Monsieur Frantz Grenet Découverte d'un relief sassanide dans le Nord de l'Afgha

Monsieur Frantz Grenet Découverte d'un relief sassanide dans le Nord de l'Afghanistan (note d'information) In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 149e année, N. 1, 2005. pp. 115- 134. Citer ce document / Cite this document : Grenet Frantz. Découverte d'un relief sassanide dans le Nord de l'Afghanistan (note d'information). In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 149e année, N. 1, 2005. pp. 115-134. doi : 10.3406/crai.2005.22838 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_2005_num_149_1_22838 NOTE D'INFORMATION DÉCOUVERTE D'UN RELIEF SASSANIDE DANS LE NORD DE L'AFGHANISTAN, PAR M. FRANTZ GRENET, CORRESPONDANT DE L'ACADÉMIE A la fin de février 2004, le Dr Jonathan Lee, un historien et sociologue britannique travaillant en Afghanistan pour des orga nisations humanitaires et avec lequel j'avais autrefois publié les peintures du sanctuaire rupestre de Ghulbyân (ive-ve siècles)1, me faisait parvenir les photographies qu'il avait prises d'un grand relief à ciel ouvert. Ce relief, localement connu sous le nom de Rag-i Bibi (« la veine de la Dame [Fatima] »), est situé à une dizaine de kilomètres au sud de Pul-i Khumri, la première ville que l'on rencontre dans la plaine de Bactriane lorsque l'on vient de Kabul par la grande « route du nord » (fig. 1). Taillé dans la falaise de grès, il domine de 105 mètres la rive gauche (ouest) du Surkhâb, cours supérieur de la rivière de Kunduz (le Dargomanès de Ptolémée, le Darghâm du Moyen Âge). On peut l'apercevoir à la jumelle depuis la route moderne située sur l'autre rive (fig. 2). Il . peut paraître surprenant que personne ne l'ait remarqué jusqu'ici, pas même les fouilleurs de la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA) qui ont travaillé de nombreuses années sur le site de Surkh Kotal, à 25 kilomètres plus au nord. En réalité le secret de son existence était jalous ement gardé par les habitants du village voisin, Shâmarq, qui se le réservaient comme un lieu de pèlerinage censé inclure l'image de Bibi Fatima, la fille du Prophète2. C'est seulement à la fin de 2001, 1. Fr. Grenet, J. Lee et R. Pinder-Wilson, « Les monuments anciens du Gorzivân (Afghanistan du Nord-Ouest) », Studia Iranica 9 (1980), p. 69-98, pi. I-V ; Fr. Grenet et J. Lee, « New light on the Sasanid painting at Ghulbiyan, Faryab province, Afghanistan », South Asian Studies 14 (1998), p. 75-85. 2. Le personnage considéré comme Fatima était le premier cavalier derrière le roi, pris pour une femme à cause de son large collier et de ses pectoraux rebondis. Le cavalier royal chassant le rhinocéros était sans doute pour sa part considéré comme Ali, que des légendes (notamment à Bâmiyân) mettent en scène dans le rôle de tueur de dragons. Rag « la veine » désigne les veines violacées qui parcourent la roche gris-ocre, ou peut-être les traces de peinture rouge. 116 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS u m y Fig. 1. - Relief de Rag-i Bibi, localisation (toutes les illustrations ont été réalisées par François Ory, CNRS - UMR 8546). lorsque des partisans locaux des Taliban se furent attaqués au relief en lui causant des dommage limités, que le village notifia son existence à l'administration locale afin qu'elle prenne des mesures de protection. Même alors il fallut plusieurs mois pour que l'information parvienne à mon collègue anglais. En décembre 2003 il se rendit sur place, comprit aussitôt le caractère DECOUVERTE D'UN RELIEF SASSANIDE 117 Fig. 2. - Le relief vu de la route moderne (emplacement indiqué par le cadre). Le sentier d'accès actuel est à droite, à la même hauteur. unique du monument dans tout ce qui était connu en Afghan istan, sut établir sa date approximative, et me communiqua ses photographies. Trois mois plus tard, grâce à une subvention du ministère des Affaires étrangères et de l'École normale supérieure, j'ai pu monter une mission d'étude dans le cadre de la DAFA, avec l'appui de son directeur Roland Besenval. A cette mission, qui s'est déroulée du 20 au 27 mai participaient, outre moi-même, Jonathan Lee, François Ory, dessinateur au C.N.R.S., et Philippe Martinez, ingénieur de recherche. Celui-ci a effectué un relevé au scanner tri-dimentionnel qui permettra, en cas de malheur, de réaliser une reproduction à l'identique3. Venons-en à l'œuvre elle-même (fig. 3 et 4). Large de 6,50 m et haute de 4,90 m, elle est travaillée en plans successifs et atteint 3. La découverte a fait l'objet d'un premier article par P. Barthélémy (photographies de Fr. Ory) dans Le Monde 2 du 6 novembre 2004 : « Dans les