Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle Œuvre intégrale

Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle Œuvre intégrale : Gargantua de Rabelais Oral : explication linéaire n°5 François Rabelais est un écrivain, moine et médecin du XVIe siècle. Il appartient au mouvement de l’Humanise. Parmi ses œuvres principales, nous citons Pantagruel et Gargantua de laquelle est pris l’extrait à expliquer. Ce texte est pris du chapitre 33. Nous soulignons que ce chapitre s’inscrit dans la partie abordant la guerre picrocholine. Elle met en scène la réflexion stratégique et le souci d’humanité de Grandgousier, père de Gargantua, s’opposant à l’impulsion haineuse de Picrochole et ses fantasmes de domination universelle. Ce passage met en scène le roi sanguinaire qui devient un pantin entre les mains de ses mauvais conseillers Lecture de l’extrait. En quoi cette saynète de comédie permet-elle à Rabelais de railler la folie belliqueuse propre à la guerre de conquête ? Nous tenterons de répondre à cette problématique en suivant un plan composé de deux mouvements. Le premier mouvement de la l. 1 à 12 s’intitule « Parodie d’un conseil de guerre ». Le deuxième de la l. 13 à 29 a pour titre « dénonciation de la guerre de conquête ». Mouvement I : Parodie d’un conseil de guerre (l.1 à 12) Le début du chapitre « les fouaces dérobées » rappelle l’origine de la guerre opposant Picrochole à Grandgousier. Les trois conseillers de Picrochole1 sont d’emblée discrédités par leurs noms, en dépit des titres qu’ils portent. S’ils sont « duc », « comte », ou « capitaine », l’onomastique2 suggère néanmoins leur fourberie (« Menuail » signifiant « la canaille »), leur fureur guerrière (« Spadassin » signifiant « tueur à gages ») ou leur grossièreté, grâce au nom scatologique (« Merdaille »). Les premiers mots de ces conseillers, énoncés au discours direct, laissent entendre la flatterie à son paroxysme. Les trois voix, confondues en une seule « ils dirent » (l.2), est signe d’un manque de personnalité- usant d’un superlatif et d’hyperbole « nous faisons de vous le prince le plus valeureux et le plus chevaleresque qui ait jamais été depuis la mort d'Alexandre de Macédoine » (l.3). La comparaison flatteuse à Alexandre le Grand inscrit Picrochole dans la lignée des grands conquérants de l’antiquité. Cette parole obtient l’effet escompté, puisque Picrochole leur demande de se recouvrir, signe qu’il les invite à poursuivre. Ayant facilement persuadé leur roi, ils annoncent alors sans plus tarder leur plan de défense « Vous laisserez ici quelque capitaine en garnison » et leur plan d’attaque « vous diviserez votre armée en deux » (l.9). Ils vantent la politique intérieure de Picrochole en rappelant son rôle de bâtisseur et en louant son ingéniosité : la place est « assez forte, tant par nature que grâce aux remparts dus à votre ingéniosité » (l.8). Ces conseillers, habiles à flatter l’orgueil du roi, vont aveugler ce dernier et commettent un impair lourd de sens en ne laissant qu’une « petite bande de gens pour garder la place », si consolidée soit- elle. Contrairement à Grandgousier, qui veut « secourir et garantir ses pauvres sujets » (ch. 28) et qui demande à son fils de rentrer en hâte pour « protéger les gens et les biens qui lui sont confiés par 1 Prononciation du nom Picrochole : « PiKroKole » 2 Onomastique : étude des noms propres. droit naturel » (ch. 29), Picrochole ne parait pas ému par le sort de ses sujets qui resteront sous la protection d’une « petite bande de gens ». Figure inversée du roi chrétien, Picrochole est aveuglé par le désir d’expansion et ne cherche pas à protéger ses sujets. Le plan d’attaque, énoncé au futur, ne semble pas inquiéter les conseillers qui imaginent déjà l’issue heureuse du combat : « Une partie ira se ruer sur ce Grandgousier et ses gens et il sera, au premier assaut, facilement mis en déroute » (l.9-10). La bataille sera expéditive comme le souligne l’adverbe « facilement ». L’adversaire, mis à distance par l’emploi du démonstratif « ce Grandgousier », n’est pas considéré comme un ennemi conséquent, les soldats de Grandgousier sont, quant à eux, dévalorisés dans un euphémisme « ses gens » et par conséquent ne constituent pas une menace sérieuse. Ensuite, les conseilles flattent non plus tant l’orgueil de Picrochole que sa cupidité, le séduisant par l’appât du gain « Là, vous récupérerez de l'argent en masse ». L’hyperbole entretient la stratégie argumentative des conseillers, lesquels s’adressent aux sens et non à la raison du roi- l’argent étant presque palpable. Mouvement II : dénonciation de la guerre de conquête (l.13 à 29) Les conseillers monopolisent la parole tandis que Picrochole, passif, prête l’oreille à leurs