TRAVERSE(S) Les déserts urbains Habiter les déserts Conférences/ Débats/ Rencon

TRAVERSE(S) Les déserts urbains Habiter les déserts Conférences/ Débats/ Rencontres/ 9,10,11 avril 2013 Musée d’Art Moderne de Saint-Étienne Métropole École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Étienne École Supérieure d’Art et Design de Saint-Étienne Sommaire Les déserts urbains / Habiter les déserts 2 Musée d’Art Moderne de Saint-Étienne Métropole 7 Mardi 9 avril / 14h - 20h30 École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Étienne 11 Mercredi 10 avril / 9h00 - 19h École supérieure d’Art et Design de Saint-Étienne 15 Jeudi 11 avril / 9h30 - 19h Soirée Plan(s) Libre(s) spéciale Traverse(s) au Cinéma Le France 21 Jeudi 11 avril / 20h TRAVERSE(S) 1 Des déserts urbains Habiter les déserts « Monique — Et maintenant : où ? par où ? comment ? Seigneur ! Par ici ? C’est un mur, on ne peut plus avancer ; ce n’est même pas un mur, non, ce n’est rien du tout ; c’est peut-être une rue, peut-être une maison, peut-être bien le fleuve, ou bien un terrain vague, un grand trou dégoûtant (…) et si brusquement quelqu’un, quelque chose apparaissait, sortant de ce trou noir (…) ? (…) Ils auraient pu au moins laisser l’éclairage public, on reconnaîtrait peut-être quelque chose. Il y a quelque chose par terre qui fait glisser, et je ne sais pas ce que c’est (…) Rentrer à pied, il y en aurait pour des heures à travers ces quartiers sans lumière et sans panneau d’indication. » Bernard-Marie Koltès, Quai ouest, Les Editions de Minuit Paris 1985. p.11-13. « Constituer un territoire, c’est presque la naissance de l’art.» Gilles Deleuze, Abécédaire « A comme animal ». Les espaces blancs ont disparu des cartes terrestres, ils sont remplacés par les surfaces colorimétriques bleues des fonds marins ou par le noir absolu constellé de petites déchirures de l’espace intersidéral. Il semble que là où ne puissions être, le désert seul est… Petit à petit, pas à pas, les blancs disparaissent des cartes en même temps que les monstres qui en gardaient les frontières disparaissent des représentations cartographiques. Peu à peu, nous avons cru occuper tout l’espace géographique et habiter totalement la surface de la terre. Nous avons cru en quelque sorte faire reculer le désert. Mais ce recul qui fut longtemps une conquête est devenu aujourd’hui le signe d’une défaite. Certes nous avons appris à occuper et peupler le monde, à établir des populations selon des comptages et des arpentages là où il n’était pas possible d’en établir. Nous avons distribué et redistribué des fragments d’espaces et ce faisant, nous avons perdu pied avec cet espace. Le sol ne se dérobe pas sous nos pieds, non. Nous sommes encore capable de concevoir l’espace comme un territoire à conquérir et à parcourir. Mais quelques choses se sont absentées, quelques choses se sont mises en situation de retrait – il ne s’agit pas à notre avis du réel ; nous ne sommes pas dans le désert du réel1. Nous sommes plutôt dans un retrait en phase d’élaboration du réel. Plutôt que dans le désert, nous entrons, nous ne cessons d’entrer dans l’élaboration du désert. Nous en construisons les conditions de possibilité en expérimentant les formes d’appropriation et de représentation des espaces. Cette désertification est un processus et il engage le territoire ainsi que les formes de sa représentation. Ce sont les modes d’être de ces formes de représentation de la désertification qui affectent notre imaginaire que Traverse(s) souhaitent un moment interroger. On peut concevoir la désertification comme le retrait de l’homme des espaces où il habitait naguère, on peut la concevoir aussi comme l’échec d’une humanisation des espaces, etc. 1. Ceci en référence au titre de l’ouvrage de S. Zizek Bienvenue dans le désert du réel. 2 Ces perspectives restent toujours en accord avec le principe que l’homme habite le monde. Qu’il l’habiterait d’ailleurs seul et qu’ainsi, il l’habillerait. La désertification peut toutefois se concevoir aussi comme la possibilité ou l’avènement, pour l’homme, d’autres manières de spatialiser « l’habiter et l’habiller le monde2 ». Le désert signalerait alors le retrait d’une conception datée de l’occupation du monde – c’est ce que nous désignons par le terme de désertification. Désertifier serait une manière autre de faire usage des espaces, des formes des espaces, de leurs modes de représentation aussi bien architecturaux, qu’artistiques. La désertification serait alors l’avènement de ce dont Foucault parla naguère dans Des espaces autres une possibilité de construire un espace du dehors qui ne soit pas simplement une localisation et une situation3. Le désert soulève également la question de la