montagnes afghanes," une étrange chasse au rhinocéros », p. 62-65. Elle avait été annoncée à la communauté scienti fique par une communication au colloque international After Alexanden : Central Asia . before Islam, Londres, 23-25 juin 2004, présentée par Fr. Grenet, J. Lee, Ph. Martinez et Fr. Ory : « The Sasanian relief at Rag-i Bibi (Northern Afghanistan) », à paraître en 2006 ou 118 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS o a, 13 i en 6 8 Fig. 4. - Relevé en trois dimensions avec les divers éléments mis en évidence et légèrement écarté tête du cheval, devant l'arc, est cassée) ; 2 : Kouchan ; 3 : manguier ; 4 : rhinocéros courant ; 5 : rh tête tournée de trois quarts ; 6 et 7 : cavaliers de la suite (le second lève le bras droit) ; 8 : ruba extrémités d'un diadème tenu par un putto). 120 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS une profondeur maximale de 2,50 m au niveau du poitrail du cheval royal (fig. 5), ce qui est un cas unique dans toute la série des reliefs rupestres iraniens. L'ensemble de la composition, d'un grand dynamisme, est affecté d'un mouvement tournant qu'on trouve aussi, mais pas au même degré, avec l'un des reliefs de Shâpûr Ier (Bishâpùr III). Les fissures de la roche ont causé quelques déboires aux sculpteurs, qui ont été contraints de comp léter de nombreux détails, surtout des têtes et des avant-bras, au moyen de pièces adventices scellées dans des mortaises. Toutes ces pièces ont disparu, mais l'œuvre n'en demeure pas moins spectaculaire par la maîtrise d'exécution, la précision des détails et le naturalisme d'ensemble (qu'on peut apprécier par exemple dans le rendu des veines des pattes du cheval). Des traces de plâtre et de peinture rouge subsistent dans de petites sections très abritées, notamment à la balustrade supérieure sculptée que protège le surplomb de la roche. Cela permet de supposer qu'une partie du relief était peinte, probablement même la totalité, étant donné qu'on n'observe nulle part, de polissage : les outils employés sont le ciseau à cinq dents (déjà observé sur les reliefs sassanides d'Iran) et la gouge. Au centre de la scène se trouve un cavalier figuré à une échelle supérieure à tous les autres personnages : on peut restituer sa hauteur debout à 2,40 m, contre environ 2 m pour les trois autres. De son bras gauche il tend en avant un arc avec lequel il tire sur un gros animal à l'arrière-train couvert d'écaillés et qui s'enfuit dans la direction opposée; tandis qu'un second animal, ou plus vraisemblablement le même, agonise plus bas derrière un rocher, la langue pendante (fig. 6). Malgré la perte des pièces rapportées qui figuraient la corne et' les oreilles il est incontestable qu'il s'agit d'un rhinocéros indien (rhinocéros unicornis). Les détails anatomiques sont si réalistes qu'on peut penser que le sculpteur, ou l'un des sculpteurs à l'œuvre sur ce relief, avait vu de ses yeux 2007, avec les Actes du colloque, dans la série des Proceedings of the British Academy (Oxford) et sous la direction de J. Cribb et G. Herrmann. La présente note d'information donne un résumé de cette présentation, avec quelques développements nouveaux. Voir aussi Fr. Grenet, « Nouvelles découvertes sur la période sassanide en Afghanistan », dans L'art d'Afghanistan de la Préhistoire à nos jours. Nouvelles données, Paris, CEREDAF, 2005, p. 85-94. Fig. 5. - L'avant-train du cheval royal. Le sabot de la patte droite (cassée) repose sur l'image du rocher devant le milieu du corps du rhino céros mourant. Fig. 6. - La tête du rhinocéros mourant (en bas à droite, essai de restitution avec les pièces rapportées). 122 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS cet animal4. Il a su reproduire les traits qui le distinguent sans équivoque de l'éléphant : les écailles arrondies sur la croupe, la peau rugueuse au milieu du corps et sur le dos (rendue par de longs traits obliques ou incurvés, creusés à la gouge), la queue assez courte et épaisse. Il a vu l'animal courir et, là encore, il a retenu la spécificité de son allure : les pattes avant ramenées sous le ventre, l'articulation inférieure des pattes arrières pliée en avant et non en arrière comme c'est le cas pour l'éléphant. La seule exagération fantastique qu'il se soit permise est la rangée de dents triangulaires dans la gueule du rhinocéros mourant (la tête du rhinocéros courant manque), alors que le rhinocéros indien n'a que deux incisives pointues à la mâchoire inférieure. Ce détail n'a uploads/Geographie/ grenet-f-decouverte-d-x27-un-relief-sassanide-dans-le-nord-de-l-x27-afghanistan-2005-crai.pdf

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