10. La société féodale Progressivement, dans le courant du Moyen Age, s'élabore

10. La société féodale Progressivement, dans le courant du Moyen Age, s'élabore une organisation originale de la société, qui distingue le monde des combattants, celui des paysans et celui des clercs. C'est la société féodale, qui va faire l'encadrement de la quasi-totalité de la population du royaume pendant plusieurs siècles. Pour caractériser la société du Moyen Age, en France et dans l'ensemble de l'Occident, deux termes sont couramment employés : « *féodal », « féodalité ». Forgés à partir du mot latin feodum, fief, ces termes recouvrent plusieurs réalités et peuvent prêter à confusion. Au sens propre, la féodalité désigne, dans 1es couches supérieures de la société, un système de relations qui repose sur l'existence de *fiefs concédés par des *seigneurs à des *vassaux en échange de services particuliers, qui sont surtout militaires : ce monde des seigneurs et des vassaux représente la société féodale proprement dite. Mais, au sens large, la féodalité, c'est aussi cette appropriation de la puissance publique par des seigneurs de tout rang — ducs, marquis, comtes, châtelains —, que nous avons observée au précédent chapitre. Elle suppose enfin, au profit de ces « féodaux » laïques ou ecclésiastiques, des moyens d'existence : ils leur sont assurés dans le cadre de la *seigneurie rurale, qui consacre à leur égard la dépendance du monde paysan. Vers 1030, l'évêque de Laon, Adalbéron, consta- tait cette sorte de répartition des tâches dans un plan voulu par Dieu : « La maison de Dieu que l'on croit une est donc triple : les La société féodale 121 uns prient, les autres combattent, les autres enfin travaillent. Ces trois parties qui coexistent ne souffrent pas d'être disjointes ; les services rendus par l'une sont la condition des oeuvres des deux autres. » Ceux gui combattent : le monde des châteaux et des chevaliers Seigneurs et vassaux. Au centre du système, il faut 'placer le fief. Nous avons vu que les titulaires des *bénéfices distribués à l'époque carolingienne les ont rendus progressivement héréditai- res. Ils en ont distribué à leur tour. Ces bénéfices, qu'on appelle « fiefs » à partir du 11' siècle, sont alors devenus non plus la conséquence — on reçoit un bénéfice parce qu'on rend un service — mais la cause — on rend un service pour avoir ou pour conserver un fief — de l'engagement vassalique. Le lien entre le seigneur et son vassal est noué au cours d'une cérémonie remplie de gestes symboliques ; la *foi, l'*hommage, l'*investiture (document 1, p. 129). La foi et l'hommage entraînent pour le vassal une obli- gation qu'on pourrait appeler négative : ne jamais nuire à son seigneur. La remise du fief implique des devoirs plus précis : l'aide et le conseil. Aide militaire avant tout : le vassal est un combattant à cheval qui doit répondre aux appels du seigneur pour des expéditions guerrières et pour la garde de ses châteaux. Aide financière aussi, progressivement limitée à quatre cas pré- cis : la rançon du seigneur fait prisonnier, son départ pour la croisade, l'*adoubement de son fils aîné, le mariage de sa fille aînée. Quant au conseil dû par le vassal, il se manifeste surtout par sa présence à la cour du seigneur et sa participation, dans ce cadre, aux décisions politiques ou aux assemblées judiciaires. Les châteaux. Le monde des seigneurs et des vassaux a son cadre de vie propre : le château. C'est dans le courant du 10e siècle que s'édifient, surtout dans la France du Nord, les premiers châteaux à motte, c'est-à-dire des tours en bois entourées d'un fossé et d'une palissade et dressées sur une éminence artificielle en terre. Il faut attendre l'extrême fin du 10e siècle pour voir apparaître les premiers châteaux en pierre — ils seraient dus aux comtes d'Anjou 122 La société féodale — et le 12e siècle pour les voir se généraliser. Il s'agit alors de puissants donjons quadrangulaires entourés d'un système de plus en plus complexe de cours et de remparts qui peuvent abriter la population d'alentour. De la grande salle située le plus souvent au premier étage du donjon, le seigneur règne en maître sur sa famille, son personnel domestique et sur un ensemble de vassaux qui forment à la fois sa cour, la garnison du château et une troupe de guerriers à cheval, dont les sorties fréquentes ont pour but d'assurer l'ordre et de manifester la puissance du maître. C'est du château que part l'autorité que le seigneur exerce sur les habitants des environs. C'est au château qu'aboutissent les redevances en nature ou en argent dues par ces habitants. C'est dans le château que