Nombrils du monde *** Quatre mystères Le tout de l'histoire tient en quatre fai

Nombrils du monde *** Quatre mystères Le tout de l'histoire tient en quatre faits. 1. Vers la fin du III° siècle, selon la légende, les saints Mary et Austremoine ramènent en Auvergne l'ombilic du Christ (peut-être aussi le prépuce, mais le Saint Siège prétend qu'il est resté à Rome)1. A l'époque, les chrétiens forment un réduit monastique dans les montagnes. 2. Aux IX° et X° siècles, lors des secondes invasions (normandes, sarrasines), les reliques des Gaules refluent sur le Massif Central. A Clermont, l'évêque Etienne II rebâtit la ville incendiée et rasée par les pillards. Il fait reconstruire la cathédrale et façonner la "Vierge d'Or", modèle des majestés romanes. Alors il place dans la statue le prépuce et le cordon (également les ongles, dit le parchemin). 3. A l’époque, Cluny réorganise la société gauloise sous le signe de la Vierge. Les arabes sont encore proches, tiennent des réduits en Languedoc. En 951, on ouvre la route de Saint-Jacques : Godescal, évêque du Puy, lance une vaste expédition en Galice. Le chemin de Compostelle reprend les anciennes routes marchandes romaines, il draine hommes et biens vers l’Espagne, horizon de reconquête. C’est le prélude de la croisade. Odon, puis Odilon, abbés de Cluny et d’Aurillac, instituent partout le culte de la Vierge aux lieu et place des anciennes idoles, sur les anciens puits d'Isis ou des Matres gauloises. Avec la Paix et le Jugement de Dieu, ce nouveau culte est la grande invention de Cluny : rite intégral, qui suit les cycles de mort et de naissance. Dans la vie, naturelle ou mystique, la Vierge du Pardon règle les stades de l’existence, ses transmutations, ses transmissions, générations. En face, dans la mort, on crée le Purgatoire et les rites de Toussaint, cycle où les vivants travaillent au sort des âmes passées dans l’au-delà. Par leur labeur, leurs voeux, leurs prières. Sur ces liens circulaires, l’Eglise indexe les valeurs terrestres : œuvres, honneurs et richesses, rédemptions, rachats. En fait, c’est une révolution générale (religieuse, politique, économique), qui ouvre la grande reconstruction du moyen âge, la renaissance romane2. Elle lance alors les projets de « reconquête » sur l’Islam : dans le sud de l’Europe, puis au loin, en Terre Sainte. Juste avant l’an mil, Gerbert d'Aurillac, grand savant clunisien, parvient au Saint-Siège. Il répercute ces changements sur toute la chrétienté3. C’est Gerbert qui, depuis Rome, aurait propagé l’idée de la 1. Pierre Saintyves : Les Reliques et les images légendaires, Paris, E. Nourry, 1912 , rééd. Bouquins-Laffont, 1991, p. 957 sqq. Saintyves ajoute : « D’après un mémorial tiré des archives de la cathédrale et rapporté par Baluze, Saint-Austremoine apporta en arrivant à Clermont d’autres reliques infiniment précieuses : « le nombril du fils de Dieu avec les cinq ongles de sa main gauche : son prépuce avec deux ongles de sa main droite, des langes dans lesquels il fut enveloppé ; la onzième partie du suaire teint de son sang, et avec lequel on lui avait couvert les yeux : une partie de sa tunique, de sa barbe, de ses cheveux, et de sa ceinture teinte de son sang ; de plus trois ongles coupés de la main droite et une partie de la couronne d’épines et du pain sur lequel Jésus donna sa bénédiction ; (…) des verges dont il fut flagellé, des cheveux de la Sainte Vierge Marie, son bracelet ; un morceau de sa robe avec de son lait… Etienne (évêque de Clermont au X° siècle) renferma ces reliques dans une image de la Mère de Dieu et de son fils. » (ibid. p. 971) 2 C’est alors que renaissent les villes, qu’on rebâtit en pierre. On commença par les églises, les maisons communes. Quant au travail, le mot même se développe en Chrétienté. Traballare dit le mystère maternel. Le mot désigne la convulsion, le branle interne, et les séismes de l’accouchement. L’étymologie d’ailleurs hésite, et rattache aussi la corvée servile au tripalium, le triple pieu d’accrochage : le travail servait à immobiliser les grandes bêtes, ânes et bœufs. Pour les ferrer, les opérer. Sous une autre forme, le dispositif servait aussi aux sages-femmes. On l’utilisa aussi pour les supplices, pour marquer serfs et esclaves. Sur ces deux sens conjoints, le travail dit d’abord la Croix, l’état de souffrance naturelle. Le christianisme étendit la forme à toute condition, humaine ou divine. Cluny en tira les conséquences pratiques, sociales, économiques. Dès lors, le travail dit la socialisation universelle de la souffrance, son horizon religieux et bio-politique (la croissance et ses douleurs). Il dit aussi la conscience solidaire du deuil, de la misère, et le devoir chrétien de miséricorde. 