elle tient un enfant. Dans son dos un soleil de rouge et d’or s’étale en une explosion symétrique. Elle est sang et lumière. J’ai du mal à la quitter des yeux. Noire la vierge. Elle me parle en articulant le silence. Elle porte un enfant qui ne grandit jamais. Un enfant soudé d’airain à son sein. Mamma Recco et son enfant noirci de ténèbres ? Nous sortons en marchant sur les dalles gravées de symboles ancestraux. Dehors, la crête irrégulière des remparts fais rebondir mon regard. Des vitraux parfois brisés surgissent. Leur expression poussiéreuse me pénètre. Je mange la poussière par les yeux. Nous rejoignons le quartier privé de l’ermite en empruntant un escalier. Des petits espaces qui en cachent d’autres. La porte d’entrée puis un bref couloir et nous entrons dans la pièce principale. Atmosphère dénuée de l’inutile. Ici l’inutile repose en miettes grouillantes au fond de la vallée. Ici nous sommes dans la piscine du ciel. La frugalité frôle les contours de ce lieu intime. Ôter l’inutile. Laisser l’esprit poser ses meubles. Le laisser aller et venir entre la pièce et la vue vertigineuse. Le ciel, la colline, les nuages. Ils vont et viennent comme chez eux. Les nuages se posent sur la table vierge. Le ciel s’enroule dans le rideau sans motif pour le remplir de lui-même. La colline ondule entre les livres de l’étagère puis s’en va poser ses mamelles sauvages sur le lit, quelque part. Nous sommes tous les trois autour de la table. J’aime être avec ma soeur. Elle est le puits rassurant de mon enfance. Didier prend place. C’est un ermite en coton d’agneau. Beau de douceur. Beau comme un homme affranchi des torpeurs du monde. Esclave et maître de sa solitude. Dans son coeur il y’a une porte vers l’Au-delà. Il y puise la pierreries spirituelle pour apaiser l’agitation du Monde. Le Monde qui s’écroule sous le bruit meurtrier de l’inutile. Ce Monde qui boit la tasse dans sa propre salive. Son français effleuré d’espagnol nous emmène de sa musique à remonter le temps. Je rencontre enfin un inconnu qui prononce le nom des RECCO avec un regard éclairé de l’intérieur. Des yeux qui ne me lancent pas de couteaux. Aucune grimace ne s’éjecte de son visage pour me manger d’accusation. Cet homme a vécu trois mois, jours et nuits avec la famille Recco. Avec Antoine. Didier ne savait pas nager. Antoine savait la mer. Didier était déserteur. Patriote et coeur battant pour le drapeau français, il part en Allemagne s’enfourner dans le kaki militaire. Défendre la France oui. Sous des ordres aussi vides que leur propriétaire, non. Aimer le drapeau mais pas ceux qui le hissent. Un drapeau n’a de vie que dans la liberté du vent. Déserter c’est créer un courant d’air de révolte. Déserter c’est risquer la peine de mort en temps de guerre, et la prison militaire en temps de paix. « Mon chef, un lieutenant me menace de punitions militaires…/… pour l ́accident. Comme il le fait d ́une maniere un peu sauvage je ne tarde pas à risposter aidé par un sentiment de peur et de haine. Je lui lance vers la tête, une grosse clef anglaise de camion qui ne l ́atteindra pas heureusement. j ́ avais ainsi compliqué un peu plus le problème. …/…Je décide de toute manière, apres un an de service , et venant d ́être «promu» au grade de soldat 1er classe , de fuir , de devenir un déserteur. Rester au régiment n ́avait plus aucun sens pour moi » Il fuit avec son compagnon d’armée. Où se cacher dans son pays où la délation n’est pas une verrue ? Il faut un pays. Ce pays ne sera pas la France mais La Corse. « En Français il n ́y a qu ́un mot pour dire cavale et aucun pour désigner celui qui la fait. Nous savons que le maquis corse a donné le mot français maquisard. Ce maquis on peut le «prendre», «s ́y enfoncer», le «tenir», le «quitter». On peut employer aussi le terme « partir à l ́aventure », les corses disent aussi « partir en gallura » cette région du Nord de la Sardaigne où se refugiaient de nombreux fugitifs de l ́île au XIXème siècle. La cavale n ́est pas seulement réservée au truand de grand banditisme ou au terroriste , Nombreux sont ceux qui peuvent prendre ce chemin , pour des raisons bien diverses à un moment donné de leur vie. Il n ́y à pas dans le fond de grandes différences entre une grande cavale médiatisée et une autre, anonyme . Il s ́agit dans tous les cas de fuir quelque chose.. » Après un tour de France discret pour les aurevoirs incertains et des aides clandestines, sonne l’appel de la Corse. « Enfin l ́heure d ́embarquer arriva et nous voila heureux de quitter Marseille en fin de soirée.Nous jetons une monnaie uploads/Geographie/ didier-coutanceau-l-x27-ermite-deserteur.pdf

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