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12/3/2019 Le français en Côte d’Ivoire : de l’imposition à l’appropriation décomplexée d’une langue exogène https://journals.openedition.org/dhfles/125 1/13 Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde 40/41 | 2008 : L’émergence du domaine et du monde francophones Le français en Côte d’Ivoire : de l’imposition à l’appropriation décomplexée d’une langue exogène JÉRÉMIE KOUADIO N’GUESSAN p. 179-197 Abstracts Français English Le français a été introduit en Côte d’Ivoire par le fait de la colonisation. Sa pratique particulière lui a permis d’être aujourd’hui à la fois langue véhiculaire et langue vernaculaire. On peut évoquer différents facteurs qui expliquent cela. Historiquement, l’expansion du français qui s’est faite par l’intermédiaire de l’école avait pour but de former des ouvriers habiles dont la tâche consistait à exploiter les ressources naturelles agricoles pour le compte de l’entreprise coloniale. D’un point de vue politique et idéologique, le français pour le colonisateur était l’instrument par lequel les colonisés pouvaient accéder à la civilisation. Dans ces conditions, les langues locales sont minimisées, ce qui va occasionner la naissance de différentes variétés de français résultant de l’effort d’adaptation de cette langue étrangère aux réalité locales. Les nouveaux dirigeants ivoiriens, une fois l’indépendance acquise, vont, tout comme les autorités coloniales, perpétuer la politique linguistique favorable à la langue française, chargée du renforcement de l’unité nationale et de l’ouverture sur le monde, tandis que les langues locales continuent d’être ignorées. French was introduced in Côte d’Ivoire by the fact of colonization. Its particular practice enabled it to be a common language and vernacular language today. One can mention various factors which explain that. Historically, the process of the expansion of French was done through schools to train skilled people whose task consisted in exploiting the agricultural and natural resources on behalf of 12/3/2019 Le français en Côte d’Ivoire : de l’imposition à l’appropriation décomplexée d’une langue exogène https://journals.openedition.org/dhfles/125 2/13 the colonial companies. From a political and ideological point of view, French language for the colonizers was the instrument they used to give civilization to the colonized who were thought or misunderstood to the backwards. Under these conditions, the local languages were and continue to be relegated to a lower level. Therefore causing the evocation of various types of French that people use today as an effort to speak this foreign language. The leaders of independent Côte d’Ivoire, just like the colonial authorities, perpetuate the linguistic policy, favourable to the French language for the reinforcement of national unity as well as enhancing cordial relationship with other countries while the local languages continue to be ignored. Index terms Index de mots-clés : langue française, langues véhiculaires, colonisation, langues locales, politique linguistique Index by keyword : French language, common languages, colonization, local languages, linguistic policy Full text Introduction Un rappel historique Le français tel qu’il est pratiqué en Côte d’Ivoire aujourd’hui est le résultat d’un long processus qui a commencé aux premières heures de la colonisation du pays et qui se poursuit de nos jours. En effet, selon les spécialistes, et au contraire de ce qui s’est passé dans la plupart des pays africains francophones, le français a acquis dans ce pays une fonction à la fois véhiculaire et vernaculaire dans le même temps où sa pratique se démarquait de ce qu’il est convenu d’appeler, faute de mieux, « le français central » ou « français de référence ». Plusieurs facteurs ont contribué à modeler le visage du français en Côte d’Ivoire et ont agi sur la perception des Ivoiriens de l’idée même de francophonie. Il y a d’abord des facteurs historiques liés aux modes d’implantation du français dans la colonie et à la qualité de la variété de cette langue à laquelle on a exposé au départ les indigènes. Le choix de la (ou des) variété(s) de langue servie(s) aux indigènes n’était pas dénué d’arrière-pensées politiques, voire idéologiques, bien au contraire. Pendant cette période sont en cause certaines pratiques pédagogiques nourries des idéologies colonialistes ambiantes. Nous commencerons cette communication par un rappel historique des conditions d’implantation du français en terre ivoirienne jusqu’aux indépendances. Nous suivrons son évolution avant et après l’indépendance, période au cours de laquelle d’autres facteurs tels que la multiplicité des langues parlées dans le pays, la démocratisation et le développement rapides de l’école avec comme corollaire les taux massifs d’échec scolaire à tous les niveaux du système, vont favoriser de façon déterminante la constitution en Côte d’Ivoire de variétés de français plus ou moins distinctes les unes des autres sur fond d’un substrat africain multilingue. Nous terminerons par un exposé commenté des opinions, des attitudes et des jugements des Ivoiriens vis-à-vis de ces différentes variétés de français. 