https://mongobeti.arts.uwa.edu.au/issues/pnpa12/pnpa12_06.html#haut © Peuples N
https://mongobeti.arts.uwa.edu.au/issues/pnpa12/pnpa12_06.html#haut © Peuples Noirs Peuples Africains no. 12 (1979) 47-59 LA LANGUE FRANÇAISE EN AFRIQUE NOIRE POSTCOLONIALE Ambroise KOM Lorsque l'on regarde de l'extérieur ou même de l'intérieur les pays dits francophones de l'Afrique noire, depuis le Sénégal jusqu'au Zaïre en passant par le Sahel et la Côte Atlantique, on peut avoir l'impression que ces nouvelles nations vivent une harmonie linguistique d'autant plus étonnante que la multiplicité des langues locales est extrêmement déroutante pour le visiteur étranger. Même si de réels problèmes de communication se posent entre les divers groupes linguistiques à l'intérieur de la plupart de ces pays, les grandes querelles de langues telles qu'on les vit en Belgique ou ici au Canada ne sont guère à l'avant-scène de l'actualité sociale et politique. Comment pourrait-il d'ailleurs en être autrement ? Car bon nombre de ces pays africains ont eu ou ont encore comme présidents des personnages connus mondialement comme Hamani Diori, Léopold Sédar Senghor, Félix Houphouët-Boigny, tous des produits on ne peut plus purs de la culture française. Qu'on le veuille ou non, leur action politique, leur rayonnement international, bref la vision qu'ils ont projetée ou qu'ils projettent de l'avenir semble indiquer qu'une « francisation » sans cesse accrue des anciennes colonies françaises de l'Afrique noire est une condition indispensable pour permettre à ces peuples d'accéder à l'« Humanisme intégral » ou à la « civilisation de l'universel » pour reprendre des termes chers à Senghor. Un rappel historique En colonisant le vaste continent nord-américain, les Européens y ont implanté leur langue et leur culture avec d'autant plus de naturel qu'il s'agissait d'une terre presque vierge. Excluant toute coexistence avec les Amérindiens, les nouveaux arrivants les repoussent ou les exterminent. En tout état de cause, l'Amérique était, pour la plupart des Européens qui s'y installaient, une terre d'immigration permanente, une nouvelle patrie; tandis que les ressources humaines et matérielles de l'Afrique noire française devaient être exploitées, non pas pour le développement social et économique des colonies, mais pour procurer plus de bien-être aux habitants de la métropole. Pourtant, l'Afrique indépendante a tout de même hérité des langues européennes qui sont devenues nos langues officielles. Par langues officielles, il faut entendre langue de l'enseignement, de l'administration et des mass media. A telle enseigne qu'il est devenu courant et normal d'entendre parler de l'Afrique anglophone, lusophone et francophone de la même manière qu'on parle d'un Québec francophone ou d'un Canada anglophone. Soit dit en passant, des ethnies qui avaient et ont encore une langue africaine commune se retrouvent souvent, suite à la division arbitraire du continent, dans des pays différents avec des langues officielles différentes. C'est ainsi qu'on trouvera des Yoruba de part et d'autre de la frontière entre le Nigéria « anglophone » et le Bénin « francophone ». Il en va ainsi des ethnies frontalières entre le Togo « francophone » et le Ghana « anglophone », entre le Ghana et la Côte d'Ivoire, etc. Alors qu'on imaginerait difficilement des organismes inter-états voués à la sauvegarde du patrimoine des groupes linguistiques ainsi morcelés, plusieurs blocs régionaux se sont constitués en Afrique sur la base exclusive de l'héritage linguistique colonial. Citons le cas de l'UAM (Union Africaine et Malgache), de son successeur l'OCAM (Organisation commune africaine et Mauricienne), des Sommets franco-africains ou même du Commonwealth et de l'Agence de coopération culturelle et technique qui regroupent bon nombre de pays africains. Mais revenons à l'histoire. La philosophie linguistique des conquérants, dès leur arrivée sur les Côtes africaines, était claire. Pierre Alexandre, professeur à l’École des langues orientales, note : « Une seule langue est enseignée dans les écoles, admise dans les tribunaux, utilisée dans l'administration : le français, tel que défini par les avis de l'Académie et les décrets du ministre de l'Instruction publique. Toutes les autres langues ne sont que folklore, tutu panpan, obscurantisme, biniou et bourrée, et ferments de désintégration de la République. Tel était du moins le principe, qui trouva son expression définitive avec les décrets des années 30, interdisant l'emploi dans l'enseignement, même privé, de toute langue autre que le français (sauf pour le catéchisme et l'instruction religieuse, matières dépourvues de sanction officielle). »[1] On a abondamment écrit sur les raisons qui sous-tendaient une prise de position aussi absolue. Rappelons brièvement qu'en plus des avantages pratiques évidents pour le colonisateur ! après tout, pourquoi le conquérant se plongerait-il dans les traquenards linguistiques du conquis !le Français se croyait porteur d'une civilisation étalon. C'est donc avec beaucoup de générosité qu'il nous offrait sa langue, la langue par excellence et, écrit encore Pierre Alexandre, « ce qui existait de mieux, en matière de culture, dans l'humanité tout entière. En fait, la Culture. »[2] En dépit d'une diffusion fort parcimonieuse de cette langue et de cette culture !nous y reviendrons ! une telle idéologie provoquera, néanmoins, de profonds bouleversements sociaux et psychologiques dans les sociétés africaines. L'école coloniale L'école sera évidemment le lieu privilégié pour amorcer le processus d'assimilation. Ayant eu l'avantage qui n'était pas donné à tout le monde de fréquenter l'école coloniale, vous me permettrez, Mesdames et Messieurs, de vous brosser rapidement l'atmosphère typique qui régnait dans nos hangars qui tenaient lieu de salles de classe et où nous avions tous l'air d'être des otages au cœur de la communauté villageoise. Certains trouveront le terme « otage » exagéré, mais dites-vous bien que le premier contact avec la langue française se faisait au plus tôt vers l'âge de 7 ou 8 ans. Habitué à travailler le bois ou à cultiver la terre avec ses parents, vous conviendrez qu'à cet âge l'enfant sait s'exprimer avec aisance sur des sujets qu'il connaît bien. Contrairement au petit Québécois francophone ou au petit Français du même âge, sinon plus jeune qui venait à l'école simplement pour fixer et au besoin préciser des connaissances acquises par l'expression orale, le jeune Africain, pour sa part, entendait parler le français, souvent pour la première fois, le jour où il arrivait à l'école. Qui plus est, même quand l'instituteur pouvait parler la langue du village !cas rare dans les institutions publiques !toute communication dans une autre langue que le français était toujours interdite dans l'enceinte de l'école. De plus, les manuels scolaires utilisés dans les colonies étaient, dans la plupart des cas, les mêmes que ceux dont on se servait dans la métropole, alors que la réalité véhiculée par ces ouvrages, qu'il s'agisse de l'histoire, de la géographie, des sciences naturelles, etc., ne se rapportait évidemment pas à la vie quotidienne de l'écolier africain. Le passage de la langue maternelle à la langue du Maître correspondait donc à passer d'un univers concret et immédiatement saisissable à un monde inorganique. Je vous laisserai deviner avec quelle allégresse l'enfant rentrait chez lui tous les jours après six heures de torture psychologique. Faut-il signaler qu'en général les parents ne parlaient ni ne comprenaient le français ? Pourtant, nombre de ces parents, même illettrés, étaient particulièrement flattés d'entendre leurs enfants parler français. Rien de surprenant à cela. La maîtrise du français, de la « langue du Blanc » !traduction littérale !ne signifiait-elle pas accès éventuel à quelque emploi subalterne de l'administration coloniale ? Et comme on dit si bien chez moi, faire partie du système, c'est être « quelqu'un ». Et avoir un des siens dans le système en place, c'est être le « quelqu'un » de « quelqu'un » (entendez : c'est avoir un cousin au ciel). L'équation langue de l'autre = richesse, considération et promotion étant ainsi posée, les termes perturbations. psychologiques, aliénation culturelle, crise d'identité ou « dépersonnalisation » n'avaient plus leur raison d'être. D'ailleurs, comme je l'ai déjà souligné, les écoles étaient tellement peu nombreuses que ceux qui avaient la chance d'y accéder !n'est-ce pas paradoxal !étaient de véritables élus et se percevaient ainsi. Jean-Paul Sartre écrit à ce propos : « L'enseignement colonial a littéralement gangrené la pensée et l'affectivité de l'Africain et truffé son comportement d'un cortège de complexes et de réflexes anomaux... et par son caractère assimilateur et par la négation de la culture nationale... (il) a abouti à une véritable aliénation du colonisé. »[3] Mais ce qui, aux yeux de Sartre, est une situation anormale peut devenir une source de fierté pour le colonisé. Écoutons Senghor, l'homme politique : « Malgré l'indépendance politique !ou l'autonomie - proclamée, depuis deux ans, dans tous les anciens « Territoires d'Outre-Mer », malgré la faveur dont jouit la Négritude dans les États francophones au sud du Sahara, le français n'y a rien perdu de son prestige. Il a été, partout, proclamé langue officielle de l’État; et son rayonnement ne fait que s'étendre, même au Mali, même en Guinée... Beaucoup, parmi les élites, pensent en français, parlent mieux le français que le langue maternelle farcie, au demeurant, de francismes, du moins dans les villes. Pour choisir un exemple national, à Radio Dakar, les émissions en français sont d'une langue plus pure que les émissions en langue vernaculaire. Il y a mieux, il n'est pas toujours facile, pour le non initié, d'y distinguer les voix des Sénégalais de uploads/Geographie/ la-langue-francaise-en-afrique-noire-postcoloniale.pdf
Documents similaires










-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 24, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
- Taille du fichier 0.0831MB