© Éditions Albin Michel, 2021 ISBN : 978-2-226-46177-3 Ce document numérique a
© Éditions Albin Michel, 2021 ISBN : 978-2-226-46177-3 Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. Rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie pour Monsieur le Président de la République, Emmanuel Macron « J’ai aimé avec passion cette terre où je suis né, j’y ai puisé tout ce que je suis, et je n’ai jamais séparé dans mon amitié aucun des hommes qui y vivent, de quelque race qu’ils soient. Bien que j’aie connu et partagé les misères qui ne lui manquent pas, elle est restée pour moi la terre du bonheur, de l’énergie et de la création. » Albert Camus, « Appel pour une trêve civile en Algérie ». 22 janvier 1956 « Le pays se réveille aveuglé par la colère et plein de pressentiments ; une force confuse monte en lui doucement. Il est tout effrayé encore mais bientôt il en aura pleinement conscience. Alors, il s’en servira et demandera des comptes à ceux qui ont prolongé son sommeil. » Mouloud Feraoun, Journal, 1955-1962. Le président de la République m’a confié en juillet 2020 une mission pour la rédaction d’un rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation, et la guerre d’Algérie. Il écrivait, dans la lettre de mission : « Je souhaite m’inscrire dans une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algérien. Le sujet de la colonisation et de la guerre d’Algérie a trop longtemps entravé la construction entre nos deux pays d’un destin commun en Méditerranée. Celles et ceux qui détiennent entre leurs mains l’avenir de l’Algérie et de la France n’ont aucune responsabilité dans les affrontements d’hier et ne peuvent en porter le poids. Le devoir de notre génération est de faire en sorte qu’ils n’en portent pas les stigmates pour écrire à leur tour leur histoire. Ce travail de mémoire, de vérité et de réconciliation, pour nous-mêmes et pour nos liens avec l’Algérie, n’est pas achevé et sera poursuivi. Nous savons qu’il prendra du temps et qu’il faudra le mener avec courage, dans un esprit de concorde, d’apaisement et de respect de toutes les consciences. Aussi, conscient et respectueux de vos engagements, je souhaite pouvoir compter sur votre expérience et votre connaissance intime et approfondie de ces enjeux pour nourrir nos réflexions et éclairer nos décisions, en vous confiant une mission de réflexion. » Cette initiative intervenait après que le Président eut critiqué le système colonial, lors d’un déplacement à Alger en février 2017. D’autres initiatives avaient suivi. Il y avait eu, en 2018, la reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans la mort du mathématicien Maurice Audin, disparu en 1957 à Alger. Et plus récemment, le Président français a honoré sa promesse de restituer à Alger les crânes des Algériens tués en 1849 lors de la conquête du pays, et dont les restes avaient été conservés au musée de l’Homme, à Paris. Le rapport que j’ai remis au Président en janvier 2021 aborde plusieurs questions. D’abord, les traces, survivances, effets des mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie sur la société française. De l’installation de l’oubli à la séparation des mémoires. Puis, sont exposés et discutés les différents discours des chefs d’État français à propos de l’Algérie, du passage des indépendances à nos jours ; avec un bref inventaire des initiatives prises par les sociétés civiles entre les deux pays. Dans une dernière partie sont traitées les questions relatives aux archives en général, celle des personnes disparues en particulier, de la connaissance et reconnaissance du fait colonial et de la guerre d’Algérie. Le rapport présente enfin différentes préconisations à mettre en œuvre pour une possible réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie. Au moment où la rédaction de ce rapport touchait à sa fin, des attentats meurtriers ont frappé la France, la décapitation du professeur d’histoire Samuel Paty, et l’assassinat à Nice de trois fidèles dans une église, victimes du terrorisme islamiste. Ces questions, en particulier le rapport entre le travail d’éducation et le surgissement de la violence, sont abordées à la fin de ce rapport. À l’heure de la compétition victimaire et de la reconstruction de récits fantasmés, on verra que la liberté d’esprit et le travail historique sont des contre-feux nécessaires aux incendies de mémoires enflammées, surtout dans la jeunesse. Partie I Algérie, l’impossible oubli Les effets de mémoires « Ne peut-on pas dire que certains peuples souffrent d’un trop de mémoire, comme s’ils étaient hantés par le souvenir des humiliations subies lors d’un passé éloigné et aussi par celui des gloires lointaines ? Mais ne peut-on pas dire au contraire que d’autres peuples souffrent d’un défaut de mémoire comme s’ils fuyaient devant la hantise de leur propre passé ? » Paul Ricœur, « Le pardon peut-il guérir ? », Esprit 3-4 (1995), 77. « Ce sont des âmes d’ancêtres qui nous occupent, substituant leur drame éternisé à notre juvénile attente, à notre patience d’orphelins ligotés à leur ombre de plus en plus pâle, cette ombre impossible à boire ou à déraciner – l’ombre des pères, des juges, des guides que nous suivons à la trace, en dépit de notre chemin. » Kateb Yacine, Nedjma, 1956. Un exercice difficile, mais nécessaire La représentation du passé n’est pas un acte anodin quand il s’agit de la guerre d’Algérie, car elle touche à plusieurs groupes de personnes traumatisées (soldats, officiers, immigrés, harkis, pieds-noirs, Algériens nationalistes). Et quand ces représentations entrent en contradiction avec des discours dominants, officiels, la réminiscence devient alors moins évidente, plus douloureuse, et l’analyse de ce passé est plus confuse, délicate. Pour les sociétés française et algérienne, que faire de toutes les traces de guerre qui hantent les mémoires ? Quel statut donner aux souvenirs des uns et des autres ? Quelle interprétation faire de ces silences que les sociétés accumulent pour continuer à vivre ensemble ? Et faut-il tout raconter, tout dévoiler des secrets de la guerre ? La question de la fidélité de la mémoire, de la représentation de la chose passée n’est pas simple. Les relations entre les deux pays restent donc, soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, difficiles, complexes, tumultueuses. La rédaction commune d’un manuel scolaire, sur le modèle franco-allemand, n’est pas envisagée. Un « traité d’amitié », à la suite de la visite de Jacques Chirac à Alger en 2003, n’est pas, non plus, à l’ordre du jour. Les polémiques sur le passé, de la conquête coloniale française au XIXe siècle à la guerre d’Algérie des années 1950, ne cessent de rebondir. Dans ces querelles incessantes, il est possible de voir la panne de projets d’avenir entre les deux pays. Exprimant la pensée de plusieurs intellectuels et universitaires, le politiste et philosophe Raphaël Draï, de la communauté juive de Constantine, avait ainsi expliqué, en 2000, dans un dialogue avec l’universitaire islamologue Bruno Étienne : « Je n’ai jamais abandonné l’idée, non pas exactement d’un retour en Algérie, mais d’une réconciliation avec l’Algérie devenue indépendante. J’ai toujours ressenti mon départ d’Algérie comme profondément injuste. Comme une sanction pour une faute que je n’avais pas commise personnellement. Cela dit, je n’ai pas essayé de l’imputer à d’autres, je l’ai affectée à l’irrationalité de l’Histoire, à sa dureté. Et, plutôt que d’essayer de comprendre ce qui ne me paraissait pas relever du domaine de l’explicable simple, j’ai pensé que le plus important était de maintenir la possibilité même de la réconciliation. J’ai longuement médité sur la tragédie que nous avions vécue. Tragédie que j’ai toujours mise dans la perspective de cette réconciliation 1. » Singularité d’un conflit La guerre d’Algérie a longtemps été nommée en France par une périphrase – « les événements d’Algérie » – tandis que, de l’autre côté de la Méditerranée, les Algériens construisaient leur mémoire antagoniste de « la guerre d’indépendance ». Soixante ans après, l’Histoire est encore un champ en désordre, en bataille quelquefois. La séparation des deux pays, au terme d’un conflit cruel de sept ans et demi, a produit de la douleur, un désir de vengeance et beaucoup d’oublis. Les mémoires sont composites en France : nostalgie langoureuse du pays où « la mer est allée avec le soleil », Atlantide engloutie de l’Algérie française, hontes enfouies de combats qui ne furent pas tous honorables, images d’une jeunesse perdue et d’une terre natale à laquelle on a été arraché. Quelquefois d’une image, d’un son, d’un mot jaillit la vérité de l’un de ces jeunes Français – un million et demi – qui ont été envoyés pour combattre en Algérie entre 1954 et 1962, ou de ces familles de pieds-noirs soudées par tant de souvenirs accumulés, ou encore d’un nationaliste algérien qui a vécu l’injustice coloniale et a trop longtemps attendu l’indépendance. C’est un exercice difficile que d’écrire sur la colonisation et la guerre d’Algérie, car longtemps après avoir été figée dans les eaux glacées de l’oubli, cette guerre est venue s’échouer, s’engluer dans le piège fermé des mémoires individuelles. Au risque ensuite d’une communautarisation des mémoires. Aujourd’hui, en France, plus de sept millions de résidents 2 sont toujours uploads/Geographie/ les-passions-douloureuses.pdf
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- Publié le Mai 23, 2022
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