N°125 - 2004 L CULTURE La richesse linguistique du nord de la France Saviez-vou
N°125 - 2004 L CULTURE La richesse linguistique du nord de la France Saviez-vous qu’il est possible de rencontrer dans les régions Picardie et Nord - Pas-de-Calais des gens avec lesquels vous pourriez parler le beti, le laotien, le breton ou encore le syriaque ou le moldave ? En 1999, plus de 130 langues différentes sont présentes avec le français dans le nord de la France. Certaines d’entre elles ne concernent qu’un tout petit nombre d’individus, contrairement à d’autres dont la présence est massive, comme le picard, les langues du Maghreb ou l’anglais. Au total, près d’un tiers (29,9 %, soit 1 265 000 personnes) des habitants des régions Picardie et Nord - Pas-de-Calais déclarent avoir entendu leurs parents parler une autre langue que le français ou qu’il leur arrive actuellement de parler une ou plusieurs autres langues. À l’heure de l’intensification des échanges internationaux et de la construction européenne, les langues constituent un atout économique. Elles sont également un élément de richesse culturelle qui révèle la diversité du peuplement et la particularité d’un territoire. a richesse linguistique est le résultat de l’histoire de la présence des langues dans une population. En fonction de cette histoire, on peut considérer d’abord les langues « héritées » ou paren- tales 1. Certaines ont un caractère local, et d’autres sont apportées par les migrants. Les langues régiona- les sont la langue picarde - nom- mée patois ou chtimi dans le Nord - et le flamand ou West-vlaamsch. Parmi les langues qu’ont apportées les migrants plus ou moins ancien- nement, l’arabe, le portugais et le polonais dominent. D’autres lan- gues ne sont pas héritées : elles sont « acquises » au cours de la socialisation, c’est-à-dire à l’école, au travail, ou au cours des relations sociales (mariages, voyages, etc.). Une même langue peut être « héri- tée » par certains et « acquise » par d’autres. C’est le cas de l’espagnol par exemple puisque seulement 51,6% des personnes déclarant parler cette langue disent l’avoir reçue de leurs parents. Avec 2,3% d’héritiers parmi ses locuteurs, l’an- glais est une langue surtout acquise, au contraire des langues du Ma- ghreb (95,6 % d’héritiers) ou du polonais (93,9%). Parmi les 15% d’habitants des régions Picardie et Nord - Pas-de-Calais déclarant en 1999 pratiquer activement une autre langue que le français, soit 635 000 personnes, 63,5% sont des « héritiers ». Un paysage linguistique riche et diversifié L’usage d’une langue par une personne peut évoluer au cours de sa vie, mais constitue toujours un Note de lecture : 27,3% des adultes résidant dans la Somme déclarent parler le picard avec leur entourage ou avoir entendu leurs parents leur parler cette langue. 1 L’enquête ne s’intéresse qu’aux parents, malgré l’importance bien connue des grands- parents. ! " # $% $% $ $ %$ & ' () ( " ( ( #* + + , - % . / $ $/ $. ! ,$ $ $ " $ # $. ,$. ,$. .$% ,.$ ,$ $- .$. .$ acquis profond. C’est pourquoi l’étude de la richesse linguistique doit prendre en compte non seulement les locuteurs actuels mais aussi ceux qui déclarent avoir parlé à leurs en- fants ou avoir entendu leurs parents parler une langue différente du fran- çais, même s’ils ne déclarent pas une pratique active. Toutes ces person- nes sont « concernées » par une autre langue, parfois par plusieurs. La proportion de ces personnes concernées ainsi que l’apport respectif des différentes langues à la richesse linguistique varie fortement suivant les départements, cha- cun ayant ainsi son paysage linguistique propre. Les varia- tions départementa- les étant peu mar- quées pour les lan- gues non héritées, la structure de la ri- chesse linguistique est liée à l’histoire des migrations et à la vi- talité des langues ré- gionales. Si le « vo- lume » de la richesse linguistique (le nom- bre total d’individus concernés) est forte- ment déterminé par la présence de langues régionales, l’apport des migrations reste le principal facteur de « diversité » des lan- gues. Ainsi, dans la Somme, la forte pré- sence du picard et des langues d’immi- gration porte la pro- portion de personnes concernées à 41,9% avec 77 langues recensées. Le Pas-de-Calais (35,2%) est riche du picard mais pauvre en langues d’immigration : 47 langues y sont re- censées. Dans le Nord (29,9%), où le picard, le flamand et les langues d’immigration sont bien implantées, pas moins de 105 langues sont pré- sentes. Enfin l’Oise (25,0 %) et l’Aisne (15,2%) sont pauvres en lan- gues régionales. Les langues d’im- migration assurent la diversité dans l’Oise : on y recense 95 langues, contre seulement 36 dans l’Aisne. Bien sûr, ces caractéristiques ren- voient à la structure économique et sociale de chaque département. Par rapport aux autres régions, cel- les du nord de la France ont une ri- chesse linguistique relativement im- portante et diversifiée. La présence conjuguée des langues régionales et des langues d’immigrations, celles-ci étant un indice de dynamisme écono- mique, lui assure la première place parmi les régions du domaine d’oïl (29,9% de personnes concernées contre 16,4 % en Champagne- Ardenne, 17,6% en Basse-Norman- die, 21,3% en Poitou-Charentes). En revanche, cette richesse est inférieure en volume à celle de ré- Note de lecture : 11,9% du total des habitants des régions Picardie - Nord - Pas-de-Calais de plus de 18 ans déclarent parler ou avoir entendu leurs parents leur parler le picard. Parmi eux 38,5% sont des ouvriers. gions à forte langue régionale comme l’Alsace (78,5%), la Corse (74,7%) ou même la Bretagne (35,9%). Une réalité linguistique différente pour chaque catégorie sociale Chaque catégorie sociale apporte ses particularités linguistiques à la ri- chesse d’ensemble. Cet apport est bien sûr fortement lié à la taille de cha- que catégorie. Les ouvriers et les em- ployés sont des catégories où les mo- nolingues sont nombreux, mais en rai- son de leur taille, ce sont aussi celles qui participent le plus à la richesse linguistique. Ainsi, quand on rencon- tre quelqu’un qui parle le picard, il y a de l’anglais. C’est le contraire pour les catégories supérieures dont les membres participent presque quatre fois plus à la présence statistique de l’anglais qu’à celle de l’arabe : 26,6% des anglophones et 6,8% des arabo- phones appartiennent aux catégories des cadres, des professions intellec- tuelles supérieures ou des indépen- dants. Cette distribution sociale des langues s’explique en grande partie par les modalités différentes de cons- titution de la richesse linguistique sui- vant les milieux. Les milieux populai- res, où les migrants et leurs descen- dants sont les plus nombreux, doivent cette richesse aux langues héritées tandis que les catégories supérieu- plus d’une chance sur deux qu’il ap- partienne à l’une de ces catégories (57%). De la même façon, les locu- teurs déclarés de l’arabe et des autres langues du Maghreb se concentrent dans les catégories que l’on peut qua- lifier de populaires : 83,4% d’entre eux sont ouvriers, employés ou sans acti- vité. Mais seulement 46,4% des an- glophones déclarés appartiennent à ces mêmes catégories. Autrement dit, les membres des couches populaires participent presque deux fois plus à la présence de l’arabe qu’à la présence res obtiennent la leur surtout avec les langues acquises au cours des étu- des. Les langues n’ayant pas toutes la même valeur d’usage (pour trouver un emploi par exemple) ni la même valeur symbolique (parler l’anglais est davantage le signe d’une participa- tion aux échanges internationaux que parler le polonais ou le flamand) la distribution sociale des langues constitue autant qu’elle traduit une inégalité de fait. La situation du picard semble de ce point de vue être une exception puisque en proportion ce sont, après les agriculteurs (8,7%), et avant les ouvriers (3,5%), les cadres et les mem- bres de professions intellectuelles qui déclarent le plus parler cette langue (3,7%)2. Cela témoigne probablement d’une valeur culturelle fortement res- sentie par les cadres. Un tel phéno- mène ne s’observe pas pour le fla- mand qui est avant tout déclaré parlé chez les agriculteurs et les ouvriers. Baisse du monolinguisme et appauvrissement linguistique La courbe des âges de ceux qui déclarent parler une langue n’a qu’un rapport indirect uploads/Geographie/ la-richesse-linguistique-du-nord-de-la-france.pdf
Documents similaires










-
30
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Apv 22, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1029MB