Fuir Bizerte, quitter la Tunisie Par Agnès Bensimon Le départ des Juifs de Tuni
Fuir Bizerte, quitter la Tunisie Par Agnès Bensimon Le départ des Juifs de Tunisie, généralement associé aux conséquences de la guerre des Six jours, prend en fait racine dans un conflit tuniso-français, celui de Bizerte, en 1961. L’accusation de trahison envers les Juifs de Bizerte puis leur sauvetage in-extremis inaugure le mouvement, provoquant la désintégration rapide de la présence juive dans le pays. Pour K., Agnès Bensimon, spécialiste de l’histoire des réseaux secrets israéliens en Afrique du Nord, nous raconte, documents et témoignages inédits à l’appui, les derniers jours de la communauté juive de Bizerte. Photo de la Caserne ? « Je n’admets pas que l’on manque à la France », affirma le Général De Gaulle dans les Mémoires d’espoir, évoquant la crise de Bizerte en juillet 1961, quand les troupes françaises s’opposèrent à l’armée tunisienne dans des combats aussi brefs que sanglants. La Tunisie indépendante depuis le 20 mars 1956, n’a alors de cesse d’exiger l’évacuation des troupes françaises toujours stationnées sur son sol, se focalisant surtout sur Bizerte où la France a aménagé à grands frais une base antiatomique de première importance. Malgré les promesses réitérées de négocier ce retrait, 5 ans après l’indépendance, la question est plus que jamais d’actualité. Le bombardement du village algérien de Sakiet Sidi Youssef1, le 8 février 1958, par l’aviation française en représailles à une action du FLN depuis la Tunisie marque un tournant décisif. Le président Bourguiba déclare le lendemain « qu’aucun uniforme militaire français n’est plus tolérable en Tunisie » et demande l’évacuation totale de son territoire, y compris Bizerte. Autre conséquence majeure, le bombardement de Sakiet Sidi Youssef précipite la chute de la IVème République et le retour en politique du Général de Gaulle, le 13 mai 1958. Un accord de temporisation survient le 17 juin entre les deux pays : les troupes françaises évacuent la Tunisie endéans quatre mois, puis les négociations concernant la base navale pourront commencer, étant entendu que la France reconnaît la souveraineté tunisienne sur Bizerte. Le report du règlement de la question l’inscrit dans un rapport de forces dès lors plus personnel. L’étonnante proposition du Président Bourguiba formulée en février 1959 et offrant l’échange de Bizerte contre la paix et l’indépendance de l’Algérie est un échec retentissant : pour Paris, elle est absurde, quant aux Algériens, ils se méfient du rôle d’intermédiaire de Bourguiba dans une solution du conflit. En conséquence, le problème de Bizerte est réactivé et inaugure une nouvelle phase de décomposition des relations franco- tunisiennes. En janvier 1960, le président Bourguiba joue son joker dans l’affaire de Bizerte en déclarant qu’il engagera la bataille si au 8 février (pour le 2ème anniversaire de Sakiet Sidi 1 Le village est détruit aux trois quarts, une école rasée, on déplore 74 morts et 102 blessés. 1 Youssef) la France n’a pas évacué la base. Il mobilise la population et des troupes mais cède presque immédiatement au veto du général de Gaulle qui rappelle que la France se maintient à Bizerte pour sa propre défense et pour celle de l’Occident et donc, par là même, pour celle de la Tunisie, incluse dans le camp occidental. Un an plus tard, une rencontre a lieu à Rambouillet, le 27 février 1961, entre De Gaulle et Bourguiba d’où il ressort que le président tunisien est « hors-jeu » pour la question du règlement du conflit algérien et que celle de Bizerte ne doit pas être soulevée avant la fin de la guerre d’Algérie. L’incompréhension de part et d’autre aggrave le malentendu. À l’arrière de la rade de Bizerte, l’aménagement de la base aérienne de Sidi Ahmed en vue d’étendre les pistes d’atterrissage en fonction des nouveaux modèles d’avion constitue l’élément déclencheur de l’épreuve de force à venir. La Garde Nationale tunisienne surveille les travaux dès le début, à la mi-avril 1961, puis intervient en interdisant au personnel civil tunisien de travailler sur le chantier, allant même jusqu’à tenter d’interrompre les travaux. Les Tunisiens édifient un mur de béton, creusent des kilomètres de tranchées tout autour de la base et disposent 7 barrages dans la région, entre juin et début juillet 1961. La tension monte à mesure que les Tunisiens renforcent les effectifs sur la zone. L’Amiral Maurice Amman, commandant en chef de la base stratégique somme la Garde Nationale de cesser sa résistance. Bourguiba prend l’initiative de la crise, appelant à des manifestations populaires, suscitant la pression de la rue, encourageant la propagande à l’affrontement, organisant la mobilisation de la Garde Nationale et des jeunesses destouriennes. Le 6 juillet, il fait porter à De Gaulle une lettre « de la dernière chance ». Sur place, l’Amiral Amman décrète l’état d’alerte total. De Gaulle répond tardivement à la lettre de Bourguiba, par une fin de non- recevoir qui lui parvient le 17 juillet. L’affront étonne Tunis, mais il semble que le gouvernement tunisien ait été dépassé par les événements sur le terrain. Le jour-même, Bourguiba annonce le déclenchement des opérations. L’échéance de la bataille est fixée au mercredi 19. À cette date, toute violation de l’espace aérien par l’aviation française sera considérée comme le signal du début des affrontements. Mais alors qu’à Tunis on s’attendait à des combats sporadiques, Paris, anticipant le danger, s’était préparé à la guerre. 19-23 JUILLET 1961 : UNE GUERRE ÉCLAIR SANGLANTE Les affrontements armés sont continus du mercredi 19 juillet, vers 15 heures, jusqu’au cessez-le-feu, le dimanche 23 juillet au matin. Si les Tunisiens prennent l’initiative et semblent remporter la première manche, les forces en présence sont inégales. Quatre bataillons tunisiens d'infanterie, un groupe d’artillerie, environ 200 gardes nationaux et près de 6 000 volontaires de la jeunesse destourienne, électrisés, mais peu armés. Sans plan de défense ni plans d’opérations, les Tunisiens n’ont alors pas pour mission d’entrer dans la base. C’est l’effet conjugué de la réaction française et de l’agitation incontrôlée des volontaires civils qui engendre le début des hostilités. Du côté français, les moyens militaires sont largement supérieurs : avions Mistral, Mystère IV et Corsair, hélicoptères, quatre compagnies de défense Air et Marine vite épaulées par deux Régiments de Parachutistes d’Infanterie Marine (2ème et 3ème RPIMA) puis le 3ème Régiment Étranger d’Infanterie, basés à 2 Blida en Algérie. Sans oublier le Colbert, le De Grasse et le porte- avion Arromanches qui croisent à proximité de la rade. Les premiers tirs se produisent du côté de Sidi-Ahmed, théâtre des combats des premières vingt-quatre heures au terme desquelles les 2ème et 3ème RPIMA prennent l’avantage, avec une violence inouïe. Il faut dire que les Tunisiens ont fait feu sur les paras qu’on larguait en renfort sur la base. Les volontaires civils tunisiens, mettent en avant les femmes et les enfants selon l’ignoble tactique des boucliers humains, qui a fait école depuis, tirent également sur les militaires français, tandis que les combattants les bombardent au mortier. La riposte est sans pitié, les Français visant du haut des hélicoptères la foule des manifestants. Lucien Bodard, alors correspondant de France-Soir écrit : « Je me dis que si Bourguiba a voulu un nouveau Sakiet, les Français le lui ont donné. Pourquoi ont-ils riposté si vigoureusement ? C’était tellement peu nécessaire devant la faiblesse de l’assaut tunisien. » Le 20 juillet, en fin de soirée, la base est quasiment dégagée. L’amiral Amman, craignant des combats dans Bizerte intra-muros et soucieux des victimes civiles, tente en vain de contacter le Gouverneur, Mohamed Ben Lamine, au soir du 20 juillet, pour chercher un arrangement lui permettant d’obtenir sans combats le contrôle du goulet, afin de rétablir la communication entre le port et la Méditerranée. Or, ordre est donné aux troupes tunisiennes de résister coûte que coûte. La France met en place une véritable stratégie militaire et guerrière pour le 21 juillet. A 10h du matin, les bérets verts sont lâchés dans la ville autant pour reprendre le contrôle du goulet que pour annihiler la rébellion tunisienne. S’ensuit une véritable guerre urbaine avec de nombreux combats au corps à corps. Le 22, les soldats français s’attachent à nettoyer les dernières poches de résistance au sein du quartier européen de Bizerte. Les chars quadrillent la ville. La situation est sous contrôle en fin de journée. L’amiral Amman négocie par téléphone l’accord de cessez-le-feu avec le Gouverneur de Bizerte. Il entre en vigueur le 23 juillet à 1h du matin intra-muros et à 8h partout ailleurs. Le bilan humain de cette guerre - éclair varie selon les sources. Du côté français, on sait avec précision qu’il y eut 27 tués et 128 blessés. Du côté tunisien, on déplore entre 600 à 700 morts dont la moitié de militaires et gardes nationaux et 1 555 blessés. Mais les chiffres officiels (le monument du cimetière des martyrs de Bizerte honore la mémoire de 630 victimes) sont contestables, jugés volontairement minimisés pour camoufler l’ampleur de la déroute et l’imprévoyance du gouvernement. Dans un discours prononcé le 24 août 1961, le Ministre de l’Information du gouvernement tunisien, M. Masmoudi, annonce 1 300 morts. Le Croissant Rouge tunisien a, lui, estimé que les 3 jours de combats uploads/Geographie/ la-derniere-souccah-des-juifs-de-bizerte.pdf
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- Publié le Apv 30, 2022
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