L ’Actualité Poitou-Charentes – N° 42 14 Entretien avec Gilles Clément, paysagi

L ’Actualité Poitou-Charentes – N° 42 14 Entretien avec Gilles Clément, paysagiste hors du commun qui nous explique sa conception du jardin planétaire Un jardinier à l’aube du XXIe siècle naturaliste Propos recueillis par Guy Tortosa Photos Mytilus et Gilles Clément L ’Actualité Poitou-Charentes – N° 42 15 ngénieur agronome, mais aussi écrivain et pho- tographe, Gilles Clément se veut avant tout jar- dinier. Le parc André Citroën à Paris, le domaine du Rayol dans le Var et l’île Derborence à Lille qualités documentaires une photographie présente des qualités esthétiques, mais ce qui doit prévaloir cependant c’est son côté documentaire. L’usage de différents outils de médiation m’aide par ailleurs dans la compréhension de ce que j’étudie. Selon que je représente un objet avec tel ou tel outil, je le vois différemment. Et si je ne vois pas la même chose c’est aussi parce que je ne fais pas la même chose. Le dessin est de ce point de vue particulière- ment avantageux. Dessiner c’est extraire, c’est aussi éliminer... Celui qui dessine accroît sa connaissance de l’objet qu’il est en train de dessiner par le fait même qu’il le dessine. En fait, l’important c’est de faire. C’est simplement dans le faire que les choses se produisent. Mais il y a mille façons de faire. Faire, ce peut-être dessiner, photographier, mais aussi dis- cuter, jardiner... Si je cumule enfin des moyens aussi divers afin de I comptent parmi les dernières réalisations de ce pay- sagiste hors du commun qui partage son temps en- tre son agence parisienne, ses explorations du monde contemporain, sa maison et son jardin creusois. Commissaire général d’une exposition qui se dé- roulera en 1999-2000 dans la Grande Halle de La Villette à Paris, Gilles Clément en appelle à la «res- ponsabilité du passager de la terre». Créateur et cher- cheur, «artiste involontaire» et chef d’entreprise, cet humaniste renoue dans notre siècle avec la culture des savants et des explorateurs de la fin du XVIIIe siècle. Au cours d’une expédition entomologique effectuée au Cameroun en 1974, Gilles Clément a découvert un papillon jusqu’alors inconnu du monde scientifique. Depuis, ce spéci- men, le Bunæopsis clementi, porte le nom de son «inven- teur». A travers ses jardins, mais aussi dans ses écrits et dans des photographies qui sont étonnamment proches des no- tes photographiques de quel- ques artistes comme Daniel Bu- ren, Raymond Hains ou Jean- Luc Moulène, Gilles Clément donne de nouveaux repères à tous ceux qui, sans en avoir tout à fait conscience, œuvrent dans le «jardin planétaire». Dans le présent entretien, il revient sur quelques-uns de ses concepts favoris et révèle, en abordant la question de l’organisation po- litique de la cité, certains aspects jusque-là rarement évoqués de sa réflexion. G T L’Actualité. – L’écriture, le dessin ou encore la photographie occupent une grande place dans votre travail. Selon moi, vous jardinez autant avec votre stylo, votre crayon et votre appareil photo qu’avec les outils «traditionnels» du jar- dinier. Ce faisant vous renouez avec une tradi- tion dans laquelle, notamment pendant la Re- naissance, pour mener à bien son projet, un créa- teur devait souvent être tout ensemble un ingé- nieur, un architecte, un écrivain et un dessina- teur. Quelle est la fonction du dessin, du récit ou de la photographie dans votre travail ? Gilles Clément. – La photographie, et c’est égale- ment vrai du dessin, constitue d’abord un moyen de transmission. C’est sa valeur pédagogique et do- cumentaire qui fait que je choisis telle ou telle pho- tographie, parce qu’elle raconte quelque chose qui permettra à celui qui la regardera de mieux saisir mon propos. Je préfère bien sûr qu’en plus de ses rendre compte du sujet qui m’intéresse, le paysage, c’est sans doute aussi en raison de la diversité même du paysage. En fait, en matière de paysage, tout est complémentaire, tout est question de cohérence. Le fait de traiter simultanément ce su- jet à travers le dessin, la photo- graphie ou encore le texte, c’est aussi un moyen d’exprimer sa complexité. Dans le roman que vous avez récemment publié, Thomas et le voyageur, vous revenez sur certains concepts traités de manière plus théorique dans d’autres livres, notamment le Jardin en mouvement. Qu’est-ce qui est à l’ori- gine de ce roman ? Je voulais aborder le thème ambitieux du «jardin planétaire» en évitant de paraître prétentieux. L’ob- jet est tellement vaste, il est à tel point hors des limites normales d’intervention d’un individu, qu’il était exclu de le refabriquer. En fait, le jardin plané- taire est un jardin virtuel. Il me fallait