Cahiers du monde russe et soviétique Le témoignage de Constantin VII Porphyrogé

Cahiers du monde russe et soviétique Le témoignage de Constantin VII Porphyrogénète sur l'état ethnique et politique de la Russie au début du Xe siècle Irène Sorlin Citer ce document / Cite this document : Sorlin Irène. Le témoignage de Constantin VII Porphyrogénète sur l'état ethnique et politique de la Russie au début du Xe siècle. In: Cahiers du monde russe et soviétique, vol. 6, n°2, Avril-juin 1965. pp. 147-188; doi : 10.3406/cmr.1965.1616 http://www.persee.fr/doc/cmr_0008-0160_1965_num_6_2_1616 Document généré le 03/06/2016 ÉTUDES LE TÉMOIGNAGE DE CONSTANTIN VII PORPHYROGÉNÈTE SUR L'ÉTAT ETHNIQUE ET POLITIQUE DE LA RUSSIE AU DÉBUT DU Xe SIÈCLE En dehors de la chronique de Kiev et de rares textes occidentaux ou arabes, peu de documents nous renseignent sur la situation de la Russie au début du Xe siècle. Un passage du De Administrando Imperio de Constantin Porphyrogénète constitue la source écrite la plus importante pour l'histoire de cette période. Il convient donc de voir dans quelle mesure on peut faire confiance à ce texte, puis quels renseignements il nous apporte sur la géographie et le peuplement, enfin quelle conception l'auteur s'était faite des rapports sociaux et politiques en Russie. Le passage se trouve au chapitre 9 de l'ouvrage1, en voici la traduction : « Des Rôs qui viennent de Rôsia avec leurs monoxyles, à Constantinople. » » Les monoxyles qui descendent de la Rôsia du dehors à Constantinople, viennent de Nebogardas où régnait Sfendosthlavos fils d'Iggôr, prince de la Russie, ils viennent aussi de la place de Miliniska, de Telioutza, de Tzernigôga et de Vousegrad. Tous ils descendent le fleuve Dnepr et se rassemblent dans la place de Kioaba que l'ont appelle aussi Sambatas. Les Slaves, leurs tributaires [des Rôs], appelés Kribètaiènoi , Lenzanenoi et les autres sclavinies, abattent, dans leurs * Une explication des principales abréviations est donnée à la fin de l'article. 1. Le De Administrando Imperio doit être consulté clans l'édition de G. Mo- ravcsik et R. J. H. Jenkins, « Constantine Porphyrogenitus De Administrando Imperio », Magyar Gôrôg Tanidmanyok, 29, Budapest, 1949. Cette édition comporte une traduction anglaise en regard du texte grec. Le chapitre 9 se trouve aux pp. 57-63. Un commentaire à cette édition, dû à R. J. H. Jenkins, E. Dvornik, B. Lewis, G. Moravcsik, D. Obolensky et S. Runciman, est paru sous le titre : Constantine Porphyrogenitus De Administrando Imperio, Commentary, Londres, 1902. I48 I. SORLIN montagnes, durant l'hiver, les monoxyles, et les ayant assemblés, au tournant de la saison, lorsque la glace a fondu, ils les font entrer dans les lacs voisins. Comme ceux-ci se jettent dans le fleuve Dnepr, Hs [les Slaves] pénètrent de là dans le fleuve, arrivent à Kiov, traînent les monoxyles jusqu'à l'arsenal, et les vendent aux Rôs. Les Rôs n'achètent que les coques seules et démontant leurs vieux monoxyles ils en adaptent, sur ces dernières, les écopes, les tolets et autres instruments nécessaires [et ainsi] les équipent. » Au mois de juin ils se mettent en route par le fleuve Dnepr, descendent à Vitetzébè qui est une place tributaire des Rôs, se rassemblent là pendant deux ou trois jours jusqu'à ce que soient réunis tous les monoxyles, puis se remettent en marche et descendent ledit fleuve Dnepr. Et tout d'abord ils arrivent au premier barrage, nommé Essoupè, ce qui veut dire, en russe et en slave, ' ne dors pas ! '. Ce rapide n'est pas plus large que le Tzykanistèrion. En son milieu se dressent de hauts rochers qui affleurent comme des îles. L'eau s'y précipite, déborde et rejaillit jusqu'à l'autre rive en faisant un bruit épouvantable. Aussi les Rôs n'osent-ils pas passer parmi ces roches, mais ils accostent au voisinage, débarquent les hommes sur la terre ferme en laissant les autres marchandises dans les monoxyles, puis, nus, ils tâtent le fond avec leurs pieds [...] afin de ne pas heurter quelque roche. Ils procèdent ainsi, les uns à la proue, les autres au milieu [du monoxyle] tandis que d'autres, à l'arrière, manœuvrent avec des perches et avec cette entière précision, ils passent le premier barrage en suivant la courbe et la rive du fleuve. Lorsqu'ils ont passé ce barrage ils repartent après avoir rembarqué ceux de la terre ferme, et descendent jusqu'au barrage suivant, appelé en russe Oulvorsi, et en slave, Ostrovouniprach, ce qui signifie : ' l'île du rapide '. Celui-ci, autant que le premier, est dangereux et difficile à franchir. Débarquant à nouveau leurs gens, ils font passer leurs monoxyles comme précédemment. Ils franchissent de la même façon le troisième rapide, appelé Gelandri, ce qui veut dire en slave ' le bruit du rapide ' ; puis le quatrième, le plus grand, nommé en russe Aeifor et en slave Neasit, parce que les pélicans nichent dans ses grandes roches. Là tous les monoxyles accostent, proue en avant, et les hommes désignés pour veiller en sortent et s'en vont monter une garde vigilante à cause des Petchénègues. Les autres se chargent des marchandises qui se trouvaient dans les monoxyles, tandis que les esclaves tirent ceux-ci avec des chaînes sur la terre ferme durant six milles, jusqu'à ce qu'ils aient contourné le rapide. Puis, les uns les traînant, les autres les portant sur leurs épaules, ils transbordent les monoxyles de l'autre côté du rapide. Ensuite les ayant mis à l'eau et ayant effectué leur chargement, ils rembarquent et naviguent à nouveau. Ils arrivent alors au cinquième rapide appelé Varouforos en russe et Voulniprach en slave, parce qu'il LA RUSSIE AU DÉBUT DU Xe SIÈCLE I49 forme un grand lac, et de nouveau ils dirigent leurs monoxyles le long des courbes du fleuve, comme pour le premier et le deuxième rapide, et ils atteignent le sixième, appelé Leanti en russe, et Veroutsi en slave, ce qui signifie : ' bouillonnement de l'eau ', et ils le passent encore de la même façon. Ils naviguent ensuite jusqu'au septième rapide, nommé en russe Stroukoun et en slave Naprezi, ce qui signifie : ' le petit rapide '. Puis ils franchissent le passage dit de Krarion, que traversent les Chersonites venant de Russie et les Petchénègues allant à Cherson ; ce passage a la largeur de l'Hippodrome, sa longueur depuis le bas jusqu'à l'endroit où les pierres affleurent1 est la portée de la flèche d'un archer. C'est pourquoi les Petchénègues descendent là pour attaquer les Rôs. Ayant dépassé ce lieu, ils [les Rôs] arrivent à une île portant le nom de Saint-Grégoire ; dans cette île ils accomplissent leurs sacrifices, car un chêne énorme se dresse là ; ils sacrifient des coqs vivants. Ils plantent des flèches tout autour [du chêne ?], d'autres [déposent] des morceaux de pain et de viande, et une part de ce que chacun possède, comme le veut leur coutume. Ils tirent aussi au sort à propos des coqs, soit pour les égorger, soit pour les manger, soit pour les laisser en vie. A partir de cette île, les Rôs craignent2 le Petché- nègue, jusqu'à ce qu'ils aient atteint le fleuve Selinas. Ayant quitté l'île ils naviguent pendant quatre jours jusqu'à ce qu'ils arrivent au lac que forme l'embouchure du fleuve, et dans lequel se trouve l'île de Saint-Aitherios. Ayant atteint cette île, ils s'y reposent durant deux ou trois jours. Puis ils équipent leurs monoxyles des choses nécessaires dont ceux-ci manquent, voiles, mâts, vergues, qu'ils avaient emportés avec eux. Comme l'embouchure du fleuve est constituée par ce lac dont nous avons parlé plus haut, qu'elle atteint la mer, et que l'île de Saint-Aitherios se trouve près de la mer, de là, ils se dirigent vers le fleuve Dnestr et lorsqu'ils y sont parvenus sains et saufs, ils se reposent à nouveau. Lorsque le temps est favorable, ils rembarquent et arrivent jusqu'au fleuve nommé Aspron, et après s'y être encore reposés, ils appareillent à nouveau et atteignent le fleuve Selinas qui est un bras du Danube. Et jusqu'à ce qu'ils aient dépassé le Selinas, les Petchénègues les suivent. Lorsqu'il arrive que la mer jette un monoxyle à la côte, tous les autres abordent pour opposer aux Petchénègues une défense commune. Après le Selinas, ils ne craignent plus personne, car c'est la terre bulgare qui les entoure, et ils se dirigent vers l'embouchure du Danube. Après le Danube ils atteignent Kônopa, après Kônopa, Konstantia [puis] le fleuve de Varna ; de Varna ils 1. Nous acceptons ici la correction proposée par R. J. H. Jenkins (D.A.I., p. 61 1), : « stoç стой rapaxôrTOUoiv ol çiXoi », du texte : « ëcoç ôtou rpoxû^Touotv CçaXoi » (jusqu'à l'endroit où surveillent les amis) qui est incompréhensible. 2. Le texte porte : « où çooouvtxi » (cf. Moravcsik-Jenkins, D.A.I., p. 60, ligne 79), mais la correction semble s'imposer du point de vue du sens. 150 I. SORLIN vont vers le fleuve Ditzina, toutes ces régions étant le territoire de la Bulgarie. De la Ditzina ils arrivent dans la région de Mesembria, et ce n'est que là que prend fin leur laborieuse, terrifiante, impossible et rude migration. » Durant l'hiver, la dure existence de ces mêmes Rôs est uploads/Geographie/ irene-sorlin-le-temoignage-de-constantin-vii-porphyrogenete-sur-l-x27-etat-ethnique-et-politique-de-la-russie-au-debut-du-xe-siecle-in-cahiers-du-monde-russe-et-sovietique-vol-6-n02-avril-juin-1965-.pdf

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