territorialisation qui ne correspond exactement pas à celle du territoire. Le territoire, c’est toujours de l’espace en place ; de l’espace pris dans une configuration de localisation par la dynamique des « transports », des déplacements. La territorialisation n’est pas une configuration mais une circonstance situationnelle de l’espace saisie en dehors des caractéristiques de localisation4. Nous le savons, le territoire est une notion récente qui recouvre la manière dont nous aurions jusqu’à présent occupé l’espace. Nous en arrivons à une autre époque de l’occupation de l’espace dont les indices historiques furent nombreux5. A une époque où le monde, le sol s’est immobilisé. L’espace ne s’espace plus et il n’est plus également le lieu d’une histoire possible. Il n’est pas question pour nous de penser une fin de l’histoire mais plutôt de comprendre ce pas en arrière de l’histoire, ce retrait spécifique des formes de représentation de l’espace-temps propre à l’homme où il semble que tout soit devenu un décor indifférent. Il est bien évident que le désert ne naît que de cette absence de perception sensible du changement, que de cette absence d’une humanité qui habiterait les perspectives du monde. N’est-ce pas déjà ce qui emplit les perspectives urbinates de la Renaissance italienne, les perspectives urbaines de De Chirico – non pas la solitude mais l’absence, le retrait – le retirement de l’homme au monde. En somme, et comme souvent, il faut en revenir à la signification étymologique du désert pour voir s’il convient de l’occuper tel quel et sans parti pris d’aménagement. Avant d’être ce lieu étrange où personne n’habite, où rien ne pousse, le désert est juste ce retrait dont nous parlions plus haut: un lieu 2. Le désert serait alors une distance critique vis-à-vis de l’état du monde. Il s’agirait alors de promouvoir une forme de désertion des modes quotidiens d’être au monde – questions initiées lors des Traverse(s) : L’ordre du monde et L’ordinaire - extra (années 2011 et 2012). 3. On sait le succès fondé sur un malentendu d’ailleurs de la proposition foucaldienne à propos des hétérotopies. Ce ma- lentendu est né de l’oubli de ce que Foucault qualifia de mise en place des « techniques d’espace » au 19e siècle (espace, savoir et pouvoir) 4. C’est bien pour cela que tout pouvoir, selon Deleuze et Guattari, cherche à territorialiser ses pratiques. 5. A écrire cela nous l’espérons, l’esprit du lecteur se souvien- dra du sens premier de l’expression « territoires occupés ». Il semble bien que c’est lorsque le territoire échappe à une forme de souveraineté que se redécouvre la difficulté d’en avoir une représentation au sens esthétique et politique et que le pluriel de l’expression fasse véritablement signification. L’occupation allemande en France, plutôt faudrait-il faire diffé- rence pour dire l’occupation nazie, amena René Char le poète à écrire sur l’espace-temps de la résistance ; les territoires occupés de Palestine amenèrent Mahmoud Darwich à parler d’ « un désert qui achève le récit du long voyage des guerres aux guerres ». Sur la question politique territoriale, il convient d’avoir en tête la distinction établie par Deleuze : « C’est qu’il y deux mouve- ments très différents dans le capitalisme. Tantôt il s’agit de tenir un peuple sur son territoire, et de le faire travailler, de l’exploiter pour accumuler un surplus : c’est ce qu’on appelle d’ordinaire une colonie. Tantôt au contraire il s’agit de vider un territoire de son peuple, pour en faire un bond en avant, quitte à faire venir une main-d’œuvre d’ailleurs.» « Les indiens de Palestine » in Deux régimes de fous, Les Editions de Minuit, Paris 2003. p. 180-181. Ce que Deleuze néglige par stratégie, c’est la notion de la réserve qui relèverait d’une forme de désertisation du territoire par l’occupation – d’une forme spécifique de déserts urbains. 3 sans localisation et sans détermination, que rien ne venait remplir que ce qui était déjà-là. Le premier sens du mot désert est ce lieu où rien d’humain n’est advenu. Un lieu en retrait d’occupations et de préoccupations, un lieu propice donc pour qui se retire et prend congé du monde. Nos déserts européens, on l’a malheureusement oublié, étaient les forêts, les montagnes a priori inaccessibles. Là où venaient se « retirer » du monde les ascètes, les moines, les ermites, les cénobites… Jamais désert ne paraît autant peuplé que lorsque la civilisation est en état de déséquilibre. Quels sont nos nouveaux déserts, ceux que nous voulons aujourd’hui investir ? Ce ne sont plus des déserts déjà-là ; ceux que la nature offrait immédiatement aux uploads/Geographie/ les-deserts-urbains.pdf

  • 29
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager