3 L’Odyssée pascuane Mission Métraux-Lavachery, Île de Pâques (1934 -1935) Les
3 L’Odyssée pascuane Mission Métraux-Lavachery, Île de Pâques (1934 -1935) Les Carnets de Bérose Christine Laurière Missions, enquêtes et terrains de l’ethnologie - Années 1930 Copyright 2014 Encyclopédie en ligne Bérose Série « Missions, enquêtes et terrains - Années 1930 » coordonnée par Christine Laurière Lahic / Ministère de la Culture et de la Communication, Direction générale des patrimoines, Département du pilotage de la recherche et de la politique scientifique ISSN 2266-1964 Illustration de couverture : Le savant dans l’ombre tutélaire d’un moai du cratère du volcan Rano Raraku [FAM. IP .MT.02.43] © Collège de France. Archives Laboratoire d’anthropologie sociale/Fonds Archives Photographiques. Fabrication de l’édition électronique : Martin Monferran Les Carnets de Bérose 3 L’Odyssée pascuane Christine Laurière Lahic / DPRPS-Direction générale des patrimoines – 2014 Missions, enquêtes et terrains Années 1930 Mission Métraux-Lavachery, Île de Pâques (1934 -1935) 4 Sommaire Le chant du cygne du Trocadéro 13 Sur les pas des diffusionnistes à la recherche d’une écriture néolithique 26 Une mission archéologique franco-belge 39 Un « ethnographe puritain », Alfred Métraux 52 « L’Ile de Pâques est un vieil os rongé » 64 « La tragique histoire de l’Ile de Pâques » 64 Un jalon de l’histoire pascuane et des études rapanui : l’expédition du Mana (1914-1915) 71 « L’Île de Pâques est la plus malheureuse des colonies du Pacifique » 75 « Des boucaniers qui auraient saisi un galion espagnol sans combat » 78 L’Odyssée pascuane 88 Premières rencontres. Des Pascuans trop coopératifs… 88 Tepano, Alfredo et Enlique 92 Le petit monde clos et cancanier d’Hanga Roa 102 L’homme rongorongo et les bois parlants 107 Cap sur les mers du Sud 111 Un Suisse sans imagination au travail 145 Documents 159 Bibliographie 193 5 P ortée sur les fonts baptismaux par une hypothèse sensationnelle qui laissait augurer la découverte d’une écriture néolithique, la mission de l’Île de Pâques tint toutes ses promesses, mais d’une façon inattendue qui mit en déroute ses parrains en ce qu’elle les désavoua 4. Cette naissance aux forceps diffusionnistes pesa néanmoins de tout son poids sur la mission, tant sur le terrain ethnographique pascuan qu’au retour, quand Alfred Métraux s’assit à sa table de travail pour dépouiller ses matériaux et résolut de publier, avant même le résultat de ses propres travaux, toute une série d’articles de sévères réfutations dont la signification manquerait d’échapper au lecteur peu averti de ce début de xxie siècle. Au demeurant, c’est l’un des intérêts majeurs de cette mission pour l’historien de l’anthropologie : il lui faut se tremper dans l’atmosphère pluvieuse de l’Ile de Pâques de 1934-1935, marcher dans les pas d’Alfred Métraux et Henri Lavachery, se plonger dans les débats de cette époque, comprendre tout autant ce qui est en jeu pour les anthropologues diffusionnistes avec la question du rongorongo (l’écriture pascuane) que ce qui se joua dans les multiples dénouements de la mission. Ceux-ci débordèrent très largement la scène française : ils amarrèrent solidement Alfred Métraux à l’anthropologie nord-américaine, propulsèrent définitivement les études pascuanes sur une orbite scientifique internationale dans la mesure où les résultats de la mission eurent un rayonnement bien plus grand à l’étranger qu’en France, et ils sonnèrent le glas d’un courant théorique dans les cercles académiques dominants. Ils signèrent également la fin d’une intense période de sept années pour le « Cette Île de Pâques où l’on mange des patates douces et où l’on meurt… » Victoria Rapahongo 1 « Ne sois pas méchant avec cette pauvre Île de Pâques qui t’envoie à Hono lulu. » Georges Henri Rivière à Alfred Métraux, 2 août 1935 2 « C’est tout de même embêtant de vivre dans une île : on devient des mendiants, comme les Pascuans. » Alfred Métraux à Yvonne Oddon, 25 février 1936 3 L’Odyssée pascuane 6 Musée d’ethnographie du Trocadéro qui, quelques courtes semaines après l’inauguration flamboyante de l’exposition sur la mission de l’Île de Pâques, ferma définitivement ses portes en août 1935 pour être enseveli sous les travaux du musée de l’Homme – de ce point de vue, cette exposition constitue bien l’ultime potlatch du vieux Troca qui y consuma tout son éclat et son inventivité. Bien des aspects passionnants de la mission ne furent pas évoqués dans l’exposition, aussi riche et novatrice fût-elle – et pour cause légitime, puisque ne furent présentés que des résultats objectivables et tangibles, qui ne permettaient pas de s’attarder sur les modalités d’acquisition pratique du savoir ethnographique sur le terrain. Encore plus que les multiples dénouements cités plus haut, cette dimension nous retiendra longuement dans les pages qui suivent. C’est peu de dire que les conséquences des terribles