Les Chemins de la Mémoire-n°229-Septembre 2012 P.7 Les origines de l’Indochine
Les Chemins de la Mémoire-n°229-Septembre 2012 P.7 Les origines de l’Indochine française Initiée par des missionnaires et poursuivie par des commerçants et des militaires, l’implantation des Français au Vietnam se fit au coup par coup. Jusqu’au XIXe siècle, ils rêvèrent des Indes et de la Chine. Faute de mieux, une fois installés sur la vieille terre du Dai Viet, ils la baptisent Indochine… Conquête du Tonkin : siège de Tuyên Quang contre les Chinois. Dessin de Henri Meyer, 1885. © Roger-Viollet Missionnaire. © DR, coll. particulière Le gouverneur (Tong Doc) de Hanoï et sa suite, vers 1884. © Photo du Dr Hocquard / coll. Eric Deroo Affiche patriotique, 1885. © Coll. Eric Deroo a très longue histoire du Viet- nam se confond pendant des siècles avec celle de la Chine. Venues du sud de cet empire à la fin du IIIe siècle avant J.C, les premières populations Viêt s’ins- tallent au nord de l’actuel Vietnam et n’auront de cesse de se libérer de la tutelle du puissant voisin. Ain- si, le premier millénaire est-il mar- qué par des batailles légendaires entre Vietnamiens et Chinois, pé- riode qui voit émerger des grandes dynasties en même temps que se constitue un réel sentiment natio- nal. Une fois leur pouvoir établi et reconnu par des liens de vassali- té avec la Chine, les souverains du pays viêt entreprennent l’occupa- tion progressive de toute la pénin- sule, une marche vers le sud connue sous le nom de Nam Tien. C’est donc à un royaume marqué par ses victoires contre la Chine, doté d’un pouvoir central, d’une administration territoriale, d’une législation reconnue et d’un mode d’enseignement fondé sur des valeurs culturelles partagées, que les missionnaires et, bientôt, les conquérants français, entendent apporter les bienfaits de leur civi- lisation. Ainsi débute l’aventure des Jésuites au Vietnam qui, chassés du Japon à partir de 1612, cherchent d’autres terrains de mission en Asie. Cachés à bord des rares navires portugais qui commercent avec le royaume d’ « An-Nam », quelques prêtres dé- barquent en Cochinchine, puis au Tonkin. Imprégnées des vieux prin- cipes confucéens, les autorités man- darinales tolèrent localement leur apostolat mais, de plus en plus in- quiètes devant les milliers de conver- sions qu’il suscite, elles décident, vers 1628, de les expulser. Parmi eux, Alexandre de Rhodes. Très actif, il a créé le quôc-ngu, alphabet roma- nisé et phonétique de la langue viet- namienne, jusqu’alors fondée sur les idéogrammes chinois. En 1649, il vient plaider, à Rome, pour l’en- voi dans ces pays d’évêques qui au- raient la charge de promouvoir un clergé indigène, capable de survivre aux persécutions. La papauté, qui cherche à se libérer du vieux mono- pole de l’Espagne et du Portugal sur les missions, le dirige vers la France où de nombreuses associations en- tendent participer à l’œuvre mis- sionnaire. Une action qui finit par porter ses fruits avec la fondation, en 1658, du séminaire des Mis- sions étrangères de Paris, dont les trois premiers vicaires apostoliques parviennent à s’implanter dans ce qu’on désigne alors comme la Co- chinchine et le Tonkin. Forts des dizaines de milliers de commu- nautés qu’ils animent, les prêtres vont, peu à peu, participer à la vie politique et économique. Ainsi en 1787, Pigneaux de Béhaine, vi- caire de Cochinchine, soutient le prince Nguyen Anh, de la dynas- tie des Nguyen, dans les combats qui l’opposent aux rebelles Tay Son. Un traité est même signé avec Louis XVI et une aide militaire ac- cordée. La Révolution française enterrera ces relations diploma- tiques ; celles-ci auront pourtant permis à Nguyen Anh de monter sur le trône impérial sous le nom de Gia Long, en 1802. Après avoir reconquis les provinces du Centre et du Nord, ce dernier proclame Dossier L Les Chemins de la Mémoire-n°229-Septembre 2012 P.8 Dossier Les origines de l’Indochine française La mort de Francis Garnier (tué par les Pavillons noirs lors d’une embuscade), gravure de Castelli, 1878. © Roger-Viollet l’avènement du « Vietnam ». Il édicte, en 1815, un code qui ser- vira de fondement politique et ju- ridique à ses successeurs, lesquels supporteront de moins en moins le rôle que prétendent jouer les mis- sionnaires français. Face à la péné- tration occidentale en Asie, en par- ticulier des Anglais en Inde puis en Chine, les différents souverains vietnamiens se rapprochent de leur suzerain chinois et ordonnent la persécution des catholiques. Un édit de 1836 décrète « la mise à mort de tout prêtre européen capturé à l’intérieur du pays ». Consolidés dans leur foi par la perspective du martyre et