IEP de Toulouse La Peste noire et la mutation sociale de l'Occident Mémoire de

IEP de Toulouse La Peste noire et la mutation sociale de l'Occident Mémoire de recherche présenté par : Jean-Philippe DE HAUTECLOCQUE Directrice du mémoire : Stéphanie BURGAUD 2014 2 Remerciements Je remercie Stéphanie Burgaud d'avoir accepté d'être ma directrice de mémoire. Ses conseils et ses recommandations ont grandement apporté à la clarté de mon propos et à la structure de mon argumentation tout en m'ouvrant de nouvelles pistes de réflexion. Je remercie également l'ensemble des historiens médiévistes qui ont accepté de m'aider et de répondre à mes questions : Stéphane Lebecq, Philippe Contamine, Jean- Luc Sarrazin, Jean-François Lassalmonie, Henri Bresc et Marie-Hélène Congourdeau. Leurs avis et leurs conseils m'ont permis de mieux délimiter mon sujet, d'orienter mes lectures, de développer de nouveaux arguments et ont ainsi énormément contribué à la rédaction de ce mémoire. 3 Sommaire Introduction ....................................................................................................................................... 4 I / Transformations économiques et ébranlement de la structure sociale ............. 22 A. Bouleversements économiques et hausse du niveau de vie de la paysannerie ............ 22 1/ Des changements économiques majeurs ............................................................................................. 22 2/ Entre hausse conjoncturelle et acquis permanents : l'évolution de la situation de la paysannerie ............................................................................................................................................................. 30 B. La chute de l'autorité des élites médiévales .............................................................................. 35 1/ Contestation du pouvoir et comportements subversifs : un nouveau rapport à l'élite..... 35 2/ Contestation de l'autorité religieuse ...................................................................................................... 40 II / Un nouveau schéma social vecteur de transformations culturelles et religieuses ........................................................................................................................................ 45 A. La montée en puissance de plusieurs groupes sociaux ......................................................... 45 1/ L'essor de la bourgeoisie médiévale ....................................................................................................... 45 2/ L'essor de la petite noblesse et l'émergence d'une élite rurale .................................................. 50 B. L'avènement de la Réforme ............................................................................................................. 54 1/ Renouvellement de l'élite et essor des cultures nationales .......................................................... 54 2/ Un nouveau schéma social favorable à la diffusion de la Réforme ............................................ 59 Conclusion ........................................................................................................................................ 64 Bibliographie .................................................................................................................................. 66 4 Introduction “L’an 1348, la peste se répandit dans Florence, la plus belle de toutes les villes d’Italie. Quelques années auparavant, ce fléau s’était fait ressentir dans diverses contrées d’Orient, où il enleva une quantité prodigieuse de monde. Ses ravages s’étendirent jusque dans une partie de l’Occident, d’où nos iniquités, sans doute, l’attirèrent dans notre ville. Il y fit, en très-peu de jours, des progrès rapides, malgré la vigilance des magistrats, qui n’oublièrent rien pour mettre les habitants à l’abri de la contagion. Mais ni le soin qu’on eut de nettoyer la ville de plusieurs immondices, ni la précaution de n’y laisser entrer aucun malade, ni les prières et les processions publiques, ni d’autres règlements très-sages, ne purent les en garantir.” Ainsi Giovanni Boccaccio décrit-il l'arrivée de l'épidémie en introduction de son Décaméron1 : au mépris des supplications des clercs et des précautions des magistrats, la Peste noire atteint Florence comme les autres villes de la Méditerranée en 1348, pour ensuite se propager à toutes les régions d'Occident. Le terme de Peste noire ne semble pas dater de l'époque médiévale : il nous vient de l'anglais, apparaissant pour la première fois sous le nom de Black death, “Mort noire”, dans une histoire de l'Angleterre écrite par Elisabeth Cartwright Penrose, éditée en 18232 en tant que manuel scolaire et réédité à de nombreuses reprises au cours du XIXème siècle aux Etats-Unis comme en Angleterre. Le terme fût introduit ensuite dans le milieu médical par le médecin allemand J.F.K. Hecker qui publia en 1833 un essai sur la maladie intitulé Der shwarze Tod – “la Mort noire3”. Le succès immédiat de l'ouvrage popularisa l'expression et en répandit l'usage4. La Peste noire de 1347-1352 et ses réitérations tout au long du XIVème et XVème siècles sont la plus grande catastrophe démographique qu'ait connu l'Europe de toute son 1 Le Décaméron est un recueil de cent nouvelles écrites par Boccaccio entre 1349 et 1353. Il est rédigé en italien et non en latin comme il était courant de le faire à l'époque, donnant ainsi naissance à la prose italienne et lançant alors une mode européenne dans le domaine littéraire, qui connaîtra son apogée pendant la Renaissance ainsi qu'au XIXème siècle. Les Cent Contes drolatiques de Balzac en sont une réminiscence que l'auteur revendique. Voir : Boccaccio, le Décaméron. 