3 Ecolâtre de Reims et diplomate, expert en coups d’Etat, Gerbert fut le pape de l’an mil. Il fit installer Hughes Capet sur le trône. Puis forma son fils, Robert le Pieux, qu’il sacra ensuite, comme archevêque de Reims. Il conseilla aussi les Othons d’Allemagne, réorganisa leur empire, dit « Romain-Germanique ». Il fonda le royaume chrétien de Hongrie, et surveilla la conversion des Magyars. Partout, il affirma l’Imperium christianum et le primat de l’Eglise. En Europe, il proclama la Pax Dei, lutta contre les sires, la simonie, la corruption générale. Enfin, il instaura l’eschatologie clunisienne : doctrines du Jugement, du Purgatoire et du « rachat » des âmes par les oraisons des fidèles. L’invention de la Toussaint et des prières pour 1 croisade. On parle partout de reconquête, tout d’abord en Espagne - c’est la fonction du camino frances - et plus loin, en Orient, lieu du Sépulcre. 4. Cent ans plus tard, un cri, « Dieu le veut », unit une foule immense. En 1095, la croisade part justement de Clermont. Pour choisir le site, l’Eglise a hésité un moment avec le Puy, ville « sainte » et rivale. Les deux cités sont vouées l’une et l’autre à la Vierge. On choisit Clermont, bourg plus vaste donnant sur la plaine du Nord. Surtout, le chapitre recueille les reliques de l’Incarnation : prépuce et nombril dans « le giron de Notre Dame ». Mais l’évêque du Puy, Adhémar de Monteil, sera légat. Il conduira les chrétiens à Jérusalem. Il mourut là-bas, en Terre Sainte. Bref, c’est toute une mobilisation psychique, qui inverse le parcours de la relique : de Bethléem, lieu de la Naissance, à Clermont, où l’on garde son vestige, puis retour pour libérer les Lieux Saints, Bethléem, le Sépulcre. (D'autres versions parallèles modifient, et au final corroborent, cette translatio dei. Sur la peau de la terre, corps mystiques et territoires se répondent à l’infini. Ainsi, l'ampoule du "Saint Sang" à Billom, l'université de l'évêque, qui bouillonnait au mois de mai4. Dans le pays, tous les grands sièges religieux disaient recueillir le Saint Prépuce : Aurillac, Le Puy, Sainte-Foy de Conques, nefs rivales de Clermont... La Vierge était passée ici ou là, partout en fait...) (Bien plus tard, un curieux épilogue : le conventionnel auvergnat Jacques-Antoine Dulaure, celui qui fit un rapport célèbre et cinglant sur le clergé de France, est le même qui écrivit, d’après les Dieux fétiches du Président de Brosses, un traité des "Divinités génératrices et du culte du phallus", fonda sous l’Empire l’Académie Celtique et l’ethnologie du folklore. En 1793, Dulaure et Couthon font démettre l’évêque de Clermont, l’ancien « comte-évêque », prélat récalcitrant et despotique. On vide la cathédrale de ses trésors. C’est alors que les morts, la réunion dans le même champ des cimetières et des églises, en incluant les anciens rites, permit de refouler les superstitions. Gerbert mena cette tâche immense avec Odilon de Mercoeur (Saint-Odilon), abbé de Cluny, natif comme lui de Haute-Auvergne. C’était un enfant trouvé dans les montagnes, recueilli par les moines d’Aurillac. Dans sa jeunesse, l’Ordre l’envoya en Catalogne, puis à Cordoue. Là-bas, il vécut dans le creuset mauresque, fréquenta les communautés qui vivaient en symbiose : chrétiens, juifs, musulmans, ismaéliens. Il s’y fit une culture complète, étudia la gnose, ramena des manuscrits. C’était aussi un maître dans le cryptage des documents. On a gardé ses lettres. Ce nouveau Minos fut aussi un Dédale. En Europe, il aurait introduit la numération arabe. On l’a dit alchimiste, longtemps on lui prêta des diableries. Pour son savoir des chiffres (astronomique, musical, diplomatique, bancaire). Son goût des automates, des engins mécaniques. Il aurait conçu de nouveaux systèmes pour l’orgue, l’horloge à poids, l’astrolabe. Peut- être aussi un télescope. On lui prête la création d’une tête parlante, qui rendait des oracles (à sa place ?). Sur Gerbert et l’art du chiffre, voir Julien Havet : L'écriture secrète de Gerbert, Paris, 1887. Sur sa vie, voir : Duc de La Salle de Rochemaure (Gerbert-Sylvestre II, Paris, 1914) et Joubert (Gerbert, Sylvestre II, 1er pape français, Aurillac, 1938). 4. Voir R. P. Raimond de Saint-Martin : La divine relique du sang adorable de Jésus-Christ dans la ville de Billom en Auvergne, Lyon, 1645. A l’époque, Billom formait l’une des premières écoles de théologie en Europe, et le resta jusqu’à XVII° siècle. Fondé au VIII° siècle, le chapitre Saint-Cerneuf de la ville devint le studium épiscopal. uploads/Geographie/ nombrils-du-monde.pdf

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