ACCENT Maria Candea Éditions de la Maison des sciences de l'homme | « Langage e

ACCENT Maria Candea Éditions de la Maison des sciences de l'homme | « Langage et société » 2021/HS1 Hors série | pages 19 à 22 ISSN 0181-4095 ISBN 9782735128273 DOI 10.3917/ls.hs01.0020 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2021-HS1-page-19.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de la Maison des sciences de l'homme. © Éditions de la Maison des sciences de l'homme. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Il peut s’agir d’identifier ainsi, sur la base de leur prononcia- tion, des personnes ayant acquis une langue dans une région par rapport à une autre région ; ou bien des personnes ayant appris tardivement une langue par rapport à des personnes socialisées dans cette langue dès leur enfance ; ou encore des personnes affiliées à un groupe social par rapport à un autre groupe social. Selon le cas, l’ensemble de traits de pro- nonciation qui suffisent pour permettre ce repérage sera désigné comme constituant un accent régional, un accent étranger ou un accent social, et les personnes concernées s’entendront dire qu’elles « ont un accent ». La définition pose d’emblée plusieurs types de problèmes du fait notamment qu’elle repose essentiellement sur la perception par autrui de certains traits de prononciation. Par définition, un accent n’existe pas en soi et n’a donc pas d’autonomie ontologique : il est toujours relatif à une prononciation qui sert de repère, de comparaison ou de référence, et cette référence peut être plus ou moins partagée. Dans la tradition anglophone, toute prononciation correspond à un accent. Celui-ci représente, selon le Cambridge Dictionary, « the way in which people in a particular area, country, or social group pronounce © Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 24/02/2022 sur www.cairn.info via Université Hassan II (IP: 196.127.131.234) © Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 24/02/2022 sur www.cairn.info via Université Hassan II (IP: 196.127.131.234) / MARIA CANDEA 20 words » (la façon dont les gens d’une région, pays ou groupe social par- ticulier prononcent les mots). La définition anglaise ne postule pas une hiérarchie des accents, mais ne l’interdit pas non plus : parmi la variété disponible, un accent peut être considéré comme préférable, comme « bon », mais le choix se négociera selon les contextes. Dans la tradition francophone, en revanche, il existerait une pronon- ciation considérée comme sans accent censée servir de référence unique, tous contextes confondus. Selon le Trésor de la langue française, l’accent correspond à l’« ensemble des traits de prononciation qui s’écartent de la prononciation considérée comme normale et révèlent l’appartenance d’une personne à un pays, une province, un milieu déterminés ». Ainsi, la définition française postule la hiérarchie des accents et associe tout accent à un pôle axiologiquement négatif ; l’accent est un qualificatif déclassant, qu’il convient d’éviter pour avoir accès aux lieux d’exercice du pouvoir symbolique. Le parler réputé sans accent indique l’appar- tenance sociale au groupe dominant ; la variabilité des prononciations de ce groupe dominant échappe par postulat à la catégorie accent et, partant de là, tout écart par rapport à la norme au sein de ce groupe sera catégorisé comme relevant non d’un accent mais d’un style (pôle axiologiquement positif). Cela explique par exemple des dynamiques observées dans l’évolution des accents régionaux en France hexagonale : pour éviter la discrimination à l’embauche ou la dévalorisation de ses compétences et espérer une promotion sociale (Gasquet-Cyrus, 2012), les locuteurs et locutrices des régions réputées « à accent » mettent en place des stratégies de non transmission familiale des pratiques de pro- nonciation qui aboutissent à un vaste mouvement d’homogénéisation des prononciations observé à l’échelle des trois dernières générations (Durand, Laks & Lyche, 2009). La relativité de la notion entraine par ailleurs une instabilité inhé- rente dans toute description des accents. Plus exactement, les traits qui constituent un accent se laissent difficilement répertorier de manière robuste ; Lippi-Green (1997, p. 142) parle de « faisceau lâche » (« loose bundles of prosodic and segmental features »). Par exemple, un trait