FRÉDÉRIC ARNAL L'ADAPTATION TECHNIQUE ET TACTIQUE DU COMBATTANT FRANC À L'ENVIR

FRÉDÉRIC ARNAL L'ADAPTATION TECHNIQUE ET TACTIQUE DU COMBATTANT FRANC À L'ENVIRONNEMENT PROCHE-ORIENTAL À L'ÉPOQUE DES CROISADES (1190-1291) par Frédéric ARNAL doctorant en histoire médiévale, Université Paul-Valéry/Montpellier III Lors des différentes croisades et expéditions militaires que lancèrent les Occidentaux et les Francs de Syrie à partir des États croisés, ils durent faire face à de nombreuses contraintes et problèmes tout à fait nouveaux pour eux. Tout d'a- bord, un milieu et un climat fort différents du leur : un relief rocailleux et difficile, des déserts de sable, des conditions climatiques éprouvantes alternant entre les plus fortes chaleurs ou au contraire des pluies diluviennes. Une autre difficulté majeu- re fut la rencontre avec un ennemi ayant une tradition du combat complètement opposée à la leur. En effet, la méthode de combat des Musulmans était basée sur la rapidité, la mobilité et le harcèlement, tandis que celle des Occidentaux était basée sur la défense et le choc. La tactique d'une armée relève toujours, entre autres et dans une certaine mesure, les possibilités techniques qui lui sont offertes par son équipement. Or, on a longtemps reproché aux Francs une incapacité à s'adapter aux conditions de combat de l'Orient et à imiter les méthodes des Musulmans. Cependant, le fait que les Francs aient pu conserver les États latins pendant près de deux siècles, face à un ennemi largement supérieur en nombre et malgré des pro- blèmes aigus de ravitaillement en armes, en chevaux et en hommes, nuance ces accusations. Faut-il voir cette présence de deux cents ans comme une victoire ou comme une défaite ? Il apparaît en fait que les Francs, souvent contraints par les événements, se sont livrés à un certain nombre d'adaptations au niveau de leur équipement, et plus encore au niveau tactique. Les forces franques ont dû s'adap- ter, notamment après la remise en cause de la toute puissance de la cavalerie franque par les Musulmans. Quelle ampleur ont connu ces adaptations ? Dans quel- le mesure ces adaptations étaient-elles nécessaires ? Est-ce qu'inversement le main- tien d'une certaine forme d'inadaptation n'a pas pu être une force, un atout déterminant ? Tout d'abord, il convient de souligner les adaptations techniques aux- quelles se sont livrés les Francs. Ensuite, nous verrons comment bien plus qu'une adaptation technique, il faut parler d'une adaptation tactique des combattants francs. Enfin, nous verrons quelles limites se sont posées à un plus grand nombre d'adaptations. LES ADAPTATIONS TECHNIQUES Les adaptations techniques, c'est-à-dire les adaptations de l'équipement et de la remonte, n'ont sans doute pas été aussi peu nombreuses qu'on l'a souvent cru. Cependant, ce furent souvent des adaptations contraintes par la pénurie d'équipe- ment ou de chevaux, plus que le résultat d'une véritable prise de conscience de la nécessité de s'adapter. On peut ainsi isoler trois causes d'adaptations techniques pour le combattant franc. La première est due aux conditions topographiques et cli- matiques de l'Orient. La seconde relève de la nécessité de se procurer de l'équipe- ment compte tenu de l'éloignement des bases occidentales et de la durée accrue des campagnes militaires. La troisième, enfin, est à rattacher à un certain désir d'imitation des Francs envers les Musulmans et à une volonté de s'adapter à leurs méthodes de combat. 35 Les contraintes du terrain et du climat Les armées franques n'étaient pas prêtes à affronter les dures conditions de l'Orient. En effet, qu'ils fussent chevaliers, fantassins ou archers, les combattants francs avaient en commun à des degrés divers, un équipement lourd, chaud et encombrant. Ainsi, Jacques de Vitry raconte que, lors de la Cinquième croisade, à Damiette en 1219, « le soleil était chaud et brûlant, les hommes de pied succombaient sous le poids de leurs armes, la fatigue de la marche accrut encore celle qui provenait de l'excessive chaleur [...] ils mouraient sans avoir reçu de blessures et succombaient d'inanition »(1). À Hattin, en 1187, l'armée franque fut anéantie en partie parce qu'el- le avait négligé de rechercher un terrain où les sources d'eau étaient abondantes ; les Francs sous leurs lourdes armures étaient exténués avant d'avoir commencé le combat(2). Après les grandes chaleurs, les combattants francs durent aussi affronter les grandes pluies. En hiver, des pluies diluviennes se produisaient parfois. Jacques de Vitry raconte par exemple que ces pluies duraient trois à quatre jours et étaient si fortes que la terre en était tout inondée, comme pour un déluge(3). Lors d'une pareille pluie, au cours de la Troisième croisade, l'armée de Richard Cœur-de-Lion perdit de nombreux chevaux et les hauberts se couvrirent