soutenus par un renou- veau certain de l’Église en Europe, les chrétiens lancent des appels de plus en plus pressants à la France. Malgré la réticence des gouver- nements, ils vont finir par éveiller l’intérêt des escadres navales qui sillonnent au large des côtes d’Asie et, à partir de 1852, l’attention de l’impératrice Eugénie, épouse de l’empereur Napoléon III et protec- trice des missions. La France au secours des missions Ayant trouvé leur justification mo- rale avec les massacres de chrétiens, les canonnades de la Marine fran- çaise devant Tourane, au Centre- Annam en 1856, vont permettre à Napoléon III de développer ses ambitions dans cette région du monde. Et ce, pour trois raisons. Il s’agit premièrement de « coller » à l’Angleterre en Extrême-Orient sur le plan diplomatique et commer- cial, de conforter son puissant élec- torat catholique, et enfin de hisser haut le pavillon français. Mais c’est sans réelles instructions de Paris que, de « redresseurs de torts », les amiraux vont se muer en conqué- rants. En 1858, les flottes françaises et britanniques s’emparent des forts de Takou en Chine du Nord ; au retour, l’amiral Rigault de Ge- nouilly occupe brièvement la baie de Tourane. L’année suivante, il prend pied à Saigon... Dès lors, les opérations militaires s’enchaînent malgré les tentatives de négocier de l’empereur Tu Duc. Mais, ce que les religieux annonçaient comme une courte campagne dans un pays barbare et déliquescent, va se heur- ter à un réel mouvement de résis- tance patriotique. En 1861, après avoir mis à sac Pé- kin, le corps expéditionnaire de l’amiral Charner investit la Co- chinchine, au sud de la péninsule, avec la ferme intention de s’y éta- blir. Le 5 juin 1862, son successeur, l’amiral Bonard, négocie les termes d’un traité par lequel les trois pro- vinces orientales de la Cochinchine seraient cédées à la France en toute souveraineté. Menacé par une ré- volte au Tonkin, tiraillé entre dif- férents clans à la cour et incapable de coordonner l’action de ses par- tisans sur le terrain, l’empereur Tu Duc le paraphe en 1863. Au même moment, la France fait du Cam- bodge un protectorat. Enfin, en 1867, l’amiral de la Grandière finit d’annexer tout le sud du Vietnam, qui devient une colonie. De nom- breux villages se sont ralliés, lassés par la guerre et désorientés par l’at- titude ambiguë du souverain, mais il faudra encore plusieurs années aux troupes de marine pour paci- fier des localités que mandarins, let- trés et paysans ont érigées en foyers de résistance. Le coût est lourd : des dizaines de milliers de victimes du côté vietnamien et, pour les Fran- çais, deux cents millions de francs- or et deux mille morts, sans comp- ter ceux des troupes supplétives lo- cales, souvent catholiques. Un rêve de Chine Alors que la France se remet à peine de sa défaite face à l’Allemagne en 1870, en Cochinchine, militaires, missionnaires et commerçants sont bien décidés à étendre la conquête au nord. Plusieurs facteurs les y en- couragent : l’incapacité de l’empe- reur d’Annam à réduire les bandes chinoises qui écument la frontière, la volonté des catholiques persécu- tés de renforcer leur implantation et surtout le désir d’accéder direc- tement au cœur de la Chine avant les Anglais. Avec le percement du canal de Suez, de nouveaux hori- zons s’ouvrent à une colonie ex- sangue. Deux grands fleuves, le Mékong et le fleuve Rouge, qui ont leurs sources au Tibet et leurs es- tuaires au sud et au nord du Viet- nam, fascinent particulièrement les explorateurs français qui pen- sent trouver là des voies d’accès directes à l’Empire du Milieu. En 1868, partie du Cambodge, la mis- Chromolithographie illustrant le traité de protectorat, vers 1885. © Coll. Eric Deroo Les Chemins de la Mémoire-n°229-Septembre 2012 P.9 sion Doudart de Lagrée révèle que le cours supérieur du Mékong est impraticable. Au Yunnan chinois, son adjoint, le lieutenant de vais- seau Francis Garnier, croise le commerçant Jean Dupuis qui pré- tend, lui, avoir parcouru un fleuve Rouge sans obstacles. Ces deux aventuriers, qui s’imaginent avoir enfin trouvé la voie de pénétra- tion idéale, vont sceller le destin de la colonisation. En 1872, contre l’avis du gouvernement mais sou- tenu par un lobby colonial nais- sant, Dupuis s’installe à Hanoi, capitale du Tonkin, berceau de la civilisation vietnamienne. L’ami- ral Dupré, gouverneur général de la Cochinchine, tout en tenant un discours d’apaisement avec Paris et Huê, trouve là prétexte à inter- vention. Il uploads/Geographie/ indochine-pdf 1 .pdf
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- Publié le Oct 16, 2022
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