« Les Français sont fous » : confiné à Wuhan, un jeune Chinois raconte Didier J

« Les Français sont fous » : confiné à Wuhan, un jeune Chinois raconte Didier Jacob Il y a 7 heures L'avocat de C. Ghosn révèle les «scandales de l'affaire» Violences conjugales: les enfants sont aussi des victimes © Copyright 2020, L'Obs Né en 1989 à Wuhan, Bingtao Chen, qui vit en France depuis 2014, ne s’attendait pas au pire. Diplômé d’une grande école d’ingénieurs française, cet expat qui vit à Paris avait choisi, pour les fêtes, d’aller retrouver sa famille à Wuhan. Le 17 janvier 2020, il s’envole pour la Chine, des cadeaux pleins ses bagages. Sans doute sa sœur lui a parlé d’une étrange maladie, mais rien de grave. Les millions d’habitants de Wuhan ne sont-ils pas en train de préparer les festivités du nouvel an ? Pourtant, quelques jours plus tard, c’est la douche froide pour tous les habitants de la ville : le confinement est décrété. Attention, pas un confinement à la parisienne, mais à la chinoise, avec prise de température matin, midi et soir, news au compte-gouttes et mensonges à gogo à la télé nationale. Dans « Wuhan confidentiel », Bingtao Chen raconte son expérience au jour le jour, avec un sens du suspense d’autant plus impressionnant que, de la crise qu’il raconte, on connaît déjà la fin. Ironie de son histoire : à peine tiré d’affaire en Chine, enfin libre, il revient à Paris le 20 mars. La France vient de décréter… le confinement. Didier Jacob « Elles nous braquent leur pistolet à infrarouge sur le front » « Jeudi 23 janvier, la nouvelle fait l’effet d’une bombe : la mairie de Wuhan ordonne la fermeture de tous les moyens de transport. La veille du réveillon de Nouvel An ! Depuis 10 heures ce matin, il est interdit de sortir de la ville, que ce soit par avion, train, bus, autoroute ou bateau. Beaucoup de gens ont déjà quitté le Hubei pour les fêtes mais ceux qui ne l’ont pas encore fait se retrouvent coincés. Cinq millions de personnes ont cependant pu partir. Il sera dit par la suite qu’elles ont fui, mais ce n’est pas exact. La réalité est que ces départs ont eu lieu avant le bouclage de la ville. Personne ne s’est échappé. Simplement, comme chaque année à la même époque, les gens vont retrouver leur famille pour célébrer la fête la plus importante du calendrier chinois. C’est juste la plus grande transhumance humaine de l’année au monde. C’est un immense chassé-croisé aux quatre coins de la Chine et de la planète, tant la diaspora chinoise est dispersée et les huaqiao, les émigrés chinois, nombreux. Alors cinq millions, c’est juste normal. Une telle mesure est une première dans l’histoire du pays. Plus aucun transport public ne fonctionne et les festivités du Nouvel An sont annulées. Je suis désespéré. Choquée, la population découvre la gravité de la situation. Deux jours plus tôt l’information était encore confidentielle, aujourd’hui les alertes officieuses de WeChat sont confirmées : le nouveau virus n’est pas une petite grippe et l’épidémie va avoir des répercussions sanitaires, sociales et économiques majeures. D’autant que les notifications se mettent à proliférer. Sur WeChat, on se passe en boucle le message vocal qu’une infirmière en pleurs a adressé à ses proches, leur disant de ne surtout pas sortir, que la situation à l’hôpital est hors de contrôle. Elle est obligée de rester mais elle a tellement peur, ce virus est beaucoup plus dangereux qu’on le pensait. Et puis, il y a cette vidéo qui tourne en boucle sur le réseau, où l’on voit un couple dans un hôpital saturé, le mari a perdu connaissance et la femme, en pleurs, supplie le médecin de l’aider car elle aussi est contaminée. Une autre vidéo, également tournée à l’hôpital, montre un homme évanoui devant le comptoir où l’on vient retirer les médicaments. Mes cousins se sont préparés avant l’heure à ce blocage inédit. Ils ont dévalisé les magasins et rempli leurs placards et frigo. Ils m’alertent sur le prix des masques FFP2 qui commence à grimper. On en rigole un peu. On a l’impression d’être dans un épisode de Resident Evil, version chinoise. Mais bon, je sens déjà qu’on se dirige vers une situation qui va avoir des répercussions considérables sur ma vie. Je me demande comment je vais pouvoir rentrer à Paris. Le lendemain du jour de l’An, à 9 h 30, on sonne à notre porte. Mon père va ouvrir. Ce sont deux voisines de notre résidence, mes parents les connaissent. Elles portent le