LES PROPOS D'ALAIN IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE, APRÈS IMPOSITIONS SPÉCIALES, C
LES PROPOS D'ALAIN IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE, APRÈS IMPOSITIONS SPÉCIALES, CENT VINGT-TROIS EXEMPLAIRES IN- QUARTO TELLIÈRE SUR PAPIER VERGÉ LAFUMA DE VOIRON AU FILIGRANE DE LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE, DONT HUIT EXEMPLAIRES HORS COMMERCE, MARQUÉS DE A A H, CENT EXEMPLAIRES RÉSERVÉS AUX BIBLIOPHILES DE LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE, NUMÉROTÉS DE I A C, QUINZE EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS DE CI A CXV, ET NEUF CENT QUARANTE EXEMPLAIRES IN-HUIT GRAND JÉSUS SUR PAPIER VÉLIN PUR FIL LAFUMA DE VOIRON. DONT DIX EXEMPLAIRES HORS COMMERCE MARQUÉS DE a A j, HUIT CENTS EXEMPLAIRES RÉSERVÉS AUX AMIS DE L'ÉDITION ORIGINALE, TRENTE EXEMPLAIRES D'AUTEUR HORS COMMERCE, NUMÉROTÉS DE 801 A 830, ET CENT EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS DE 831 A 930, CE TIRAGE CONSTITUANT PROPREMENT ET AUTHENTIQUEMENT L'ÉDITION ORIGINALE. EXEMPLAIRE 748 TOUS DROITS DE REPRODUCTION ET DE TRADUCTION RÉSERVÉS POUR TOUS LES PAYS, Y COMPRIS LA RUSSIE. COPYRIGHT BY LIBRAIRIE GALLIMARD, 1920. LES PROPOS D'ALAIN TOME SECOND EDITION ORIGINALE PARIS ÉDITIONS DE LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE 35 ET 37, RUE MADAME. 1920 LES PROPOS D'ALAIN I Quand la terre et le ciel se mêlent, quand, vers le milieu du jour, chaque brin d'herbe a sa goutte d'eau sans qu'on sache d'où elle est tombée, alors c'est bien l'automne. L'eau ne monte plus, alors, des racines aux feuilles. Le nuage qui traîne sur la terre endort les plantes. Quand on peut voir une ou deux étoiles, on s'étonne que le temps ait passé si vite. Car le ciel n'est plus le même qu'aux beaux jours. Les corps célestes, qui font un tour complet tous les jours, avancent en même temps un peu d'un jour à l'autre. Véga, l'étoile bleue, apparaissait presque au zénith, à l'heure où l'on va dormir ; maintenant, elle tombe déjà vers le couchant. D'autres étoiles se montrent, les brillantes Pléiades, serrées comme un essaim d'abeilles, et, au-dessous, le beau triangle des Hyades, avec Aldébaran, l'étoile rouge. Orion et les trois rois ne sont pas loin ; c'est donc le soir de l'année. Il est très vrai qu'on s'endormirait maintenant avec toutes choses, si l'on se laissait aller. A mesure que les feuilles jaunissent, le sommeil tombe sur les yeux. Un peu de nuit traîne sous les arbres jusqu'au milieu du jour, et le soir ne s'en va jamais tout à fait. L'on pense « bonsoir » par ces temps-là. On devient historien ; on pense aux choses faites. Aujourd'hui penche vers hier, non vers demain. Le soir est l'heure du souvenir. Selon l'histoire des langues, hier est parent du soir, et demain se dit comme matin. Cela étonne dès qu'on y pense ; mais on le comprend bien vite. Ce n'est pas au milieu de la journée que l'on pense au temps ; on est tout à l'action ; on dévore le temps, sans le compter. C'est le matin et le soir que l'on pense au temps. Le soir, on considère les sillons achevés ; et le matin on imagine les sillons à faire. Le repos et la fatigue s'accordent bien avec ces pensées-là. Le soir, on constate ; le matin, on invente. C'est pourquoi les images du soir sont liées à l'idée du passé et celles du matin à l'idée de l'avenir. La même couleur se remarque dans les saisons, et une année est comme une journée. L'homme résiste à tout cela. Il allume sa lampe ; il lit ; il pense. Il risque de trop penser, de ne pas assez dormir, et de trop mépriser les conseils de l'automne. Tout le progrès tient pourtant à cette révolte- là. Nous refusons d'être marmottes. C'est pourquoi il est beau que, justement, dans ces temps-ci, les petits garçons traînent leur sac de livres, et que les écoles s'allument. Il n'est plus temps de louer les abeilles ; quand elles s'endorment, c'est alors que nous nous veillons par volonté. L'école du soir est une chose humaine. II La vie facile, mes amis, c'est la vie d'esclave. Dès que l'on a accepté des rois pour les affaires visibles et un Dieu pour les affaires invisibles, je vois que l'on est délivré de bien des soucis. L'on décide, avec le jésuite, que les choses de cette terre sont livrées aux forces, que le droit n'est rien autre chose que ce qui est avantageux au plus fort, et qu'enfin les desseins de Dieu sont parfaitement inintelligibles. D'où l'on vient à crier : « Vive le roi » autant qu'il faut, et à pousser sa propre fortune, au lieu de raisonner