Turquie sur ligne de faille géopolitique 18 novembre 2006. Chypre. Les analyste
Turquie sur ligne de faille géopolitique 18 novembre 2006. Chypre. Les analystes se suivent et se ressemblent. Après qu’un de ses confrères très en vue a donné son interprétation de l’actualité dans un journal concurrent, Alexandre Adler expose ses propres théories dans le Figaro d’aujourd’hui. Il a rédigé un réquisitoire contre les ennemis de la Turquie, ceux déclarés, mais aussi ceux qui doutent de sa place dans l’Union européenne. Il faut prendre au sérieux l’auteur puisqu’« une véritable conspiration » anti-turque agit en sous-main. Alexandre Adler nous détaille la liste des comploteurs : les fourbes qui dressent des « obstacles juridiques et culturels à l'adhésion turque de manière à provoquer, d'abord en Turquie, une réaction de rejet de l'Europe qui leur évitera d'avoir à assumer un non franc et argumenté », les Arméniens descendants des rescapés du génocide – que des politiciens français peu scrupuleux montent contre la Turquie – les Chypriotes grecs, les arabes ou encore les Chrétiens « intégristes à tendance raciste. ». Du côté des gentils – nous dit Alexandre Adler – se rangent heureusement les Grecs. Vous pensiez aux nationalistes hellènes ? Détrompez-vous :« une nouvelle génération politique à Athènes a bien changé la donne ». Pas de doute ni d’hésitation, « Aujourd'hui, les élites politiques et patronales grecques, beaucoup plus sûres de leur avenir et bien mieux intégrées au processus de décision européen, notamment à Francfort avec leur grand banquier central Papademos, considèrent l'adhésion de la Turquie comme un processus inévitable dont la Grèce pourrait tirer avantage dans tous les domaines. » Mais tous les Grecs ne rentrent pas dans la bonne catégorie. Il y a des traîtres qui, à Chypre, parasitent les démarches d’adhésion de la Turquie, « qui, gouvernés par une coalition de la gauche et des nationalistes intransigeants, ont, eux, refusé par référendum le plan de réunification de l'île élaboré par Kofi Annan, au moment même où les Chypriotes turcs l'approuvaient massivement par conviction véritablement européenne. » Les conclusions d’Alexandre Adler méritent que l’on s’y arrête. Peut-on cautionner une vision manichéenne, qui se contente d’opposer les bons et les méchants ? Que valent les théories du complot qui mettent « dans le même sac » des supposés comploteurs que tout semble opposer ? Que signifient des étiquettes infamantes et indéfinies du type « intégriste à tendance raciste » ? Je me permets enfin de regretter la personnification des Etats, mauvais pli coutumier des analystes en relations internationales. LA Turquie, pas davantage que LA Grèce, ou Chypre ne sont des personnes. Jusqu’à preuve du contraire, l’étude d’une personne, d’un groupe ou d’une classe sociale (psycho – ou socio – logie) n’ont pas d’équivalent à l’échelle d’un Etat. Le déterminisme m’exaspère, que les sciences humaines déconsidèrent depuis des lustres. Rien n'y fait, au demeurant. N'en déplaise aux commentateurs, la diplomatie répond de toutes façons à des logiques floues, non à des règles préétablies. Pour résumer en substance l’opinion d’Alexandre Adler, la Turquie bénéficie de son appui en tant qu’analyste, par qu’elle soutient Israël. Comment explique-t-il dans ces conditions que ce même pays trouve tout aussi bien des terrains d’entente avec l’Iran (sur la répression des Kurdes, entre autres), dont le président profère à longueur de discours des insultes antisémites ? Dans un autre exemple, celui de Chypre, l’auteur présente deux catégories de Chypriotes, côté blanc et côté noir. Il ne fait aucun doute que les habitants du secteur septentrional, au nord de la ligne Attila, bénéficient de ses faveurs : jusqu’à l’injustice. Alexandre Adler tait le débarquement militaire de l’armée turque en 1974, l’exil forcé de dizaines de milliers de personnes vers le sud (surtout classées comme grecques), jamais indemnisées et remplacées par des colons ; sans aucun respect du droit international. Il refuse de replacer dans son contexte la rancœur certes trop tenace au sein de cette population méridionale vis-à-vis des Turcs. Trois décennies durant, Chypre (sud) a connu néanmoins un développement économique sans comparaison avec le marasme du versant turc de la ligne Attila ; lui seul a permis cette partie de l’île à obtenir son ticket pour l'Europe, l'intégration dans l’Union. La fierté de la population (sud –) chypriote frise au chauvinisme étroit (pour expliquer les soutiens à l'équipe au pouvoir à Nicosie). Elle la rend donc hostile à une réunification désormais perçue comme une deuxième injustice, qui répèterait celle de 1974. Pour en savoir plus, voir ce dossier. Il me paraît facile d’ironiser à des milliers de kilomètres de Nicosie. * 24 mars 2007. Istanbul. Probablement la plus grande métropole européenne (en concurrence avec Londres et Paris), Istanbul se partage entre deux rives du Bosphore, distantes de 1,5 kilomètre en moyenne ; un tunnel routier permettra en 2009 de doubler le pont qui relie le nord au sud de l’agglomération, juste à l’est de la vieille ville : voir ici. Capitale byzantine puis ottomane, elle a rapidement cessé de jouer ce rôle dans une Turquie devenue indépendante à l’issue de la Première Guerre Mondiale. Ankara la supplante et devient capitale en octobre 1923, par décision du nouveau président Mustapha Kemal. Atatürk – pourtant lui-même natif de Salonique, le grand port du nord de la mer Egée – décide à cette occasion de déplacer le centre de gravité de la Turquie moderne vers l’Anatolie, au cœur de l’Asie mineure et des provinces turcophones, en l’éloignant du littoral hellénisé ouvert sur la Méditerranée. Le déménagement ne leur suffisant apparemment pas, les nouvelles autorités procèdent en 1930 à une modification toponymique. Ils effacent le mot Constantinople au profit de celui d’Istanbul, qui désignait jusque là la vieille ville : la nouvelle appellation ôte toute connotation grecque, mais signe en même temps la schizophrénie nationaliste des responsables turcs de l’époque (voir ici ). Il n’empêche, plus de quatre-vingts ans après, Constantinople – Istanbul compte selon les estimations et les couronnes périphériques retenues, entre 11 et 15 millions d’habitants : au bas mot, trois fois la population de la capitale officielle. Si les institutions nationales et le corps diplomatique siègent à Ankara, Istanbul accueille les principales entreprises du pays. Et lorsqu’ils doivent quitter leurs campagnes, les montagnards de l’est préfèrent Istanbul à Ankara, même si c’est pour loger dans un habitat précaire. Car la mégalopole compte un certain nombre de bidonvilles. L’article du Monde du 22 mars 2007 donne de nombreux détails sur la destruction de l’un d’entre eux, une rénovation qui dissimule mal une opération destinée à refouler en périphérie une foule d’indésirables. Des centaines de Kurdes habitent le bidonville d’Ayazma « sur une colline à la périphérie de l'agglomération, coincées entre l'autoroute et l'immense stade olympique. » Plutôt que d’avouer une impuissance vis-à-vis de gangs mafieux qui font régner la loi du plus fort (« En un mois, une douzaine de bus ont été attaqués aux cocktails Molotov. »), les autorités justifient la destruction du bidonville par la lutte contre le PKK, le Parti des travailleurs kurdes) : assimilation simpliste entre pauvreté et terrorisme. Mais le journaliste tombe lui aussi dans une simplification ethniciste : selon lui, (tous ?) les Kurdes d’Ayazma auraient fui les régions contrôlées par l’armée turque. Or il convient de rappeler l’importance de l’exode rural dans un pays comme la Turquie, et l’attirance des grandes métropoles. La vitalité économique d’Istanbul implique de forts besoins en main d’œuvre peu qualifiée, ne serait-ce que pour le secteur du bâtiment et des travaux publics. Achevé en 2003, le stade olympique jouxtant le bidonville d’Ayazma accueille jusqu’à 100.000 personnes et rentre à ce titre dans la courte liste des plus grands stades certifiés cinq étoiles par l’UEFA. Il représente un bon exemple des plus grands chantiers menés dans la capitale, ici sous la direction d’un cabinet d’architecte remarqué pour la réalisation du Stade de France à Saint-Denis ; voir ici. Les activités commerciales ou encore les services domestiques attirent également les bas salaires, qui participent à leur échelle au dynamisme économique d’Istanbul. Mais, comme dans d’autres métropoles confrontées au problème des quartiers déshérités, les autorités municipales ont choisi de reclasser le bidonville d’Ayazma (sans doute sous la pression du voisinage exaspéré par l’insalubrité et inquiet de la violence). Guillaume Perrier montre que l’opération d’urbanisme est radicale, puisque les habitants ne peuvent se réinstaller sur place, mais il ne dit rien des projets de reconstruction. Pourquoi les résidents ne peuvent-ils pas s’y reloger ? N’y a-t-il pas, à côté d’une telle infrastructure sportive, un potentiel de construction valorisable ? Quels en seront les bénéficiaires ? En attendant, les familles kurdes encore très marquées par leur passé rural doivent s’exiler ; « A Ayazma, les villageois avaient amené leur mode de vie. Les poules ont été victimes de la grippe aviaire, mais vaches et chèvres paissent au milieu du bidonville. ‘Je suis triste pour mes arbres fruitiers, dit Masallah. Ils étaient comme mes enfants.’ » Le journaliste précise que seuls les anciens propriétaires ont bénéficié d’un relogement ; les autres sont probablement partis gonfler les rangs des habitants d’autres quartiers pauvres d’Istanbul (gain ?). Les plus chanceux se plaignent. Mieux intégrés dans la ville que uploads/Geographie/ turquie-sur-ligne-de-faille-geopolitique 1 .pdf
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- Publié le Nov 05, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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