explications belliqueuses et intéressées. Dans leur projection, tout s’enchaîne à souhait. Les toponymes3 s’accumulent, la carte des conquêtes s’élargit, et le lecteur, à l’instar de Picrochole, suit l’itinéraire de l’armée à la conquête des territoires français, basques, espagnols et portugais. Le pluriel emphatique « ils prendront villes, châteaux et forteresses » (l.14-15)et les hyperboles « sans résistance », « tous les navires », « toutes les contrées maritimes », « tout l’équipage qu’il faut à un conquérant » font entendre la prétention et l’ambition outrancière des conseillers. Ces derniers sont néanmoins soucieux de faire participer le roi aux victoires comme le révèle le changement des pronoms « ils », « vous » ; évincé dans un premier temps, le roi devient ensuite, l’acteur principal des conquêtes « vous saisirez » (l.15), « vous pillerez » (l.16), « vous aurez un renfort » (l. 17), jusqu’à devenir l’unique « conquérant ». Emportés par leur enthousiasme belliqueux, ils déprécient l’adversaire qui devient, dans la négation restrictive finale, de vulgaires « rustres » (l.18). Le discours prophétique, proche du fantasme, use à nouveau de l’hyperbole et du comparatif de supériorité « des colonnes plus magnifique que celles d’Hercule » (l.19), comparant cette fois-ci Picrochole à Hercule l’inscrivant dès lors dans la lignée des célèbres héros mythologiques. La référence aux deux colonnes d’Hercule est ironique et convoque le souvenir proche de Charles Quint, qui avait pour emblème deux colonnes symbolisant l’immensité de ses conquêtes. Derrière la description parodique de l’impérialisme de Picrochole se cache la dénonciation de l’impérialisme de Charles Quint. D’ailleurs, le corsaire qui aida François I contre Charles Quint, en Méditerranée, n’est autre que… Barberousse . Il est donc particulièrement jouissif pour Picrochole, alias Charles Quint, de visualiser la capture de son farouche ennemi qui avait fait allégeance à Soliman le Magnifique pour se protéger des Espagnoles. C’est pourquoi Picrochole, longtemps silencieux, réagit et, contrairement aux attentes du lecteur, envisage de lui accorder sa grâce : sa bienveillance est-elle sincère ou n’est-ce que la saute d’humeur d’un enthousiasme précipité dans un rêve ? L’énumération des toponymes se poursuit, mais le théâtre des opérations se déplace sur le territoire des infidèles « Tunis, Bizerte, Alger, Bône, Cyrène,…Soulignant que la Barbarie désigne les pays de l’Afrique du Nord. Une fois de plus, la cible de la satire rabelaisienne n’est autre que Charles Quint, lequel combattit « hardiment » l’islam et mit à sac Tunis en 1535 – luttant contre les troupes de Barberousse. 3 Toponyme ( topos= le lieu + onuma=nom) : nom de lieu Enfin, les conquérants se rapprochant de l’Italie, c’est la figue du pape qui est convoquée « Le pauvre Monsieur du Pape en meurt déjà de peur» (l.28). La réaction de Picrochole dans la dernière phrase est comique, Rabelais jouant sur le contraste entre l’interjection faisant référence à la foi chrétienne « ma foi » et le refus de s’abaisser pour « baiser la pantoufle » papale. Rabelais rappelle ici, non sans humour, les querelles entre papes et empereurs ; depuis le sac de Rome en 1527, les papes ne pouvaient plus collaborer à une politique hostile à celle de Charles Quint, d’où l’image plaisante du pape tremblant face à l’empereur. Dans cet extrait, Rabelais expose ses idées sérieuses sous la forme la plus attrayante du discours parodique. Il s’agit pour lui de dénoncer la folie ambitieuse et belliqueuse des conseillers de Picrochole et, à travers eux, de n’importe quel conquérant. Picrochole, sans aucun esprit critique, s’imagine conquérir l’univers et aspire à la monarchie universelle. Pourtant, à la fin de ce délire collectif, un vieux gentilhomme nommé Echéphron (= le prudent) intervient et tente de mesurer, en vain, la fureur guerrière de Picrochole. Les chapitres suivants démentiront le rêve impérialiste, le renversement définitif de Picrochole (chap. 49) pouvant se lire comme une allégorie de la disparition du monde ancien. Chapitre 33 Comment certains gouverneurs de Picrochole, par leur précipitation, le mirent au dernier péril Les fouaces4 dérobées, comparurent5 devant Picrochole le duc de Menuail, le comte Spadassin et le capitaine Merdaille, qui lui dirent: « Sire, aujourd'hui nous faisons de vous le prince le plus valeureux et le plus chevaleresque qui ait jamais été depuis la mort d'Alexandre de Macédoine. - Couvrez-vous, couvrez-vous, dit Picrochole. - Grand merci, dirent-ils, Sire, nous ne faisons que notre devoir. Voici ce que nous proposons uploads/Geographie/ explication-line-aire-n05.pdf

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