d'une rouille que l'on pou- vait très difficilement enlever. Par ailleurs, la plus grande partie du littoral syrien était couverte de sable et de dunes(4). En 1239 à Gaza, les Francs, ainsi que leurs chevaux lourdement armés, s'enfonçaient dans le sable jusqu'à mi-genoux. L'armée franque se trouvait également en difficulté dans les montagnes de Syrie, très rocailleuses et très difficiles d'accès pour des Francs dont l'équipement était très mal adapté au terrain ; d'ailleurs, les tribus nomades ne manquaient pas d'y trouver refuge. Ces montagnes étaient tellement impraticables pour les chevaux francs, en 1190, qu'Imâd ad-Dîn les comparait à des citadelles(5). En 1242, l'armée impériale débarqua à Chypre dans un paysage montagneux où les chevaux francs trébuchaient et se blessaient les pattes sur les rochers(6). Pour se protéger des chaleurs, des tempêtes de sable et des grandes pluies, les Francs développèrent l'usage de la housse pour le cheval et de la cotte d'armes pour le combattant. Cette dernière était un type de tunique sans manche, descendant jus- qu'aux genoux, en peau ou toile épaisse. Elle était un moyen d'empêcher les armu- res de chauffer au soleil ou de rouiller sous la pluie. Ces deux protections étaient connues avant les croisades mais leur usage n'était pas encore très répandu. Les Templiers, eux, étendirent le port de la cotte d'armes à tous leurs combattants, ainsi que le port d'une chemise d'été. Par ailleurs, outre la housse de cheval destinée à protéger celui-ci des coups ou projectiles ennemis, la Règle du Temple opta pour une chemise de cheval, plus légère, destinée seulement à arrêter les rayons du (1) Jacques de Vitry, Lettres, in Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France, trad. M. Guizot, Paris, 1825, p. 365. (2) Cécile Morisson, Les Croisades, Paris, PUF, 1994, p. 51. (3) Jacques de Vitry, ibid., p. 172. (4) D. Marshall, Warfare in the Latin East, 1192-1291, Cambridge, 1992, p. 91. (5) Imâd ad-Dîn, Conquête de la Syrie et de la Palestine par Saladin, trad. Henri Massé, Paris, 1972, p. 327. (6) Gestes des Chiprois, dans R.H.C. Arm., T.II, Paris, 1906, p. 738. 36 CAHIERS DU CEHD soleil(7). La nuit, les Templiers disposaient aussi d'un grand manteau devant proté- ger leur selle de l'humidité de la nuit, qui était très grande(8). La couleur blanche du manteau et de la cotte des Templiers et des Teutoniques devait aussi être appréciée pour ses propriétés réfléchissantes. À l'inverse, le manteau brun ou noir des hospi- taliers et des sergents des ordres précédemment cités, était moins adapté. Bien plus qu'à de véritables modifications de l'équipement, on a assisté à une modification des usages. Ainsi, il semble que les chevaliers aient parfois opté pour des protections plus légères, qu'ils possédaient déjà en complément de leur équipe- ment. Ainsi, lors de la bataille de la Mansourah, en 1250, Joinville et ses compa- gnons portaient tous un gambeson et un chapel de fer(9). Le chapel de fer était le casque des sergents, rond à bord larges, protégeant du soleil ; le gambeson, lui, était une protection rembourrée que l'on portait sous le haubert. Le heaume était parti- culièrement étouffant pour les chevaliers : Saint Louis demanda par exemple à Joinville de lui prêter son chapel de fer car il étouffait sous son heaume. Les che- valiers templiers, eux, disposaient, en complément de leur heaume, d'un chapel de fer, dont le port était moins éprouvant sous les fortes chaleurs. De même, le hau- bergeon, étant plus court et plus léger que le haubert, pouvait être une solution. À la bataille de Jaffa, par exemple, en 1192, le roi Richard avait remplacé son haubert par un haubergeon. Les historiens se sont aussi beaucoup interrogés sur le couvre- nuque que les Francs auraient fixé sur leur casque pour se protéger de la chaleur(10) : certains sceaux montrent en effet un voile recouvrant plus ou moins le casque et flottant au vent. Il ne serait effectivement pas surprenant que les Francs aient essayé d'empêcher leur casque de chauffer alors que beaucoup d'entre eux mou- raient d'insolation. Lorsqu'on s'intéresse aux miniatures des différents manuscrits réalisés dans l'Orient latin, on peut supposer quelques modifications supplémentaires de l'équi- pement. Ainsi, de nombreux chevaliers représentés portent non pas des cottes d'ar- mes, mais des tuniques plus courtes et plus amples(11). On sait que les Francs de Syrie ont adopté en partie les vêtements amples, moins chauds, des Orientaux. De même, le mortier, ou coiffe, qui apparut au XIIIe siècle et que l'on portait sous le casque, faisait penser au turban des musulmans et pouvait uploads/Geographie/ l-adaptation-technique-et-tactique-du-combattant-france-a-l-x27-environnement-franc-a-l-x27-epoque-des-croisades.pdf

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