2 Elisabeth Cartwright Penrose, A history of England from the First Invasion by the Romans to the Present. 3 Justus Friedrich Karl Hecker, Der schwarze Tod. 4 Cette double origine est confirmée par l'Oxford Dictionnary : “a modern term (compare with earlier the (great) pestilence, great death, the plague), said to have been introduced into English history by Mrs Markham (pseudonym of Mrs Penrose) in 1823, and into medical literature by a translation of German der Schwarze Tod (1833).” 5 histoire. La seule épidémie de 1347-1352 a, en seulement 5 ans, fait vingt-cinq millions de victimes, tuant entre 30 et 50 % de la population européenne. Toute l'espace occidental fût touché si bien que des régions de l'Angleterre jusqu'à l'Italie perdirent entre 70% et 80% de leur population à la fin du XIVème siècle5. En 1420, la population européenne était réduite au tiers de ce qu'elle était en 13406. L'épidémie était inconnue en Europe depuis la peste de Justinien qui sévit entre 541 et 767 dans le bassin méditerranéen. Il est difficile de dater précisément l'apparition de la Peste médiévale : venue d'Asie centrale, elle se propagea jusqu'en Crimée par la route de la soie. Les marchands italiens, cherchant à accroître les échanges avec la Chine, ont fondé au XIIIème siècle une multitude de comptoirs répartis sur la côte septentrionale de la Mer Noire. De là, ils pouvaient gagner plus facilement la Chine par la route de la soie jalonnée de relais de poste et de petites villes dans lesquelles l'épidémie se répandait facilement, alors qu'elle s'implantait avec difficulté dans les populations nomades. Elle était, jusqu'au début des années 1340, encore circonscrite à l'Asie, ne parvenant pas à passer la mer méditerranée : c'est lors du siège de Caffa qu'elle toucha pour la première fois les européens. Ce comptoir génois fondé en 1266 fut assiégé par un khan de la Horde d'Or nommé Yanibeg7. Celui-ci fît lancer des cadavres contaminés au-delà des remparts de la ville : l'épidémie se développa et fût transmise à l'Europe par les routes commerciales génoises. La Peste suit un rythme de propagation particulier : depuis un port contaminé, elle se déplace jusqu'à un port sain, s'ensuit une période d'accalmie durant l'hiver ; au retour du printemps, elle gagne l'arrière-pays et progresse ainsi rapidement le long des côtes et à l'intérieur des terres. Elle toucha d'abord l'Orient : Constantinople, Le Caire puis Messine ; puis elle se dirigea vers l'Occident atteignant en premier Marseille, Venise, Barcelone, Pise et Gênes, avant de gagner l'intérieur du continent. Elle atteint la petite ville de Melcombe Regis, au sud de l'Angleterre, en juin 1348 : après la brève accalmie de l'hiver, elle se répand dans toute la Grande-Bretagne, jusqu'en Ecosse et en Irlande. Elle gagna l'Europe du Nord et la Scandinavie par les routes commerciales de la mer du Nord et de la Baltique : ainsi ce sont toutes les régions de l'Europe occidentale qui sont 5 La Toscane, forte de 2 millions d'habitants au début du XIVème siècle, ne retrouvera ce niveau qu'en 1850. La petite ville de Sah Gimignano est symptomatique de cette décadence démographique, elle passe de 13000 habitants en 1332 à 3138 en 1427, perdant littéralement les trois quarts de sa population. Voir : David V. Herlihy et Christiane Klapisch-Zuber, Tuscans and their Families. A Study of the Florentine Catasto of 1427. Pour l'Angleterre, dans Land, Kinship and Life-Cycle, une étude des campagnes anglaises de 1250 à 1850, Paul Johnson , Richard M. Smith et Jan De Vries disent que la population de la seigneurie de Coltishall dans le Norfolk a été réduite de 80%. 6 Jacques Marseille, La Peste noire arrive, dans L'Histoire, n° 239, janvier 2000. 7 La Horde d'or est un empire turco-mongol issu du partage des conquêtes de Gengis Khan. Il recouvre une partie du Caucase, des actuels Russie, Ukraine et Kazakhstan. Quant au Khan Yanibeg, il n'est resté célèbre dans l'histoire que pour sa contribution à la propagation de l'épidémie. 6 touchées, à de très rares exceptions près, comme Bruges et Milan8. La Peste s'étend ensuite loin vers l'est : elle gagne Novgorod et se propage en Russie. En 1352, elle atteint Moscou où elle provoque la mort du Grand duc de Moscovie et du partiarche de l'Eglise russe pour enfin redescendre jusqu'à Kiev : partie de Caffa en Crimée, elle s'est propagée dans toute l'Europe pour terminer sa course à quelques centaines de kilomètres de son point de départ. Il existe trois grands types de peste : la peste septicémique, la peste pulmonaire et la peste bubonique. Cette dernière est la plus courante : transmise à l'homme par la morsure d'une puce portée par les petits rongeurs, elle déclenche une fièvre brutale qui peut atteindre les 40,5° accompagnée de vomissements, de convulsions, de vertiges et de fortes douleurs. Au deuxième ou troisième jour de fièvre, des grosseurs brunes apparaissent sur le corps uploads/Geographie/ memoire-de-hauteclocque-jean-philippe-mzq4mtu2mteunti.pdf

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