exactions perpétrées dans les années 1860, la situation coloniale de l’Ile de Pâques, son statut de lieu mystérieux qui aimante explorateurs et savants, affectèrent puissamment la façon dont le savoir ethnographique fut recueilli auprès des informateurs indigènes, tout autant que la nature même de ce savoir. En 1934, l’Ile de Pâques était déjà une société très « ethnologisée », la circulation du savoir entre archéologues, savants professionnels et amateurs, et la population indigène y était déjà évidente et n’irait qu’en s’accentuant dans les décennies ultérieures. Une attention toute particulière sera accordée à la restitution du déroulement de la mission, abondamment documentée par des ouvrages, des articles mais aussi par des archives inédites. Pour autant, je ne prétends pas à l’exhaustivité ni ne revendique un regard impartial, équilibré : c’est davantage l’ethnographie et Alfred Métraux qui seront au centre de cette odyssée pascuane, ce travail ayant déjà été mené pour ce qui concerne la recherche archéologique et Henri Lavachery par son petit-fils, l’écrivain Thomas Lavachery 5. Les écrits, inédits et publiés, du membre belge de la mission seront cependant une source très précieuse, irremplaçable même, pour documenter le déroulement de la mission. Car Henri Lavachery est vraiment le chroniqueur de la mission, son mémorialiste ; par son regard attentif, il sait mettre en valeur ses compagnons de mission, que ce soit Métraux ou leurs collaborateurs pascuans. Du fait même qu’il n’est pas un ethnologue professionnel, qu’il n’en n’a pas intériorisé tous les codes, il s’attarde sur bien des aspects normalement passés sous silence, parce qu’ils sont jugés triviaux, trop personnels, sans rapport avec ce dont un ethnologue doit rendre scientifiquement compte. Les longues conversations qu’eurent Alfred Métraux et Henri Lavachery chaque soir ont indéniablement nourri la réflexion du second, et enrichi les enseignements qu’il égrène au fil des pages de son Île de Pâques 6, publié sept mois après leur retour, dès novembre 1935, pour des raisons pécuniaires impérieuses. Son éditeur, Grasset, lui reprocha Christine Laurière 7 d’ailleurs d’« accorde[r] trop d’importance à Métraux, et trop peu aux “mystères” de l’Ile de Pâques. Il n’en a pas tenu compte 7 » ‒ heureusement, serait-on tenté d’ajouter a posteriori, de conserve avec Thomas Lavachery (doc. 1). L’ouvrage d’Henri Lavachery fourmille de détails et d’informations sur les conditions de leur séjour, il donne une version très vivante de leur mission, le lecteur suit avec plaisir et intérêt la progression de leur travail, leurs relations complexes, parfois dures, avec les Pascuans. Ce livre a fortement influencé Métraux lorsqu’il rédigea L’Ile de Pâques pour Gallimard, publié tardivement en 1941, mais achevé début 1938 (doc. 2). Il l’a d’autant plus influencé qu’il avait encore en mémoire le cuisant refus que lui avait opposé en décembre 1938 le prestigieux éditeur new-yorkais Simon & Schuster, qui aurait souhaité un manuscrit « plus anecdotique, plus personnel. Il semble me donner en exemple [Paul-Émile] Victor dont il va traduire le livre Boréal 8 », raconte-il, abasourdi et meurtri, à Yvonne Oddon, lui qui déteste justement Marcel Griaule et Paul-Émile Victor pour leur forfanterie, leur reprochant de trop se mettre en avant au détriment des peuples qu’ils étudient… À Yvonne Oddon qui réceptionne son manuscrit en janvier 1939 pour le relire et le corriger, il précise qu’il lui envoie « une cinquantaine de pages de souvenirs que j’ai ajoutée sous forme d’appendice. Je voulais les détruire, mais j’ai fini par me convaincre qu’elles n’étaient peut-être pas sans valeur et je souhaite les voir paraître. Je sais qu’elles ne s’harmonisent guère avec le reste du bouquin, mais enfin c’est la seule occasion que je trouve de m’exprimer personnellement. […] Je veux être simple, direct, vivant. […] Tu sais ce que moralement le succès d’un tel livre peut représenter pour moi : j’en serai si encouragé que je deviendrai l’écrivain qui en moi a été refoulé par l’ethnographe 9. » Avec la survenue de la guerre, le projet de publication va être retardé, compliqué. Yvonne Oddon fait taper le manuscrit aux frais de Métraux ; elle le lit, ainsi que Marcelle Minet, une collègue du Trocadéro, et Denise Paulme. Il semblerait qu’Alfred Métraux ne le fasse pas lire (par timidité, par crainte de leurs jugements ?) à ses amis masculins du Trocadéro ‒ on pense en premier lieu, bien évidemment, à Michel Leiris, mais aussi à André Schaeffner 10 ou Henri Lehmann. La réaction brutale et franche de Denise Paulme le désespère : elle lui signifie que son « uploads/Geographie/ l-x27-odysee-pascuanne-mission-metraux-ile-de-paques-lauriere.pdf
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- Publié le Fev 14, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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