masque et des gants en plastique. Mes parents et elles commencent par l’échange des politesses d’usage. Chez nous, on ne se demande pas comme en France « Comment vas-tu ? » mais « Est-ce que tu as bien mangé ? ». Puis elles expliquent l’objet de leur visite. Elles sont là pour relever les températures. À compter d’aujourd’hui, chaque matin entre 9 h 30 et 10 heures, on viendra nous prendre la température. Quand je me montre, elles me questionnent. Elles connaissent notre famille, elles savent que je vis en France. Je dois alors remplir le formulaire qu’elles me tendent : date de mon arrivée, par quel vol, quelle compagnie, les lieux par lesquels j’ai transité et la date prévue de mon départ. Puis elles nous braquent leur pistolet à infrarouge sur le front et s’en vont. À demain. (…) « Je déteste cette gestion de la communication en Chine » Vendredi 7 février Tard dans la nuit, j’ai vu passer une notification sur WeChat annonçant, selon les sources de l’OMS, la mort du docteur Li Wenliang. Aussitôt après, une autre notification, émanant du Parti communiste cette fois, rectifiait et parlait « d’état critique » : le médecin serait en train d’être sauvé, il a été mis sous respirateur artificiel. Ce genre d’information et contre-information me met en colère. Je sais que c’est leur façon à eux de chercher à juguler la haine du peuple. Pourquoi avoir voulu faire taire ce médecin qui avait raison ? Pourquoi avoir parlé de « rumeur » alors que le gouvernement savait ce qu’il se passait ? Cette censure m’est insupportable. Je déteste cette gestion de la communication en Chine. Entre-temps, l’hôpital où il était soigné a confirmé son décès sur Weibo, notre Twitter national. Je me suis endormi là-dessus. À mon réveil, l’information est officielle. L’ophtalmologue qui a donné l’alerte est mort du virus. Nous avions pratiquement le même âge. Dans la nuit, les publications annonçant la nouvelle ont cumulé plus de 1,5 milliard de vues. De nombreux usagers reprennent les mots du médecin érigé en héros : « Dans une société en bonne santé, il ne peut y avoir qu’une seule voix. » Sur Weibo, le hashtag « nous voulons la liberté d’expression » a été largement partagé, avant d’être censuré. Cette manipulation de l’opinion soulève une vague d’indignation sur les réseaux et beaucoup d’émoi dans la population. Les gens exigent la vérité. Sur WeChat, les mots de recueillement se mêlent aux cris de colère. « Que tous ces fonctionnaires qui s’engraissent avec l’argent public périssent sous la neige », s’emporte un internaute. Pour répondre à la colère du peuple, le gouvernement central fait ouvrir une enquête. L’ambiance est devenue électrique. Le peuple n’hésite plus à critiquer ouvertement la gestion de l’épidémie à Wuhan. La mort du docteur a chauffé à blanc la population. Les chefs du Parti et les dirigeants de la province du Hubei sont désormais sur la sellette. Je ne donne pas cher de leur peau. « On se croirait en pleine période de marché noir » Samedi 15 février C’est le week-end, ce qui ne veut plus rien dire depuis longtemps. Dehors il commence à neiger. Mon moral est toujours en berne. Le seul moment d’excitation de la journée – je ne pensais pas en arriver là un jour – est la livraison attendue des paniers repas. Vers midi, nous sommes prévenus que notre commande vient d’être déposée à l’entrée de la résidence. Je me couvre et je sors. Je dois faire quelques pas dans la neige – sans aucun plaisir alors que d’habitude j’aime ça –, le temps de rejoindre le hall d’entrée pour récupérer nos paniers. Je paie, une fortune, ces deux paniers. L’un de viande et l’autre de légumes. En remontant à la maison, mon père et ma mère sont comme moi : curieux et impatients de déballer ces paquets de victuailles. Dans le panier de viande, nous trouvons du porc et du bœuf, rien que de très banal. Puis nous ouvrons le panier de légumes. Et là, surprise : tout vient du nord de la Chine. Il y a du chou chinois mais pas la même variété que dans le Hubei. Des pommes de terre, on n’en mange jamais. Des haricots verts, on ne sait pas comment les cuisiner. Beaucoup d’oignons : on évite d’en consommer car ça sent mauvais et ça indispose. Heureusement, tout au fond du panier, on découvre un concombre et des patates douces. Cela rend un semblant de sourire uploads/Geographie/ les-francais-sont-fous-un-tres-beau-texte-sur-la-coronavirus.pdf

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