permettre à ceux à qui je souhaitais m’adresser de l’appréhen- der comme tel, c’est-à-dire mentalement. Avec la fiction, je savais pouvoir mettre au service de la com- plexité biologique du sujet le pouvoir d’imagina- tion de mon lecteur. En vérité, nous pratiquons tous les jours la virtualité, le livre constitue simplement un moyen parmi d’autres d’activer cette pratique. Qu’entendez-vous par cette notion de «jardin planétaire» ? Il s’agit d’un constat et non d’une véritable inven- tion conceptuelle. La «finitude écologique» confine la vie dans les limites de la biosphère terrestre. A ce titre, il y a assimilation possible entre la planète et Vue du jardin en mouvement de Gilles Clément à La Vallée, dans la Creuse. Gilles Clément L ’Actualité Poitou-Charentes – N° 42 16 le jardin autour du principe d’enclos (le mot jardin vient du germanique garten, l’enclos). Par ailleurs, l’anthropisation planétaire (aujourd’hui généralisée) amène à constater que chaque parcelle du territoire terrestre se trouve désormais sous surveillance (ac- tive ou passive) de la part de l’humanité. Et ceci exactement comme le jardin se trouve soumis au regard du jardinier. Il s’agit bien sûr d’un regard amical. La notion d’écosystème a-t-elle encore un sens dans un jardin où tout semble se résumer à la figure du mouvement, du brassage et de ce con- tinent que vous appelez le «continent théori- que» ? Quelle que soit la figure du brassage, son état de complexité ou de simplicité, la notion d’écosystème perdure. Il s’agit, littéralement, du système écolo- Aujourd’hui, tout est en train de changer. Un bras- sage généralisé des êtres et des cultures relativise nombre de spécificités et contribue à l’émergence d’une conscience et d’un monde nouveaux. Bien sûr, les êtres humains sont attachés à leurs cultures, mais ils perçoivent aussi la relativité de leurs diffé- rences. Nous ne pouvons faire autrement que de nous ouvrir à l’autre. Il faudra sans doute encore quel- ques milliers d’années pour y parvenir, mais les cha- pelles et les identités culturelles évolueront inévita- blement dans le sens d’une légende et d’un pan- théon communs. C’est la vie qui veut ça. Pour le dire autrement, la vie est iconoclaste. L’homme s’at- tache à des images, il construit son identité autour d’elles, il fantasme des systèmes de croyance im- muables et cependant, quoi qu’il fasse, le monde continue à se transformer autour de lui, à briser les images en question. gique en place, par conséquent de l’état actuel des échanges en- tre les êtres vivants mis en pré- sence. Cet état est évolutif mais le principe d’échange fonc- tionne tant qu’il existe des êtres vivants en rapport les uns avec les autres. Ce qui m’a toujours frappé dans le «brassage planétaire», c’est la dimension implicite d’un message qui, appliqué aux sociétés humaines, cons- titue un véritable programme politique basé sur l’éloge des migrations et du métissage. Je per- çois une contradiction entre les positions que vous défendez et celles de nombre d’écologistes qui, tel le Suisse Lucius Bürckhardt, s’élèvent contre ce qu’ils appellent le «brouillage des in- formations» ? C’est nous qui avons l’esprit brouillé. La nature, elle, n’est pas brouillée. Depuis des millions d’an- nées, elle ne cesse de se réorganiser et va ainsi vers toujours plus de complexité. Dans l’exposition que je prépare pour l’an 2000 à La Villette, le visiteur sera invité à explorer deux espaces, deux voies dif- férentes qui, selon moi, sont appelées à se rejoindre un jour. D’un côté il y a le manège des continents et de l’autre il y a le manège des cultures. Il y a très longtemps, la dérive des continents a contribué à fabriquer des êtres vivants de plus en plus éloignés les uns des autres et, par voie de conséquence, de plus en plus différenciés. Je les appelle des «êtres endémiques». Parallèlement, et sur une échelle de temps différente, il s’est produit un phénomène sem- blable que j’appelle le «manège des mythes et des cultures». Des populations restées longtemps sans contact ont produit des «endémismes culturels». Existe-t-il des situations dans lesquelles des espèces qui se trouvent déplacées dans un contexte qui à l’origine n’est pas le leur s’y trouvent encore mieux qu’auparavant ? C’est extrêmement fréquent. Le cosmos mexicain a colonisé par exemple la presque totalité du haut plateau malgache, et cela sur des milliers de kilomètres carrés. Or, cette plante n’avait jamais atteint un tel développe- ment au Mexique. De même, on trouve des renouées de Chine au bord des rivières de France, des robi- uploads/Geographie/ un-jardinier-naturaliste-a-l-x27-aube-du-xxie-siecle.pdf

  • 25
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager