RAPPORT DE RECHERCHE N° 2017 - 01 LES DISCRIMINATIONS DANS L’ACCES AU LOGEMENT

RAPPORT DE RECHERCHE N° 2017 - 01 LES DISCRIMINATIONS DANS L’ACCES AU LOGEMENT A PARIS : UNE EXPERIENCE CONTROLEE MATHIEU BUNEL, YANNICK L’HORTY, LOIC DU PARQUET, PASCALE PETIT www.tepp.eu TEPP - Travail, Emploi et Politiques Publiques - FR CNRS 3435 1 Les discriminations dans l’accès au logement à Paris : Une expérience contrôlée Mathieu BUNEL1, Yannick L’HORTY2, Loïc du PARQUET3, Pascale PETIT4 Février 2017 Résumé Nous mesurons les discriminations liées à l’origine dans l’accès au logement du parc locatif privé parisien à l’aide d’un protocole expérimental qui nous permet de façon très simple d’identifier les causes des discriminations (préférences des loueurs ou imperfection de l’information). Entre début avril et fin mai 2016, nous avons envoyé quatre messages sollicitant la visite d’un logement en réponse à 504 annonces immobilières, ce qui, au total, correspond à l’envoi de 2016 messages. Deux de nos individus fictifs signalent par leur patronyme une origine française, les deux autres suggèrent une origine maghrébine. Au sein de chaque paire de candidats de même origine, un individu envoie un signal de stabilité financière et professionnelle en indiquant explicitement qu’il est fonctionnaire. L’autre individu, en revanche, ne fournit aucune information sur sa situation. L’étude consiste à exploiter statistiquement les réponses à ces messages. Nous montrons que les discriminations à l’encontre des individus d’origine maghrébine sont très fortes dans l’accès au logement parisien et qu’elles sont peu liées à la fragilité financière supposée des individus. L’individu de référence d’origine française a un taux de réponse de 18,7 % à ses demandes de visites de logement. Pour l’individu d’origine maghrébine, ce taux est de 12,9 %, soit un tiers de chances en moins de recevoir une issue favorable à sa demande de visite. Si le candidat maghrébin précise qu’il est fonctionnaire, son taux de réponse est de 15,5% ce qui reste inférieur au candidat d’origine française. Mais si c’est le candidat d’origine française qui envoie le même signal de stabilité, son taux de réponse atteint 42,9 %. Un signal de stabilité professionnelle et financière n’augmente fortement les chances d’accès au logement que pour les candidats d’origine française, ce qui suggère une forte discrimination à la Becker à l’encontre des candidats d’origine maghrébine. Ce résultat est vérifié que l’annonce émane d’un particulier ou d’une agence immobilière. Mots clés : Discrimination, Logement, Expérience contrôlée. Codes JEL : J14, R31. Cette étude a bénéficié du soutien de l’Agence Nationale de la Recherche dans le cadre du projet Discrimination dans l’Accès au Logement : un Testing de cOuverture Nationale (projet DALTON ANR-15-CE28-0004). Elle a également bénéficié du soutien du CNRS dans le cadre de l’appel à projets suite aux attentats du 13 novembre 2015 (projet ADAM : Attentats et Défiance Arabo-Musulmane). Nous remercions Ludovic EBENE MOUSSOLE pour son aide dans la construction de la base de données. 1 Mathieu BUNEL, Université de la Nouvelle-Calédonie, LARJE (EA 3329) TEPP-CNRS (FR 3435), mathieu.bunel@univ-nc.nc 2 Yannick L’HORTY, Université Paris-Est Marne la Vallée, ERUDITE (EA 437), TEPP-CNRS (FR 3435), UPEC, UPEM, F-77454 Marne-La-Vallée France, yannick.lhorty@u-pem.fr 3 Loïc du PARQUET, Université du Maine, GAINS et TEPP-CNRS, UFR Droit, Sciences Economiques, Gestion, Avenue Olivier Messiaen 72085 Le Mans cedex, loic.duparquet@univ-lemans.fr 4 Pascale PETIT, Université Paris-Est Marne la Vallée, ERUDITE (EA 437), TEPP-CNRS (FR 3435), UPEC, UPEM, F-77454 Marne-La-Vallée France. pascale.petit@u-pem.fr. 2 Introduction La méthode du testing est celle qui s’impose dans la littérature internationale sur la mesure des discriminations dans l’accès à un marché. Dans le domaine de l’accès au logement, un très grand nombre d’études ont appliqué cette méthode aux Etats-Unis depuis les années 1970 (Yinger, 1986 ; Page, 1995 ; Choi et al., 2005 ; Hanson et Hawley, 2011) et plus récemment, dans plusieurs pays européens (Ahmed et al. 2008 et 2010 ; Bengtsson et al., 2012 ; Carlsson et Eriksson, 2014 pour la Suède; Bosch et al., 2010 pour l’Espagne ; Baldini et Federici, 2011, pour l’Italie ; Drydakis, 2011 pour la Grèce, Heylen et al. 2015 pour la Belgique). Mais cette approche a été peu appliquée en France. Certes, le testing est fréquemment mobilisé en France dans d’autres domaines, principalement sur le marché du travail et selon différents motifs : le sexe (Duguet et Petit, 2005 ; Petit, 2007), l’origine apparente (Berson, 2011), la réputation du lieu de résidence (Bunel et al., 2013), la religion (Adida et al., 2010 ; Pierné, 2013), et les effets croisés de plusieurs motifs de discrimination (Duguet et al., 2010 ; L’Horty et al., 2011 ; Petit et al., 2014). Mais il n’existe à notre connaissance que trois études5 qui ont mesuré avec une approche expérimentale les discriminations dans l’accès au logement