Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne UFR Histoire Master de recherche Le monde

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne UFR Histoire Master de recherche Le monde méditerranéen médiéval, Byzance, Islam, Occident latin Mention Islam La représentation du pouvoir dans l’Histoire d’Abū al-Fażl Bayhaqī Mémoire de master 1 de Bertille Dutheil Sous la direction de Françoise Micheau Année universitaire 2012-2013 Je tenais en préambule à remercier Mme Françoise Micheau, dont l’aide m’a été précieuse pour ce premier travail de recherche. Merci pour le temps qu’elle a consacré à nos rencontres, les solutions qu’elle a apporté à mes problèmes de méthode ou de contenu, merci aussi pour ses paroles rassurantes qui m’ont permis de mener à bien ce projet avec sérénité. Je voulais remercier également M. Eric Vallet, pour ses conseils et ses idées qui m’ont souvent aiguillée. Table des abréviations TB I : BEYHAQI, The history of Beyhaqi, trad. C.E Bosworth, M. Ashtiany, Cambridge (Massachusetts), 2011, volume 1. TB II : BEYHAQI, The history of Beyhaqi, trad. C.E Bosworth, M. Ashtiany, Cambridge (Massachusetts), 2011, volume 2. TB III : BEYHAQI, The history of Beyhaqi, trad. C.E Bosworth, M. Ashtiany, Cambridge (Massachusetts), 2011, volume 3. NAM : NIZAM AL-MULK, Traité de gouvernement, trad. J.-P. Roux, Paris, 1984, 384 p. DF : C-H. DE FOUCHECOUR, Le sage et le prince en Iran médiéval : morale et politique dans les textes littéraires persans, IXe-XIIIe siècle, Paris, 2009, 511 p. EDI : Encyclopédie de l’Islam, 2e édition, Brill online, version française. JD : J. DAKHLIA, Le divan des rois : le politique et le religieux dans l'Islam, Paris, 1998, 427 p. MA : M. ABBES, Islam et politique à l'âge classique, Paris, 2009, 311 p. MW : M. ROBINSON WALDMAN, Toward a theory of historical narrative: a case study in Perso-Islamicate historiography, Colombus, 1980, 214 p. TK : T. KHALIDI, Arabic Historical Thought in the Classical Period, Cambridge, 1994, 268 p. Introduction « Les textes historiques ressortissent aussi à la littérature, et l’historien ne travaille pas d’abord sur des faits, mais plutôt sur des interprétations qui en ont été données ». Ces mots de Claude Gilliot, tirés de sa critique sur l’ouvrage de Tayeb el-Hibri, Reinterpreting Islamic Historiography1, reflètent l’évolution de l’approche des sources de l’histoire islamique au cours des dernières décennies, tout particulièrement de ses sources narratives. L’approche littéraire des textes de l’Islam a permis d’enrichir la lecture très historiciste jusque-là dominante. Des ouvrages comme celui de Tayeb el- Hibri2, consacré à la relecture des récits historiques sur les premiers abbassides, ont permis de mettre en évidence la fusion du fictionnel et du non-fictionnel dans ces sources, et de les envisager comme des objets marqués par la société qui les a produits, son identité, son esthétique, ses valeurs, et par leur contexte historique et politique. Ces nouvelles lectures ont non seulement renouvelé l’approche des faits consignés dans les chroniques, annales et récits, mais ouvert de nouveaux champs d’investigation historique : en effet, la source ainsi envisagée en dit autant, sinon plus, sur le milieu qui l’a produite, que sur la période qu’elle traite. L’orientation ou les biais de la source, loin de n’être qu’un obstacle que l’historien doit surmonter pour atteindre le « fait vrai » deviennent un objet de réflexion en soi. Le projet de Tarif Khalidi, dans son ouvrage consacré à l’historiographie arabe médiévale s’enracine dans cette idée. Lorsqu’il cherche à établir une typologie des productions historiques médiévales, ce n’est pas le contenu de ses sources qui l’intéresse, leur apport factuel, mais bien la façon dont ce contenu est présenté, expliqué, passé au travers des représentations des différents auteurs. « Les historiens peuvent-être sources d’informations de deux façons différentes : par ce qu’ils nous disent, on non, des évènements du passé ; par ce qu’ils nous montrent de la 1 C. GILLIOT, “Tayeb el-Hibri, Reinterpreting Islamic historiography. Hārūn al-Rashīd and the narratives of the ʿAbbāsid capliphate, Cambridge, 1999, 236 p.”, Journal of the Economic and Social History of the Orient, 46, 1, 2003, p. 127-130. 2 T. EL-HIBRI, Reinterpreting Islamic historiography: Hārūn al-Rashīd and the narrative of the ʿAbbasid caliphate; New York, 1999, 236 p. 1 façon dont ils pensaient leur passé. Mes travaux se sont concentrés, depuis quelques années déjà, sur ce second aspect de l’historiographie3 ». C’est sous cet angle, prenant en compte la dimension littéraire de tout texte historique, qu’on a voulu aborder ici la chronique d’Abū al-Fażl Bayhaqī. Son Histoire est une source jusqu’à ce jour peu traitée pour son intérêt propre, mais employée pour son apport factuel, dans des ouvrages généraux comme celui de Clifford E. Bosworth, consacré à la dynastie ghaznévide4. Pourtant, il s’agit d’une chronique, un texte narratif et qui présente une dimension littéraire d’autant plus intéressante que Bayhaqī est un auteur prolixe, émaillant volontiers son récit de détails, de descriptions et d’anecdotes, loin de la sobriété d’autres historiens musulmans à l’époque médiévale. Marilyn Waldman, qui a été l’auteur, il y a une trentaine d’années, du seul ouvrage consacré exclusivement au texte de Bayhaqī, est très attentive à cette dimension littéraire et utilise l’exemple de Bayhaqī pour critiquer un usage des sources qui en fait des « mines d’information factuelle5 », mais ne tire pas partie de leur apport à l’histoire du langage, des idées, de la culture. Cette étude, quoique d’excellente qualité, reste cependant très générale. Elle traite l’approche historique de Bayhaqī dans son ensemble, la structure de son récit, ses thèmes principaux. Elle ouvre la voie à des travaux plus précis. La lecture de l’Histoire de Bayhaqī a révélé que ce texte présentait un intérêt particulier pour l’étude des idées politiques et des représentations du politique dans l’espace persan au XIe siècle* . Cet aspect de la chronique n’ayant jamais été traité en profondeur, on a souhaité combler ce vide en proposant ici une étude resserrée de la 3 TK p. xi: “Historians may be informative in either of two very different ways : for what they may or may not tell us about the past or for what they tell us about thinking about the past. My own interests have for some years now been centered on this latter aspect of historiography”. 4 C.E. BOSWORTH, The Ghaznavids: their empire in Afghanistan and eastern Iran, 994-1040, Edimbourg, 1963, 331 p. 5 MW p. 3 : “In the field of Islamicate history, where scholars have tended to use historical narratives almost exclusively as unstructured, uninterpretive mines of factual information”. * Le système de datation adopté pour ce mémoire est mixte, mais les règles suivies y seront toujours les mêmes : les dates et siècles seront donnés en fonction du calendrier chrétien, sauf en cas de référence directe au texte de Bayhaqī : auquel cas, nous respecterons les dates hégiriennes citées dans le texte de la chronique. 2 thématique du pouvoir dans l’Histoire, intégrant toute la dimension littéraire de son traitement par Bayhaqī. La richesse du matériau présenté par Bayhaqī sur la question du pouvoir, de sa légitimation et de son exercice, s’explique essentiellement par la position sociale de son auteur, observateur du pouvoir pendant plus de trente ans, et par le contexte historique de la rédaction ; en revenant sur ces deux points, nous aurons l’occasion d’approfondir ces spécificités, et de présenter plus en détail l’œuvre de Bayhaqī. Abū al-Fażl Bayhaqī naquit à la fin du Xe siècle, dans la région de Nišapur au Ḫurāsān. Il suivit une formation de secrétaire et travailla dans l’administration des sultans ghaznévides pendant l’ensemble de sa carrière, jusque vers 1050. Après quoi, semble-t- il, il s’éloigna de la cour de Ghazna, et entreprit la rédaction d’une vaste chronique racontant l’histoire de la dynastie ghaznévide, depuis son origine jusqu’à l’époque contemporaine de Bayhaqī. Seule une petite partie de ce grand œuvre est parvenu jusqu’à nous, correspondant au règne du sultan Masʿūd b. Maḥmūd, de 1030 à 10416. Ce fragment, récemment traduit en anglais par Clifford E. Bosworth, a servi de support à la présente étude. On ne possède guère plus d’éléments sur la vie de Bayhaqī, mais ceux-ci sont déjà précieux. Il apparaît qu’en tant qu’administrateur et que courtisan, il put observer le fonctionnement du gouvernement de l’empire, ainsi que celui de la cour. Ses tâches de secrétaire incluaient la préparation de brouillons de documents officiels et de correspondances officielles, dont les lettres adressées aux souverains extérieurs, et parfois, leur rédaction au propre7. Il suivait les mouvements de la cour, qui accompagnait le souverain dans tous ses déplacements, et se trouvait en contact avec les membres les plus éminents de l’entourage du souverain, dont son propre mentor Abū Naṣr Muškān, le chef du diwān du sultan. Il fut donc un spectateur de la vie politique ghaznévide, à un moment critique de l’histoire de l’empire, celui de son déclin rapide sous le règne de Masʿūd b. Maḥmūd. Il nous faut, pour comprendre ce contexte, faire un rapide retour sur l’histoire de la dynastie ghaznévide. Les ghaznévides, d’origine turque servile, étaient une dynastie de gouverneurs sāmānides établis dans la région de Ghazna au Xe siècle. Les Sāmānides, dynastie 6 TB I p. 29, introduction de C.E BOSWORTH. 7 Ibid., p. 35. 3 persane, dominaient alors un uploads/Geographie/ la-representation-du-pouvoir-dans-lhisto.pdf

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