LES 36 SITUATIONS DRAMATIQUES LES 36 SITUATIONS DRAMATIQUES MAÎTRISER L’ART NAR

LES 36 SITUATIONS DRAMATIQUES LES 36 SITUATIONS DRAMATIQUES MAÎTRISER L’ART NARRATIF GRÂCE À L’EXPLORATION DES PRINCIPES DRAMATIQUES GEORGES POLTI 1912 Georges Polti (1867-1946) Photo de couverture Sharon McCutcheon sur Unsplash Publié avec le concours de Bookelis ISBN 979-10-359-3167-4 Dépôt légal Novembre 2020 Achevé d’imprimer en France Gozzi soutenait qu’il ne peut y avoir que 36 situations tragiques. Schiller s’est donné beaucoup de peine pour en trouver davantage ; mais il n’en trouva pas même autant que Gozzi. — GOETHE, ENTRETIENS AVEC ECKERMANN À Madame Touttain Accepte ce gage de reconnaissance en mémoire du grand mort aimé qui nous relie de ton frère, de mon père… — G. P. 3 1 EXPOSITION Gozzi soutenait qu’il ne peut y avoir que 36 situations tragiques. Schiller s’est donné beaucoup de peine pour en trouver davantage ; mais il n’en trouva pas même autant que Gozzi. — GOETHE, ENTRETIENS AVEC ECKERMANN 6 situations seulement ! Cet énoncé qu’aucun renseignement n’accom- pagne ni de la part de Gozzi ni de celle de Goethe ou de Schiller, et qui pose le problème sans le résoudre, avait de quoi tourmenter. Car celui qui affirmait — me répétais-je toujours — par ce nombre restreint une loi si fortement synthétique, avait justement l’imagination la plus fantasque : ce Gozzi, c’était l’auteur de Turandot et du Roi Cerf, deux œuvres, or, presque sans analogues, l’une sur la situation de l’Enigme et l’autre sur les phases de la métempsycose ; c’était le créateur d’un système dramatique, du fiabesque, et, par lui, l’esprit arabe chez nous transfusé, ont pu naître Hoffmann, Jean-Paul Richter et Poe. Encore l’exubérance du Vénitien m’aurait- elle, peut-être, fait douter, puisqu’une fois lancé ce chiffre de 36, il s’était tu… Mais l’ardent et sévère kantien, Schiller, le prince des esthéticiens modernes et le maître du drame vraiment histo- rique, ne s’était-il pas, à son tour, devant ce précepte, “donné beaucoup de peine” (et de la peine d’un Schiller !), y ajou- tant ainsi pour nous l’autorité de sa critique puissante et de sa riche mémoire ? M’objectais-je alors, pour hésiter, le seul point commun aux deux poètes, un goût vif de l’abstrait, — Goethe, antipode exact du systématisme, esprit d’observa- teur, et qui, sa vie durant, évolua, m’apparaissait, méditant encore l’obsédant sujet, — bien des années après la mort de Schiller, bien des années après leurs fécondes causeries, et à l’époque où s’achevait Faust, cette suprême combinaison des éléments les plus contrastés 1. Je n’en savais, toutefois, pas plus long… Seul, en France, Gérard de Nerval avait embrassé, un court instant, de ce point de vue si haut, l’ensemble des productions scéniques, dans un article de L’Artiste sur la Jane Grey de Soumet. Avec quel dandysme, malheureusement ! Ayant, à ses débuts, voulu savoir le chiffre des actions possibles au théâtre, il en trouva 24, raconte-t-il. Pas plus que ses devanciers, il ne nous dit lesquelles. En revanche, les bases qu’il fournit ne peuvent satisfaire. Recourant, en effet, à la classification caduque des péchés capitaux, il se voit, d’abord, forcé d’en éliminer deux, gourmandise et paresse, et, à peu près, un troisième, la luxure… “ce serait Don Juan peut-être…” On ne saisit pas mieux ce que l’ava- rice a fourni comme énergie tragique, et je discerne mal pour la contexture entière du drame, une divergence marquée de directions entre l’orgueil (l’esprit de tyrannie, sans doute) et la colère, à moins de n’admettre que leurs 2 GEORGES POLTI manifestations les plus opposées, et de risquer, à ce coup, de confondre celles de la colère avec celles de l’envie. Aussi bien eût fait Labrunie de conserver l’ex-péché, la tristesse, qui lui aurait été utile, vis-à-vis de Manfred par exemple. Plus loin, le meurtre, désigné comme un facteur pour obte- nir, en l’unissant tour à tour à chacun des autres, plusieurs des données, ne peut être accepté comme tel, puisqu’il est le commun accident, possible dans toutes, et le plus fréquent qui s’y produise. Enfin, le seul titre nommé par Nerval, Riva- lité de reine et de sujette, ne convient, on le constatera, qu’à une sous-classe de l’une non pas des 24, mais des 36 situa- tions dramatiques2. Outre Nerval pourtant, personne plus n’a touché, à la manière si vraiment technique qu’on devine chez Gozzi, aux secrets de l’invention, et j’aperçois seulement, dans un ordre d’idées, quoique analogue, bien éloigné : la célèbre théorie de Sarcey sur la scène à faire, théorie en général très mal comprise d’une époque que le didactisme, c’est-à-dire la réflexion artistique, épouvante; — des notes intimes de Dumas fils qui furent publiées contre son gré, si mes souve- nirs d’enfant sont fidèles, il y a quelques années par le Temps et qui donnaient ce double schéma de Corneille et de Racine, pour le premier une héroïne disputée par deux héros, pour le second un héros disputé par deux héroïnes ; — et, en dernier lieu, des travaux, çà et là, de M. Valin sur la composition… Et c’est tout, absolument tout. … Enfin, — pour abréger, — je retrouvai les 36 situa- tions, telles que dut les posséder Gozzi, et telles qu’on les verra plus loin ; car ce fut bien, ainsi qu’il l’avait indiqué, 36 catégories que je dus créer afin d’y répartir convenablement les innombrables œuvres melpoméniennes. Ce nombre n’a rien cependant, je me hâte de le dire, de cabaliste ni de mystique ; on pourrait à la rigueur en choisir un légèrement Les 36 situations dramatiques 3 plus ou moins élevé ; mais je considère celui-là comme le plus vraisemblable. Je m’abstiendrai d’exposer aucune des soixante et quelques théories que, pour ma distraction personnelle, j’ai esquissées dans le dessein d’aboutir par voie inverse, déductive, au précepte gozzien : ces exercices d’imagination sont parfois agréables, mais ils finissent le plus souvent par ruiner ce qu’ils prétendaient établir ; toute théorie s’écroulant à son tour, — tandis qu’une observation, un canon esthétique demeurent. Or, à ce fait de déclarer qu’il n’y a pas plus de 36 situa- tions dramatiques, va s’attacher un singulier corollaire, à savoir qu’il n’y a, de par la vie, que 36 émotions. Ainsi, 36 émotions au maximum, voilà la saveur de l’existence ; voilà ce qui va et vient sans relâche, ce dont se remplit l’histoire comme des flots la mer, et ce qui en est la substance, puisque c’est celle de l’humanité, dans les ténèbres des bois africains comme “Sous les Tilleuls” ou aux lueurs élec- triques du Boulevard, et l’était dès l’âge des corps à corps avec le lion des montagnes, et la sera, indubitablement, aux plus infinies distances du futur ; puisque, de ces 36 émotions, — pas une de plus, — nous colorons, non ! nous comprenons ce qui nous est étranger, jusqu’à la vie végétale et au mécanisme cosmique, — et que d’elles sont et seront à jamais construites nos théogonies et nos métaphysiques, tant de chers “au-delà !”… 36 situations, 36 émotions, pas une de plus. Il est donc compréhensible que ce soit devant la scène, où se mélangent infatigablement ces 36 émotions, qu’un peuple arrive à naître à la définitive conscience de lui- même ; aussi les Grecs commençaient-ils leurs villes par les bases d’un théâtre. Il est également naturel que, seules, les très grandes et complètes civilisations aient présenté une conception dramatique particulière et que, réciproquement, 4 GEORGES POLTI une de ces conceptions nouvelles doit être révélée à chaque évolution de la société3 ; d’où l’obscure et fidèle attente de notre siècle devant les cénotaphes d’un art qui, depuis long- temps et pour des raisons, parait-il, commerciales, ne s’y trouve, à proprement dire, plus. Il résulte enfin de là qu’après avoir concentré ces “points de vue” du théâtre comme dans un panorama, nous allons y voir circuler, en quelque sorte, l’essentiel cortège de notre race : dans leurs costumes caractéristiques et bigarrés Bacheliers chinois pinçant de leurs mandores, Rois hindous sur leurs chars, Héros nus d’Hellas, Chevaliers légendaires, Aventuriers de cape et d’épée, Damis aux longues perruques blondes, Nymphes étincelantes de pierreries, Agnès aux paupières frangées, chastes Vierges athé- naïennes, grandes Impudiques de l’adultère et de l’inceste, hiératiques Confidents et Confidentes, Compères s’esclaf- fant, Apothicaires, Gourous de la cause religieuse grotesques interprètes, Satyres sautillant sur leurs jambes de bouc, laids Esclaves, Diables rouges à cornes vertes, bégayants Tartaglias, Graciosos farcis d’anecdotes, Clowns shakespeariens, Bouffons hugolesques, Théoriciens à “queue-de-pie” se réchauffant au bord de la rampe, précédés de gongs les Magistrats, Ascètes bouddhiques immobiles, Péris, Sacrificateurs en robes blanches, Martyrs dont l’au- réole brille, Alcades, Ulysses trop habiles, Jeunes hommes purs, Fous sanglants, épouvantables Rakshasas, Messagers dispersant aux vents du ciel les calamités, Chœurs pleins de nostalgie, Prologues symboliques, oui, la voilà rassemblée, notre humanité, et s’agitant à son plus ardent période de fièvre, — mais toujours présentant quelqu’une des faces du prisme que posséda Gozzi. Ces 36 faces, que j’ai entrepris de reconstituer, doivent être, par conséquent, fort évidentes et n’avoir rien d’uto- Les 36 situations dramatiques 5 pique. De quoi nous ne serons persuadés qu’après les avoir vues se répéter, avec une uploads/Geographie/ les-36-situations-dramatiques.pdf

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