L'HABITAT INSOUTENABLE RECHERCHE SUR L'HISTOIRE DE LA DÉSURBANITÉ Augustin Berq
L'HABITAT INSOUTENABLE RECHERCHE SUR L'HISTOIRE DE LA DÉSURBANITÉ Augustin Berque Belin | L'Espace géographique 2002/3 - tome 31 pages 241 à 251 ISSN 0046-2497 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-espace-geographique-2002-3-page-241.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Berque Augustin, « L'habitat insoutenable Recherche sur l'histoire de la désurbanité », L'Espace géographique, 2002/3 tome 31, p. 241-251. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Belin. © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. 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Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Corse - - 90.8.136.70 - 15/08/2014 11h24. © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Corse - - 90.8.136.70 - 15/08/2014 11h24. © Belin RÉSUMÉ.— L’antinomie onto-géographique de l’écoumène (la terre habitée) à l’érème (la terre inhabitée) est ici examinée sous l’angle de la perte d’échelle, du fétichisme et du mécanicisme propres à l’habitat de Cyborg : le couple automobile-pavillon qui, exprimant son refus de la ville et son idéalisation de la nature, aboutit en fait à détruire celle-ci. CYBORG, DURABILITÉ, ÉCOUMÈNE, ÉRÈME, XINJIANG ABSTRACT.— Unsustainability in human settlements. Research on the history of disurbanity.— The onto-geographical antinomy of the ecumene (inhabited land) and the ereme (uninhabited land) is here examined with respect to the loss of scale, fetishism and mechanicism proper to Cyborg’s settlements : the couple of automobile and cottage which, expressing its refusal of the city and its idealization of nature, entails in fact the destruction of the latter. CYBORG, ECUMENE, EREME, SUSTAINABILITY, XINJIANG Ontologie de l’écoumène Désurbanité sera défini plus loin, à propos de capital social1. L’hypo- thèse comporte un plan onto- logique et un plan géo-historique. Ce dernier nourrit le corps du pré- sent article. Le premier, son indis- pensable fondement, ne peut ici qu’être résumé en guise d’introduc- tion2. Il repose sur l’idée que l’être humain ne se borne pas au contour d’un corps individuel, mais se déploie dans un milieu commun. Celui-ci est de nature éco-techno- symbolique. L’ensemble des milieux humains forme l’écoumène, relation de l’humanité à la Terre. Cette vue se fonde sur trois ordres de références, que focalisent les concepts suivants: l’être-au-dehors-de-soi3 et la médiance4, lesquels signifient que l’existence humaine est déploie- ment vers l’extérieur5. La médiance (du latin medietas: moitié), en par- ticulier, signifie que l’être est pour «moitié» constitué par un milieu; la corporéité comme synthèse d’un corps et d’un milieu6, ce dernier pouvant de ce fait être considéré comme un corps médial, prolonge- ment indissociable du corps animal dans l’espèce humaine7; EG 2002-3 p. 241-251 Augustin BERQUE Centre de recherches sur le Japon contemporain, EHESS-CNRS 105 boulevard Raspail, 75006 Paris berque@ehess.fr Position de recherche L’habitat insoutenable Recherche sur l’histoire de la désurbanité @ EG n°3 2002 241 1. Voir plus bas, note 26. 2. Je l’ai développé dans Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000, où l’on trouvera de plus amples références. La présente recherche, à son tour, entend développer certaines des perspectives esquissées dans le dernier chapitre de ce livre. 3. Traduisant l’Ausser-sich-sein heideggérien. 4. Traduisant le fûdosei watsujien. 5. L ’étymologie latine d’existence compose ex (exprimant un mouvement vers le dehors) et sistentia, de sistere, se tenir, se placer. 6. Vue référant d’une part à Merleau-Ponty, d’autre part à Lakoff et Johnson. 7 . Vue référant à Leroi-Gourhan, lequel toutefois ne parle pas de corps médial, mais de corps social, celui-ci étant constitué par les systèmes techniques et symboliques qui dans l’espèce Homo prolongent le corps animal. «Médial» en Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Corse - - 90.8.136.70 - 15/08/2014 11h24. © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Corse - - 90.8.136.70 - 15/08/2014 11h24. © Belin la mondanité8 comme incarnant une logique du prédicat9; c’est-à-dire que notre monde est institué par la manière dont nous appréhendons les choses; et notre corps animal étant le foyer de cette prédication10, elle est très largement inconsciente. Il va sans dire que cette ontologie est incompatible avec le dualisme moderne; lequel juxtapose une objectivité physique et une subjectivité mentale, celle-ci se proje- tant unilatéralement sur celle-là. Les choses de l’écoumène ne se réduisent pas à un tel rapport: ni seulement objectives, ni seulement subjectives, elles sont trajectives11; cela du fait que notre monde est investi de notre corporéité, tandis que notre corps est investi de notre mondanité12. Il y a ainsi, dans les milieux humains, à la fois cosmisation13 du corps et somatisation14 du monde. Cette corporéité-mondanité, c’est notre médiance. Cyborg et la désurbanité Le plan géo-historique de l’hypothèse, quant à lui, se rattache à la problématique de la durabilité (sustainability), c’est-à-dire la question de savoir comment notre civilisa- tion pourrait devenir écologiquement soutenable, ce qu’elle n’est pas15. La perspec- tive est historique: il s’agit du processus par lequel on en est arrivé là. © L’Espace géographique 242 revanche exprime que ce prolongement technosymbolique du corps animal est nécessairement aussi écologique, puisqu’il se déploie dans les écosystèmes de l’environnement (et par cela même en fait un milieu proprement humain). 8. Traduisant la Weltlichkeit heideggérienne. Cependant — et c’est tout le problème de l’échelle que nous verrons plus bas (§2) —, la médiance de l’écoumène ne se ramène pas seulement à la mondanité du monde; supposant nécessairement la biosphère qui suppose la planète (alors que l’inverse n’est pas vrai), elle participe nécessairement, aussi, de l’universalité physique. 9. Traduisant le jutsugo no ronri nishidien. Nishida parle dans le même sens de «logique du lieu» (basho no ronri). Pour plus de détails sur cette logique, v. Augustin Berque et Philippe Nys (dir.), Logique du lieu et œuvre humaine, Bruxelles, Ousia, 1997; et Augustin Berque (dir.), Logique du lieu et dépassement de la modernité, 2 vol., Bruxelles, Ousia, 2000. La logique du prédicat est d’essence métaphorique: S est P viole le principe d’identité A n’est pas non-A. 10. En ce sens que, d’une part (comme Merleau-Ponty l’a montré sur les bases de la neurophysiologie clinique), le corps prédique son environnement en un «milieu de comportement», tandis que, d’autre part (comme Lakoff et Johnson l’ont montré sur les bases des sciences cognitives), il prédique la pensée par la voie de «métaphores primaires». 11. Du latin trans (à travers) et jacere (jeter), d’où trajectio, traversée. La trajection est le commerce existentiel que l’être de l’humain entretient avec les choses de son milieu, et qui fait que celles-ci ne sont pas de simples «objets». Ce sont proprement des choses, mariant historiquement une logique de l’identité (A n’est pas non-A) et une logique du prédicat (S est P) ; autrement dit ce qu’elles sont en elles-mêmes, et ce qu’elles sont pour nous. L ’objet relève d’une simple logique de l’identité, ce qui revient à nier l’existence humaine et l’histoire. 12. Laquelle, rapportée à notre corps animal, fait de nous des personnes (du latin persona, masque), prédiquant leur être en termes de conscience mais n’en supposant pas moins leur animalité, donc la biosphère. Dans cette complexe réflexivité, l’être humain est à la fois prédicat et sujet de soi-même dans plusieurs sens et à plusieurs niveaux: non seulement «je est un autre» (Rimbaud), mais «entre moi et moi-même, il y a la Terre» (Besse). 13. Du grec kosmos, monde. L ’anthropomorphisme des représentations du monde en milieu «exotique», par exemple, exprime cette cosmisation. 14. Du grec sôma, corps. Les effets dits «psychosomatiques» dans la médecine moderne, par exemple, sont souvent plutôt des effets cosmosomatiques, en ce qu’ils expriment l’interrelation des corps animaux et du corps médial dans les sociétés humaines. 15. La notion de durabilité, ou de développement durable, s’est répandue voici une vingtaine d’années, notamment à la suite du rapport de la «Commission Brundtland» (WCED: Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement) intitulé Pour préserver l’avenir de la Terre (1983). L ’idée centrale est de laisser un environnement vivable aux générations futures. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Corse - - 90.8.136.70 - 15/08/2014 11h24. © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Corse - - 90.8.136.70 - 15/08/2014 11h24. © Belin L’articulation entre les deux plans de l’hypothèse consiste à cet égard en trois postulats. • Le processus en question est une perte d’échelle. « Échelle » est ici entendu comme ce qui rapporte une certaine grandeur au corps humain dans son existence concrète; c’est-à-dire dans l’écoumène, donc dans la biosphère et sur la planète qui fondent celle-ci. Par exemple, dans le rapport d’échelle de la carte au territoire, le territoire, c’est l’ordre de grandeur auquel vit notre corps; alors qu’il ne le peut pas à celui de la carte. L’échelle, par là, implique l’existence humaine, donc l’ontologie uploads/Geographie/ l-x27-habitat-insoutenable-2002.pdf
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- Publié le Nov 11, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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