de prononciation peut être saillant et perçu comme relevant d’un accent par certains auditeurs mais pas par d’autres ; le même enregistrement peut être attribué à une région par un groupe d’auditeurs et à une autre région par un autre groupe (Armstrong & Boughton, 2000) ; ou encore, un trait peut être saillant perceptivement à un moment, et perdre sa saillance une génération plus tard (ou vice versa, acquérir une saillance). © Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 24/02/2022 sur www.cairn.info via Université Hassan II (IP: 196.127.131.234) © Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 24/02/2022 sur www.cairn.info via Université Hassan II (IP: 196.127.131.234) ACCENT / 21 Si l’accent manque de bases empiriques solides en phonétique, il repose sur des convergences fortes dans les représentations et attitudes suscitées par un ensemble de traits de prononciation dans un contexte culturel donné (Candea, Planchenault & Trimaille, 2019). Cela explique les marges de distorsion particulièrement larges, potentiellement infi- nies, entre la description acoustique d’une prononciation et sa percep- tion en situation. D’un côté, de nombreuses études corroborent les résultats d’Armstrong & Boughton (2000) pour la France et montrent que, lorsqu’il s’agit d’identifier précisément la région d’origine d’une personne en écoutant sa prononciation, les gens font preuve de piètres capacités (à peine peuvent-ils distinguer grossièrement un domaine sep- tentrional, un domaine méridional et un domaine intermédiaire à l’est (selon la thèse de Cécile Woehrling en 2009, Accents régionaux en fran- çais : perception, analyse et modélisation à partir de grands corpus). D’un autre côté, la capacité à identifier l’appartenance à une classe sociale est bien meilleure : or, les discours ordinaires font souvent mention d’ac- cents régionaux mais très rarement, pour des raisons idéologiques, de « variétés sociales » (Gadet & Paternostro, 2013). Les variétés sociales sont rarement nommées, et celle qui est le plus souvent désignée expli- citement c’est « l’accent de banlieue », nommé par euphémisme à l’aide d’une catégorie territoriale – vague et stéréotypée – et non une catégorie sociale ou stylistique. En outre, des études sur la perception des accents ont montré que celle-ci était très sensible aux représentations – notam- ment racistes – et qu’il était possible de mesurer expérimentalement un véritable accent de faciès : tel est le cas de l’étude de Donald Rubin (1992) qui montre que pour susciter la perception d’un accent et la caté- gorisation d’une prononciation comme plus difficilement intelligible, il suffisait de l’associer à la photo d’une personne d’apparence asiatique. Après une période où la plupart des recherches sur les accents visaient à établir des cartes (voir pour la France, par exemple, l’enquête d’An- dré Martinet parue en 1945, La prononciation du français contemporain, témoignages recueillis en 1941 dans un camp d’officiers prisonniers), les recherches en sociolinguistique et sociophonétique se sont davantage inté- ressées aux dynamiques de changement des prononciations d’une personne (Lippi-Green, 1997 ; Gasquet-Cyrus, 2012) ou d’un groupe plus ou moins homogène (par exemple Durand, Laks & Lyche, 2009). Les fac- teurs de variation pris en compte sont en général les situations, l’âge, les identités, les affiliations régionales. Une grande attention est accordée aux discours sur les prononciations produites (discours auto- centrés ou hété- ro-centrés, voir Candea, Planchenault & Trimaille, 2019) et également © Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 24/02/2022 sur www.cairn.info via Université Hassan II (IP: 196.127.131.234) © Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 24/02/2022 sur www.cairn.info via Université Hassan II (IP: 196.127.131.234) / MARIA CANDEA 22 aux capacités à les distinguer perceptivement, mesurées de manière expé- rimentale (par exemple Rubin, 1992 ; Armstrong & Boughton, 2000). Références bibliographiques Armstrong N. & Boughton Z. (2000), « Absence de repères régionaux et relâchement de la prononciation », LINX 42, p. 59-71. Candea M., Planchenault G. & Trimaille C. (dir.) (2019), « Accents du français : approches critiques », Glottopol 31. uploads/Geographie/ ls-hs01-0020.pdf

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