en France. Bonnet et al. (2015) exploitent une campagne réalisée au printemps 2009 en réponse à 250 annonces de biens immobiliers à louer en Ile-de-France pendant laquelle des figurants ont téléphoné aux loueurs en révélant des informations personnelles selon un protocole préétabli. Acolin et al. (2016) ont envoyé des courriers électroniques en réponse à des annonces publiées sur internet pendant deux mois, entre avril et mai 2014, jusqu’à atteindre un total de 1800 réponses sur la France entière. Ces deux études concluent à l’existence de fortes discriminations dans l’accès au logement sans pouvoir véritablement ni les spatialiser ni en interpréter les causes. Bunel et al. (2016) ont étudié à l’aide d’une campagne de testing menée en 2015 l’ampleur de la discrimination dans l’accès au logement de candidat d’origine kanak dans l’agglomération du Grand Nouméa en Nouvelle-Calédonie. Ils montrent à partir 340 annonces que cette discrimination est de grande ampleur mais qu’un signal de stabilité professionnelle (être fonctionnaire) la réduit fortement. Dans ce contexte, l’objet de notre recherche est de mesurer les discriminations sur le marché de la location immobilière à Paris avec une méthode de testing et en mobilisant un protocole permettant d’interpréter les causes des discriminations. Plus exactement, nous cherchons à déterminer si le refus éventuel donné à un individu qui signale une origine maghrébine par son patronyme relève plutôt 5 On peut citer également des opérations de test à finalité commerciale menée sur des échantillons très restreints et sans volonté de raisonner toutes choses égales par ailleurs. Ainsi, l’étude réalisée par ASDO pour la Halde en 2006 mesure la discrimination dans l’accès au logement selon l’origine et la situation de monoparentalité à partir d’un panel de seulement 126 annonces et sans avoir envoyé les individus fictifs sur les mêmes annonces. Le testing d’ISM-CORUM réalisé en 2011 porte, quant à lui, sur un territoire restreint, la ville de Villeurbanne, sur un faible nombre d’annonces (100) et se focalise sur le motif de l’origine en comparant seulement deux profils fictifs, une personne française de souche et une personne d’origine maghrébine. D’autres études s’intéressent au ressenti des discriminations et procèdent par sondage auprès d’un échantillon représentatif. Par exemple, l’étude de l’IFOP (2012) montre que les discriminations dans l’accès au logement sont perçues comme fréquentes par le grand public et qu’elles sont davantage ressenties par les résidents en ZUS. Enfin, signalons que parmi les 11 articles publiés dans le numéro triple que la revue Economie et Statistique a consacré aux discriminations (n°464- 465-466), aucun ne porte sur l’accès au logement dans le parc locatif privé. 3 d’une discrimination statistique, qui met en jeu la crainte de loyers impayés ou d’une « aversion pure » à l’encontre des minorités visibles, qui serait indépendante de la stabilité financière supposée de l’individu. Nous avons construit quatre identités fictives de candidats à la location, deux d’entre eux suggèrent une origine française par la consonance de leur patronyme, les deux autres signalent une origine maghrébine. Au sein de chaque paire de même origine, un individu envoie de surcroît un signal de stabilité financière en indiquant qu’il est fonctionnaire ; l’autre individu ne fait quant à lui aucune mention de sa situation. Entre début avril et fin mai 2016, ces quatre profils ont répondu quasi- simultanément à 504 annonces immobilières localisées dans Paris intra-muros, ce qui correspond à l’envoi de 2016 messages (504 x 4). L’étude consiste à exploiter statistiquement les réponses à ces tests. 1. Protocole et collecte des données Nous évaluons la discrimination liée à l’origine ethnique supposée dans l’accès au logement du parc privé à Paris intra-muros, selon que l’identité des locataires potentiels suggère une origine française ou maghrébine, et selon qu’ils envoient ou non un signal de stabilité professionnelle permettant de minimiser le risque supposé de non-paiement des loyers. Nous présentons ci-dessous le protocole de collecte des données. L’expérience contrôlée a consisté à fabriquer les identités de quatre individus fictifs de sexe masculin. Deux d’entre eux ont un prénom et un nom à consonance française, les deux autres à consonance maghrébine. Dans de courts messages similaires adressés en réponse à une annonce de location de logement, les quatre individus sollicitent une visite et demandent quelles sont les pièces nécessaires pour constituer leur dossier. Dans leur message, un individu d’origine française et un individu d’origine maghrébine indiquent explicitement être fonctionnaires, signalant une stabilité financière. Les deux autres individus ne font aucune mention de leur situation professionnelle, de sorte qu’une incertitude est possible du point de uploads/Geographie/ le-rapport-du-cnrs-sur-les-discriminations-au-logement.pdf

  • 24
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager