Revue belge de philologie et d'histoire La structure de l'illustration du boucl
Revue belge de philologie et d'histoire La structure de l'illustration du bouclier d'Achille Atsuhiko Yoshida Citer ce document / Cite this document : Yoshida Atsuhiko. La structure de l'illustration du bouclier d'Achille. In: Revue belge de philologie et d'histoire, tome 42, fasc. 1, 1964. Antiquité — Oudheid. pp. 5-15; doi : 10.3406/rbph.1964.2501 http://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1964_num_42_1_2501 Document généré le 08/05/2016 LA STRUCTURE DE L'ILLUSTRATION DU BOUCLIER D'ACHILLE En 1941 M. Dumézil a proposé de reconnaître, dans les noms traditionnels des quatre tribus ioniennes, une trace de la tripartition fonctionnelle de la société archaïque grecque (classe sacerdotale, classe guerrière, classe productrice) (*), comparable aux faits qu'il avait relevés sur d'autres parties du domaine indo-européen (2) . Mais les noms en question, "Οπλητες, Άργαδεΐς, Γελέοντες et ΑΙγικορεϊς (3), n'ont pas reçu jusqu'à piésent d'interprétation assurée (4) et les témoignages des auteurs classiques ne sont pas tout à fait concordants (5). Les noms de classes ou d'activités sociales que les tablet- (1) G. Dumézil, Jupiter, Mars, Quirinus (cité : JMQ), p. 252 et suiv. Voir aussi Id., L'idéologie tripartie des Indo- Européens (cité : Idéologie), 1958, pp. 16, 94-95. — Les abréviations non expliquées sont, en principe, celles de l'Année Philologique. (2) JMQ, pp. 41-56, 110-112, 129-148; cf. Idéologie, pp. 7-33, 93-99; II J, V, 1962, p. 187-202. (3) Plut. Solon, 23. Tous ces noms ont été abondamment retrouvés dans les colonies ioniennes d'Asie Mineure : M. P. Nilsson, Cults, Myths, Oracles and Politic in Ancient Greece (cité: Cults), 1951, p. 143-144. (4) Celles qui ont été proposées par Nilsson assisté de Frisk (Cults, App. I) sont, comme l'éminent savant paraît le reconnaître lui-même, aussi hypothétiques que celles de H, Jeanmaire, Couroi et Comètes, 1939, p. 115-133. (5) Strab. VIII, 7, 1 ; Plut., loc. cit., et Thésée, 25 ; Plat. Timée, 24A ; Critias, HOC; Diod. I, 28. Strabon, en particulier, interprète les quatre tribus, sans en citer les noms, comme φύλακες, δημιουργοί, γεωργοί et ίεροποιοί. Nilsson veut voir là l'influence de l'idée platonicienne de la tripartition de la cité idéale (Cuits, p. 145). Cependant Platon n'est pas l'inventeur de cette idée. Déjà, au siècle précédent, Hippodame de Milet avait partagé la terre de sa république idéale en trois catégories : la terre sacrée destinée à l'entretien des temples, la terre publique qui devait nourrir les guerriers, et la terre privée appartenant aux laboureurs (Aristote, Politique, II, 8, 1267b. Cf. E. Barker, Greek Political Theory, Plato and his Predecessors, 1918, p, 81 ; L, Gerschel dans JMQ IV, 1948, p. 176, n. 1). 6 A. YOSHIDA tes mycéniennes commencent à fournir se prêtent avec plus de sûreté à l'interprétation trifonctionnelle (*). A Pylos aussi bien qu'à Cnossos, on entrevoit une société composée essentiellement d'une classe sacerdotale désignée collectivement par l'adjectif wo-ro-ki-jo- ne-jo (cf. οργε(ι)ών), d'une classe guerrière, le λαβός, conduite par un λα/αγετάς et d'une classe productrice, le δαμος, dont les te-re-ta (τελεσταί) sont des ressortissants, avec comme représentants de la souveraineté, le pa-si-re-u (βασιλεύς) à l'échelon local et le wa-na-ka (FâvaÇ) à l'échelon central (2). C'est surtout dans deux tablettes de Pylos, Er 312 et Un 718, que cette structure de la société est clairement exprimée (3). Dans les deux premières lignes de la première, on lit que la terre d'un wanax (wa-na-ka-te-ro te-me-no) est évaluée à 30 unités de blé (4) . La troisième ligne évalue la terre d'un läwägetäs (ra-wa-ke-si-jo te-me-no) à 10 unités de blé. Suit un blanc qui marque visiblement, comme dit Will (5), « les distances dans la hiérarchie sociale ». Les deux lignes suivantes attribuent à trois hommes « te- reta » une terre de 30 unités de blé. Enfin, dans les deux dernières lignes, c'est la terre d'un collège de prêtres (wo-ro-ki-jo-ne-jo (e) e-re-mo) qui est évaluée à 6 unités de blé. La deuxième tablette énumère les contributions qu'un individu nommé Ekhelâwôn (e-ke- ra-wo), un village (da-mo), un läwägetäs et un collège de prêtres (wo-ro-ki-jo-ne-jo) doivent apporter à un culte de Poseidon. L'importance de la contribution du premier permet de reconnaître en lui un wanax (7). Ainsi les deux tablettes énumèrent comme étant les principales composantes de la société, un roi, un chef militaire, un village ou ses membres (8), et un corps sacerdotal (9). Elles paraissent donc (1) Cf. L. R. Palmer, TPhS, 1954, p. 18-53 ; Achaeans and Indo-Europeans, 1954, p. 1-22. (2) M. Lejeune, Hommages à G. Dumézil, 1960, p. 129-139 ; cf. aussi M. Ventris et J. Chadwick, Documents in Mycenaean Greek (cité : Documents), 1956, p. 119-125. (3) Documents, pp. 266, 282-283. (4) On y sème 3600 litres de blé (Ibid., p. 266). (5) E. Will, REA, LIX, 1957, p. 27. (6) Worgiones, de δργια. Cf. Documents, p. 412. (7) Ibid. p. 265. (8) Pour l'identification de telestai et dâmos, voir Documents pp. 121 et 265. (9) L'importance de ces tablettes a été soulignée par Ventris-Chadwick, p. 265. L ILLUSTRATION DU BOUCLIER D ACHILLE 7 bien confirmer que la société mycénienne avait une structure tripartie du type de celle que les travaux de M. Dumézil engagent à supposer dans la préhistoire des peuples indo-européens. Un certain nombre de faits (1) ont d'ailleurs été déjà signalés qui confirment que les Grecs eux-aussi avaient d'abord conçu le monde suivant cette idéologie tripartie. Nous nous proposons ici d'en signaler un autre : c'est sur la même idéologie qu'est fondée, dans VI- lw.de (XVIII, 483-608), la présentation du fameux bouclier d'Achille, dont on a tant discuté. Après une brève description, sur laquelle nous aurons à revenir, du travail du dieu artisan (468-481), le poète introduit celle de l'œuvre d'art par ces mots : αύταρ εν αντω τίοίει δαίδαλα τΐολλα ίδυίΐ]σι πραη'ιδεσαιν (481-482). L'expression ίδυί-ησι τΐραπίδεσσιν (« fruits des savants pensers », trad. Mazon) n'est pas vaine. Les ravissantes images qui suivent constituent, dit Forderer (2), «ein abgeschlossenes kleines Weltbild ». Celles du centre et celles de la bordure en sont le cadre naturel et relèvent de la cosmologie : au centre, c'est la terre, le ciel et la mer avec tout ce que contient le ciel, soleil, lune et astres (483-489) ; sur la bordure, c'est l'Océan (607-608), que la cosmologie et la théologie homériques (8) imposaient en effet à cette place (4). Entre ces deux ensembles, c'est au contraire une série de scènes décrivant la vie des hommes qu'a ciselées l'artiste. Or cette description est faite de trois parties, nettement distinctes, respectivement consacrées aux activités relevant d'une des trois fonctions de l'idéologie indo-européenne. Dans la figuration d'une ville en paix (490-508), sont représentés un mariage (490-496), puis un procès (497-508), deux des grandes manifestations du domaine juridique, c'est-à-dire de la première fonction (5). (1) Dumézil, JMQ IV, p. 176 ; La Saga de Hadingus, 1953, p. 152, n. 1 ; Hommages à Lucien Febvre, 1954, p. 27-31 ; Aspects de la fonction guerrière chez les Indo- Européens, 1956, p. 93-98 ; F. Vian, La guerre des Géants, 1952, p. 257 ; Hommages à G. Dumézil, p. 215-224 ; J.-P. Vernant, RHR, CLVII, 1960, p. 21-54. (2) Studium Generale, VIII, 1955, p. 294. (3) //. XIV, 201, 246 et 302 ; cf. Weizsäcker, Lex. de Röscher, s. ν. « Okeanos», 81 1-813. (4) Pour les places que ces images peuvent occuper sur un vrai bouclier, voir J. L. Myres, Who were the Greeks, 1930, p. 517-523 ; cf. aussi Id. JHS, LXI, 1941, p. 17-38. (5) L'idéologie indo-européenne subdivise, on le sait, la fonction de la souveraineté en 8 A. YOSHIDA La figuration d'une ville en guerre, qui vient ensuite (490-540), comprend essentiellement des combats, c'est-à-dire l'expression la plus typique de la deuxième fonction. Ces tableaux antithétiques de la vie citadine sont complétés par ceux de la vie rurale, d'abord les travaux de l'agriculture, puis ceux de l'élevage (541-589), c'est-à-dire les deux parties principales de l'activité nourricière qui est un des principaux aspects de la troisième fonction (x) ; de plus, dans la scène du χορός qui suit (590- 606) (2), des jeunes gens et des jeunes filles, beaux et richement ha- deux aspects : l'aspect juridique patronné, dans l'Inde, par Mitra avec, comme principaux adjoints, Aryaman et Bhaga et l'aspect magique dont Varuna est le patron solitaire (cf. Idéologie, pp. 62-72, 104-105). En tant que l'acte de procréation, le mariage nécessite l'intervention des dieux de la fécondité. C'est ainsi que dans l'Inde les Açvin, qui sont capables de donner un enfant à l'épouse d'un eunuque (RV, I, 112, 3), sont priés, conjointement avec Aryaman, Bhaga et Prajâpati, de donner la fécondité à la nouvelle mariée au moment de son arrivée au nouveau foyer (A V, XIV, 2, 13). Un rôle sensiblement analogue est joué à Rome, par les dieux jumeaux ( ?) Picumnus et Pilumnus (cf. Varro, ap. Nonius III, 848 L. et ap. Serv. Aen. X, 76) qui sont, comme les jumeaux védiques, dieux de la troisième fonction (cf. Blumenthal, RE. s.v. « Pilumnus» ; les dieux romains sont, en outre, patrons de l'agriculture, voir ibid., 1371 ;J. A. Hild, DA, s. v. «Picus», p. 471-472. Cf. aussi J. R. Harris. The Dioscuri in uploads/Geographie/ quot-la-structure-de-l-x27-illustration-du-bouclier-d-x27-achille-quot-de-a-yoshida.pdf
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- Publié le Mai 17, 2021
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