se déroulent les principales scènes de la vie seigneuriale, depuis l'exercice de la justice jusqu'aux divertisse- ments de cour qui vont donner naissance à une littérature et à une civilisation dites « courtoises », sans oublier l'essentiel : l'entraî- nement militaire de toute une classe sociale dont la fonction principale reste la guerre. Les chevaliers. Seigneurs et vassaux, en effet, sont d'abord des combattants à cheval. La supériorité militaire de la cavalerie lourde a un double corollaire. Le premier est d'ordre financier, lié au coût des chevaux et de l'armement du cavalier, offensif — lance, épée — et défensif — heaume (casque), haubert (armure), bouclier. Ce coût très élevé en réserve la possession à une petite élite, celle qui possède des fiefs et gravite autour des châteaux. Le second est d'ordre professionnel : le maniement de ces armes et de ces chevaux exige un entraînement précoce, intensif et permanent — exercices journaliers, chasses, tournois —, lui aussi réservé à une élite qui peut s'y consacrer entièrement. Une fois entraîné, le jeune homme pénètre dans le monde des guerriers adultes par un rite d'initiation : l'adoubement. On imagine sans peine la violence inhérente à ce groupe social dont la prépondé- rance repose sur l'exercice de la force brutale. D'où l'interven- tion de l'Église, qui a cherché à limiter et à canaliser cette violence (document 2, p. 130) ; elle a imposé, avec plus ou moins de succès, à ces cavaliers devenus 'chevaliers des règles de conduite et un idéal moral d'inspiration chrétienne, elle a béni les La société féodale 123 armes destinées à de justes causes et transformé l'adoubement en une cérémonie religieuse d'accès à une société nouvelle : la chevalerie. D'où, enfin, la fermeture du groupe sur lui-même, avec la tendance à réserver l'état, le genre de vie et les vertus du chevalier — la vaillance, l'honneur qu'exaltent les chansons de geste — aux fils de chevaliers, c'est-à-dire la tendance à la formation d'une noblesse. Au 12e siècle, on n'oppose plus les libres et les non-libres, mais les nobles et les non-nobles : ces « ignobles » — serfs, vilains, rustres — forment l'immense majorité de la population. Ceux qui travaillent : le monde des campagnes et des villages La seigneurie rurale. Les rapports entre les féodaux et la masse paysanne se définissent dans le cadre de la seigneurie rurale, qui est double. Il y a d'abord la seigneurie foncière. Grand proprié- taire, le seigneur exploite directement une partie de son domaine — la *réserve — et concède le reste aux paysans en lots ou tenures, moyennant une redevance foncière — le *cens — et des journées de travail sur la réserve — les *corvées. Il y a ensuite — et cet aspect n'a cessé de grandir pendant la période qui nous occupe — la seigneurie banale, celle qui dérive du droit de *ban ou de commandement exercé par le détenteur du château sur tous les hommes qui résident (ce sont les manants, du latin manere, demeurer) sur le territoire dépendant du château, qu'ils soient ou non ses tenanciers, qu'ils soient d'origine libre ou non libre. Sur ces hommes, le seigneur exerce une série de droits et de monopoles dont le produit, levé par une cohorte d'agents issus de son entourage domestique, constitue le principal de ses revenus ; droits pour la justice, la surveillance des routes et des marchés, l'usage des moulins et autres équipements collectifs, corvées pour l'entretien de la forteresse, contributions arbitraires comme la *taille... Au moment même où disparaissait l'esclavage antique, une grande partie de la population se trouva ainsi englobée dans un nouvel état de dépendance héréditaire, le *servage, avec son cortège de redevances caractéristiques : *chevage, *mainmorte, *formariage. Ces droits seigneuriaux mis en place dans le 124 La société féodale courant du 11e siècle à la faveur du grand élan qui transforme le monde rural, les textes contemporains les appellent « exac- tions », « mauvaises coutumes ». La condition paysanne. Faut-il dresser pour autant le plus noir tableau de la condition du paysan, accablé sous le poids des « exactions », auxquelles s'ajoute la *dîme au profit de l'Église ? Il ne semble pas, pour un ensemble de raisons d'ordre économi- que et social. Dans l'ordre économique, les paysans n'ont pas été seulement les artisans, mais aussi les bénéficiaires du grand essor de la production rurale, de 1000 à 1250. Cet essor a permis une élévation générale du uploads/Geographie/ la-societe-feodale-jean-carpentier-francois-lebrun-histoire-de-france-editions-du-seuil-1987-119-131.pdf

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