1 Il convient d’entrée de jeu, de rappeler quelques dates repères. Le 10 mars 1893 la Côte d’Ivoire est érigée en colonie après près d’un siècle de présence française sur ses côtes. Six ans plus tôt, en 1887, s’ouvrait la première école de la colonie à Elima à la demande de Verdier alors Résident de la France. Suivra la construction d’autres écoles comme celles de Grand-Lahou, Fresco, Sassandra, qui étaient alors de tout petits hameaux ou des 2 12/3/2019 Le français en Côte d’Ivoire : de l’imposition à l’appropriation décomplexée d’une langue exogène https://journals.openedition.org/dhfles/125 3/13 La politique linguistique des autorités coloniales avant 1944 La colonisation, telle que nous l’avons toujours comprise n’est que la plus haute expression de la civilisation. À des peuples arriérés ou demeurés à l’écart des évolutions modernes, ignorant parfois les formes du bien-être le plus élémentaire, nous apportons le progrès, l’hygiène, la culture morale et intellectuelle, nous les aidons à s’élever sur l’échelle de l’humanité. Cette mission civilisatrice, nous l’avons toujours remplie à l’avant-garde de toutes les nations et elle est un de nos plus beaux titres de gloire. (Cité par Boutin, 2002, p. 29) comptoirs en bordure de mer. Mais dès cette époque, les grandes orientations données à l’enseignement visaient à donner aux Africains un enseignement à but utilitaire. « Nos écoles professionnelles s’attachent avant tout à former des dessinateurs, des mécaniciens, des ouvriers à fer (forgerons, ajusteurs), des chaudronniers » (Hardy cité par S. P. Ekanza, p. 163). Cette même idée est reprise par Albert Tévodjré cité par Ekanza (1972) en ces termes. « L’enseignement sera développé aux colonies dans la mesure où il servira les intérêts coloniaux ». Pour mettre en place les auxiliaires d’administration, les interprètes et les employés de commerce dont on ne pourrait se passer pour la bonne marche des affaires, il a bien fallu recourir à l’école. Ce besoin d’auxiliaires capables de seconder l’autorité coloniale pour réaliser son programme d’expansion politico-économique va guider les responsables de l’enseignement dans leur choix du contenu de celui-ci. La langue française était prioritairement enseignée dans les écoles. Cependant, pendant cette période, qu’on peut approximativement situer entre 1900 et 1944, l’enseignement pratiqué restait rudimentaire et essentiellement lié à l’économie de traite. La préoccupation majeure des responsables coloniaux de l’époque était l’exploitation systématique des ressources naturelles agricoles et humaines sans effort d’investissement dans la colonie. Cette préoccupation se reflétait tout autant dans la structuration de la formation à trois niveaux que dans son contenu. Cette formation avait lieu dans les « écoles de village », les « écoles régionales » et les « écoles urbaines ». 3 Les « écoles de village » n’étaient pas des écoles à diplômes. Elles s’interdisaient tout enseignement théorique pour ne s’intéresser qu’à l’utile, à l’immédiat. Bien évidemment, elles ne visaient pas la formation d’une élite, mais comme nous l’avons dit, celle d’auxiliaires subalternes, d’interprètes, de cuisiniers, etc. ; les « écoles régionales » étaient construites dans les chefs-lieux des cercles. Les élèves étaient recrutés parmi les meilleurs des écoles de village. Ils s’initiaient à l’agriculture et aux travaux manuels. A la fin de la 3e, les élèves subissaient un examen de sortie et recevaient un certificat de fin d’études avec la mention « agriculture », ou « menuiserie », « maçonnerie », « couture », etc. ; les « écoles urbaines » se trouvaient dans la capitale (Grand-Bassam, Bingerville, puis Abidjan). Elles étaient réservées aux enfants européens et quelques rares assimilés. A partir de 1908, elles furent ouvertes aux fils de Chefs, de fonctionnaires et d’employés de commerce ; autant dire qu’elles étaient réservées à une infime couche de la population. Le programme enseigné dans ces « écoles urbaines » était celui de la Métropole. Ainsi, c’est le certificat d’études primaires qui sanctionnait les 6 ans d’études. Tandis que les « écoles de villages » et « régionales » renvoyaient leurs élèves aux travaux manuels et champêtres, les « écoles urbaines » préparaient déjà aux fonctions d’employés de commerce et de commis dans l’administration coloniale. Et qu’en était-il de la langue d’enseignement ? 4 La politique linguistique française dans les colonies était en parfaite harmonie avec l’idéologie colonialiste. La colonisation était partie intégrante de la mission civilisatrice et humaniste de la France, doctrine que le maréchal Lyautey, alors Résident général de France au Maroc résumait en ces termes : 5 12/3/2019 Le français en Côte d’Ivoire : de l’imposition à l’appropriation décomplexée d’une uploads/Geographie/ le-francais-en-cote-d-x27-ivoire-de-l-x27-imposition-a-l-x27-appropriation-decomplexee-d-x27-une-langue-exogene.pdf
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- Publié le Jul 29, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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