sur le bien public. La Religion est un opium. Penser est une charge. Obéir et imiter, au contraire, cela donne des plaisirs sans mélange, pourvu que l'on ait bien tué le microbe qui juge. Il n'est point d'esclavage ni d'avilissement que l'alcool ne rende supportable ; on vit alors dans un demi-sommeil ; on n'examine point ; on ne prononce point. A vrai dire, pour ces consciences crépusculaires, il n'y a plus que des esquisses ; ce sont des limbes ; ce sont des ombres légères ; rien n'y arrive à l'existence. C'est un peu comme dans les rêves ; on y voit bien des choses dont on aurait peur, ou dont on aurait horreur si l'on pouvait les saisir ; mais aussi elles n'ont point de solidité ; ce sont des possibles dansants et vacillants ; la réflexion est trop lourde pour eux ; dès qu'elle veut s'y accrocher, ils s'enfoncent. Le chagrin est noyé avant d'avoir crié. Qu'est-ce que le chloroforme ? C'est une espèce d'alcool qui n'endort que la partie gouvernante et réfléchissante. La vie continue, et souffre pour elle-même dans les profondeurs. Chaque parcelle de chair se défend pour son compte et crie autant qu'elle peut ; mais le tout n'en sait rien, le gouvernement n'en sait rien. Ce sont alors des peines sans mémoire, parce que ce sont des peines sans pensée. On ne définirait pas mal l'esprit jésuite comme un chloroforme moral, qui tue la réflexion et l'examen, dans l'individu comme dans l'état ; car les deux se ressemblent. « On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit. » Parole d'esclave. Le despotisme rend l'injustice facile à commettre et facile à supporter. Vous donc, qui n'avez point voulu de cet opium-là, qui n'en voulez point, n'allez pas croire que la vie libre, clairvoyante et juste ne coûte rien. Tout est contre elle, coalition des voleurs et coalition des sots ; tout est contre elle, et elle-même souvent contre elle. Et je ne vois, pour la porter au-dessus des abîmes, qu'un grand amour échangé et renvoyé de chacun à tous et qui balaie ces nuages de peine. Songez que chacun de vous porte ainsi les autres, et qu'il n'est pas dit que la liberté et la justice seront pour rien. C'est très cher, et ce n'est jamais trop cher, parce que c'est très beau. Donc un enthousiasme jeune autour des tombeaux. Nos morts le veulent. III « Etre radical quand on est vieux, disait Goethe, c'est le comble de toute folie. » Il voulait parler du grand anglais Bentham, auquel la Convention donna le titre de citoyen Français, et qui, jusqu'à son dernier souffle, s'occupa à concevoir les pouvoirs publics, les droits du citoyen, la vertu, le vice, les peines et les prisons selon le bon sens, et sans respecter les traditions. Vous voyez que Bentham était réellement un vieux radical, et que le mot n'a point changé de sens. Mais je reviens à Gœthe. C'était pourtant un homme qui ne respectait rien. Il a pris soin de nous le dire : « Méphistophélès, c'est moi. » Par où l'on peut voir qu'il a joué toute sa vie un rôle, ayant renoncé de bonne heure à changer les passions des hommes et à organiser la vie sociale selon la sagesse. Voilà pourquoi, ne respectant point les puissances, il les saluait très poliment. Voilà pourquoi aussi son Méphistophélès raille toutes choses et se moque de lui- même. Fou, semble-t-il dire, triple fou qui a foi dans le bon sens. Il ne manque pas de Méphistophélès dans le monde. Car la vie en société nous fait plier malgré tout. On se fatigue d'appeler les choses de leur nom ; on se fatigue de blâmer ; nulle amitié n'y tiendrait. Bonté et sécheresse de cœur travaillent ensemble. Pourquoi se faire du tort à soi-même si l'on fait en même temps de la peine aux autres ? D'autant que les puissances ne manquent pas d'offrir à notre Alceste quelques bonnes places et quelques compliments à moitié justes. De façon que le désordre social devient une espèce de fauteuil très moelleux où le sévère critique se trouve assis comme malgré lui, ce qui fait de lui, bientôt, un Jérémie assez ridicule. Ajoutons que l'âge nous fait craindre les excès de la force, et même tout changement. « J'aime mieux une injustice qu'un désordre », disait l'olympien Goethe. Par cette pente, on arrive à vouloir tout conserver, et à confondre l'ordre avec la justice. J'en ai connu de ces radicaux, dont la doctrine blanchissait plus uploads/Geographie/ les-propos-d-x27-alain-tome-2.pdf
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- Publié le Jan 27, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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