Alain Froment Adaptation biologique et variation dans l'espèce humaine : le cas
Alain Froment Adaptation biologique et variation dans l'espèce humaine : le cas des Pygmées d'Afrique In: Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, Nouvelle Série, tome 5 fascicule 3-4, 1993. pp. 417-448. Résumé Résumé. — Si on comprend de façon intuitive la signification du terme Pygmée, on ne dispose pas pour autant d'une définition claire de cette catégorie (ou de toute autre) dans l'espèce humaine. Les Pygmées sont des marginaux, tant à cause de leurs caractères physiques que de leur mode de vie de chasseurs et collecteurs, supposé hérité de la préhistoire. Celui- ci connaissant à présent des bouleversements, on a opté ici pour une définition exclusivement biologique, qui est proprement étymologique. Pour décrire leur variation anatomique, des analyses morphologiques multivariées détaillées sont entreprises afin d'évaluer leur distance aux autres populations. Leurs relations avec d'autres chasseurs, tels les San, sont discutées. Les réactions face aux pressions sélectives du milieu sont examinées. Tant par leur anatomie que leurs groupes sanguins, qui donnent des résultats comparables, les Pygmées accentuent les caractéristiques négro-africaines, et se rattachent sans hiatus à l'ensemble des groupes humains du sous-continent. Il est dès lors impossible de les en séparer par des critères biologiques absolus ; cependant, leur position périphérique et leur isolement sexuel les enferment dans une catégorisation qu'ils pourront difficilement surmonter sans renoncer à leur culture. Abstract English summary. — As a general problem when one deals with taxinomie analysis within mankind, there is no clear definition of what a Pygmy is. Both cultural and biological caracteristics can be retained, but as the former could vanish quickly, only the latter were considered here. Multivariate statistical were computed from a wide anthropométrie data base, dealing with both somatic and cephalic measurements, on the living and on the skeleton. Comparisons with the rest of mankind were made, and their anatomical relationships with other hunters-gatherers studied. No anatomical gap was found between Pygmies and other African though Pygmies tend to be at the extreme of total human variation. Citer ce document / Cite this document : Froment Alain. Adaptation biologique et variation dans l'espèce humaine : le cas des Pygmées d'Afrique. In: Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, Nouvelle Série, tome 5 fascicule 3-4, 1993. pp. 417-448. doi : 10.3406/bmsap.1993.2371 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bmsap_0037-8984_1993_num_5_3_2371 Bull, et Mém. de la Société d'Anthropologie de Paris, n.s., t. 5, 1993, pp. 417-448 ADAPTATION BIOLOGIQUE ET VARIATION DANS L'ESPÈCE HUMAINE : LE CAS DES PYGMÉES D'AFRIQUE Alain Froment * Résumé. — Si on comprend de façon intuitive la signification du terme Pygmée, on ne dispose pas pour autant d'une définition claire de cette catégorie (ou de toute autre) dans l'espèce humaine. Les Pygmées sont des marginaux, tant à cause de leurs caractères physiques que de leur mode de vie de chasseurs et collecteurs, supposé hérité de la préhistoire. Celui- ci connaissant à présent des bouleversements, on a opté ici pour une définition exclusivement biologique, qui est proprement étymologique. Pour décrire leur variation anatomique, des analyses morphologiques multivariées détaillées sont entreprises afin d'évaluer leur distance aux autres populations. Leurs relations avec d'autres chasseurs, tels les San, sont discutées. Les réactions face aux pressions sélectives du milieu sont examinées. Tant par leur anatomie que leurs groupes sanguins, qui donnent des résultats comparables, les Pygmées accentuent les caractéristiques négro-africaines, et se rattachent sans hiatus à l'ensemble des groupes humains du sous-continent. Il est dès lors impossible de les en séparer par des critères biologiques absolus ; cependant, leur position périphérique et leur isolement sexuel les enferment dans une catégorisation qu'ils pourront difficilement surmonter sans renoncer à leur culture. Mots-clés : Pygmées, Afrique Centrale, adaptation biologique, évolution humaine, anthropométrie, analyses multivariées. BIOLOGICAL ADAPTATION AND VARIATION WITHIN MANKIND : THE AFRICAN PYGMIES EXAMPLE English summary. — As a general problem when one deals with taxinomie analysis within mankind, there is no clear definition of what a Pygmy is. Both cultural and biological caracteristics can be retained, but as the former could vanish quickly, only the latter were considered here. Multivariate statistical were computed from a wide anthropométrie data base, dealing with both somatic and cephalic measurements, on the living and on the skeleton. Comparisons with the rest of mankind were made, and their anatomical relationships with other hunters-gatherers studied. No anatomical gap was found between Pygmies and other African populations, though Pygmies tend to be at the extreme of total human variation. Key words : Pygmies, Central Africa, biological adaptation, human evolution, anthropometry, multivariate analysis. * ORSTOM/ UMR 9935, Anthropologie et Ecologie de l'Alimentation, Muséum National d'Histoire Naturelle, 91800 BRUNOY. 418 ALAIN FROMENT L'épine du chemin ne te pique pas, c'est toi qui te piques à elle. (proverbe pygmée, recueilli par le Père Trilles). Le but de ce travail est de contribuer à la description du polymorphisme de l'espèce humaine, en prenant pour exemple un cas extrême de variation morphologique, celui des Pygmées africains. Il s' agit donc à la fois d'une question de taxinomie, consistant à définir les caractères d'un (ou plusieurs) groupe(s) et ses rapports avec les autres groupes humains, et du problème de l'origine de ces variations, examinées en fonction de leur éventuelle valeur adaptative. Situés aux extrêmes de l'espèce humaine, dans des zones réputées peu accessibles, comme les Inuit, les Lapons, les Aïnous ou les « Bushmen » (San), ces Pygmées ont vivement excité l'imaginaire occidental, et ce depuis l'Egypte et l'Antiquité classique l. Le monstrueux le dispute alors au divin, et déjà se pose le problème du polygénisme : « On se demande encore s'il est croyable qu'il soit sorti d'Adam, certain genre d'hommes monstrueux dont l'histoire fait mention : certains n' ont qu'une coudée de haut, ils sont dits pygmées chez les Grecs » 2. Les traditions africaines font aussi souvent état, par exemple chez les Dogon, de peuples de petite taille parmi leurs prédécesseurs. La définition du Pygmée est à la fois biologique (aspect extérieur) et culturelle (mode de vie, excellemment décrit par Bahuchet et Thomas, 1981), mais puisque leur nom se réfère avant tout à un caractère morphologique, la petite taille (nvycov, la petite coudée, 33 cm), il est justifié d'interroger l'anthropologie physique sur une définition organique du terme. On se limitera aux Pygmées africains, souvent désignés dans la littérature ancienne sous le nom de Négrilles 3, Twides pour les auteurs allemands (Gusinde, 1956). 1 . Lettre du pharaon Pépi II de la Vie dyn. à son général Herkhouf (2360 av. J.-C.) ; dessin sur le mur d'une tombe de la Vè dyn. avec mention du nom « Aka » ; Homère Iliade III, 6 ; Strabon Geogr. I, VII, XV, 57 ; Nosonnus Dy ony sos I, II ; Ovide, Métamorphoses I, VI, 90, Fast. I, VI ; Juvénal Sat. XIII, 173 ; Stat. 1,1 Styl 6 ; Claudian. Carm. 40 ; Aristote De Animalibus Historiae VII, 12 ; Photius Narrât. 40 ; Pline Hist. Nat. VI, 35 ; Pomponius Mela I. Ill, 4 et VII, 8 ; Aulu Gelle Noct. An. IX, 4 ; Hérodote II, 32 et IV, 43 ; Ctésias De Rebus indicis 1 1 ; Philostrate Vit. Apoll 111,47. . . Aristote dit en particulier : « C'est ce canton (les sources du Nil) qu'habitent les Pygmées, dont l'existence n'est point une fable, c'est réellement comme on le dit une espèce d'hommes de petite stature, et leurs chevaux sont petits aussi. Ils passent leur vie dans des cavernes ^(traduction Camus, 1785). Le passage de Ctésias concerne les Pygmées asiatiques « noirs, camus et laids », Pline indique plusieurs zones géographiques d'Europe, d'Afrique et d'Asie (éd. Littré, I, 191, 227, 250, 283, 401) 2. Saint-Augustin, La Cité de Dieu, livre XVI, chap. 8 (écrit en l'an 427). L'assimilation du dieu égyptien Bès à un Pygmée n'est pas établie, de même que certaines descriptions où la pathologie (nanisme) peut être en cause. Cependant, pour Bahuchet (1993), le hiéroglyphe dng (restitué en deneg, ou danga, et qui n'est du reste connu que par deux inscriptions), figuré par le dessin d'un homme aux jambes courtes, est associé à la notion de nanisme héréditaire et donc de peuple, alors que le nain pathologique, accidentel, est nommé nmw. 3 . Ce terme signifiant « Petits Noirs », par opposition à « Grands Noirs » encore employé pour désigner les villageois Bantou, créé par Hamy (1876) et repris dans Crania Ethnica, est forgé sur le modèle de l'espagnol Negrito (diminutif de Negro, Noir), nom donné par les premiers conquérants de l'île de Luçon, dans les Philippines, aux « petits hommes noirs de la montagne ». En Asie (Genet- Varcin 1951), on distingue les Negritos stricto sensu ou Aètas aux Philippines, les Andamanais (appelés Mincopies au XlXè siècle), et les Semang dans la presqu'île de Malacca. En Océame, on les rencontre en Nouvelle- Guinée et en Nouvelle-Bretagne. ADAPTATION BIOLOGIQUE ET VARIATION DANS L'ESPÈCE HUMAINE LE CAS DES PYGMÉES D'AFRIQUE 419 II existe d'autres populations tropicales de petite taille, les Negritos de Papouasie et les Veddas de Ceylan, et jusqu'aux années 50 (voir par exemple W. Schmidt, 1910, Leroi- Gourhan et Poirier, 1953), uploads/Geographie/ froment-pygmees-bmsap.pdf
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- Publié le Jui 18, 2021
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