Outre-mers L'océan Indien n'est pas l'Atlantique. La traite illégale à Bourbon
Outre-mers L'océan Indien n'est pas l'Atlantique. La traite illégale à Bourbon au XIXe siècle Hubert Gerbeau Citer ce document / Cite this document : Gerbeau Hubert. L'océan Indien n'est pas l'Atlantique. La traite illégale à Bourbon au XIXe siècle. In: Outre-mers, tome 89, n°336-337, 2e semestre 2002. traites et esclavages : vieux problèmes, nouvelles perspectives ? pp. 79-108; doi : 10.3406/outre.2002.3982 http://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2002_num_89_336_3982 Document généré le 14/04/2016 Résumé La traite dans l'océan Indien est un fait plus que millénaire, facteur de fracture mais élément du « continuum culturel ». Bourbon, déserte au XVIIe siècle, en reçoit l'essentiel de son peuplement avant que le relais ne soit pris par l'engagisme. Environ 80 000 esclaves arrivent dans l'île avant 1817, année d'interdiction de la traite. Celle-ci se poursuit de façon clandestine : quelque 50 000 captifs débarquent entre 1817 et 1835 et, peut-être, quelques milliers de plus jusqu'en 1848. La traite ruine-t-elle ceux qui s'y livrent ? Est-elle dangereuse pour les acheteurs ? Impose-t-elle des souffrances intolérables à ses victimes ? Malgré trente ans de recherche, les énigmes restent nombreuses en raison des ruses des négriers et des destructions involontaires et volontaires d'archives. Sujet longtemps tabou, la traite illégale relève d'une « histoire du silence » en cours d'édification. Abstract In the Indian ocean, slave trade is an age-old phenomenon, both factor of fracture and of cultural continuity as well. Uninhabited during the seventeenth century, the Reunion island received the most part of its population from the slave trade, before indentured labour took over. Roughly, 80,000 slaves came in the island before 1817, the year when slave trade wasforbidden. It continued through an illegal way : around 50,000 slaves disembarked from 1817 to 1835, and perhaps some thousands more until 1848. Did slave trade ruin people engagea in it ? Was it dangerous for the buyers ? Did it impose its victims intolérable sufferings ? Despite thirty years of research, enigma are still numerous, because of slave traders' tricks as well as intentional and unintentional records destructions. Taboofor long, the illégal slave trade cornes close to a « history of silence » still in theprocess of being written. L'Océan Indien n'est pas l'Atlantique. La traite illégale à Bourbon au xixe siècle Hubert GERBEAU, Aix-en-Provence, France Résumé : La traite dans l'océan Indien est un fait plus que millénaire, facteur de fracture mais élément du « continuum culturel ». Bourbon, déserte au XVIIe siècle, en reçoit l'essentiel de son peuplement avant que le relais ne soit pris par l'enga- gisme. Environ 80 000 esclaves arrivent dans l'île avant 1817, année d'interdiction de la traite. Celle-ci se poursuit de façon clandestine : quelque 50 000 captifs entre 1817 et 1835 et, peut-être, quelques milliers de plus jusqu'en 1848. La traite ruine-t-elle ceux qui s'y livrent ? Est-elle dangereuse pour les acheteurs ? Impose-t-elle des souffrances intolérables à ses victimes ? Malgré trente ans de recherche, les énigmes restent nombreuses en raison des ruses des négriers et des destructions involontaires et volontaires d'archives. Sujet longtemps tabou, la traite illégale relève d'une « histoire du silence » en cours d'édification. Mots-clés : Traite, esclavage, sucre, océan Indien, Mascareignes, Bourbon, la Réunion, Maurice, Madagascar, Seychelles, Nantes. Abstract : In the Indian océan, slave trade is an age-old phenomenon, both factor of fracture and of cultural continuity as well. Uninhabited during the seventeenth century, the Reunion island received the most part of its population from the slave trade, before indentured labour took over. Roughly, 80,000 slaves came in the island before 1817, the year when slave trade wasforbidden. It conti- nued through an illégal way : around 50,000 slaves disembarked from 1817 to 1835, and perhaps some thousands more until 1848. Did slave trade ruin people engagea in it ? Was it dangerous for the buyers ? Did it impose its victims intolérable sufferings ? Despite thirty years of research, enigma are still numerous, because of slave traders' tricks as well as intentional and unintentional records destructions. Taboofor long, the illégal slave trade cornes close to a « history of silence » still in theprocess of being written. Key words : Slave trade, slavery, sugar, Indian océan, Mascarenes, Bourbon, Reunion, Mauritius, Madagascar, Seychelles, Nantes. Est-ce user d'un simple truisme que de rappeler que la traite des esclaves qui se déroule dans l'océan Indien n'est pas celle que l'on rencontre dans l'Atlantique ? Celui-ci, jusqu'aux voyages de Colomb, est une barrière. L'océan Indien, lui, depuis des milliers d'années, par la traite, le commerce, la guerre ou l'aventure unit les hommes. « Les Méditerranées, écrit Michel RFHOM, T. 89, N° 336-337 (2002) 80 H. GERBEAU Mollat, car l'océan Indien en est une, ont toujours été des foyers de ». J. de V. Allen souligne l'existence de trois strates d'unité dans cet océan. La première est née des migrations, notamment des migrations aus- tronésiennes, désignées autrefois sous le titre plus explicite de malayo- polynésiennes. La deuxième est marquée par les influences culturelles à partir du sous-continent indien, la troisième est liée à l'islam. H. N. Chittick estime, quant à lui, que l'océan Indien a constitué le « plus grand continuum culturel du monde au cours des quinze premiers siècles de notre ère » *. Les colonisateurs européens vont rencontrer dans cet « ensemble » des sociétés depuis longtemps organisées. Paradoxalement, cet espace va leur offrir aussi des terres vides d'hommes, comme les Mascareignes et les Seychelles, alors que l'Atlantique, « espace-barrière », les conduit à des îles et un continent déjà peuplés. Quel rôle la traite joue-t-elle dans l'espace india- nocéanique ? Est-elle un facteur de destruction ou de construction, modifie- t-elle, conforte-t-elle ou mine-t-elle les trois « strates d'unité » ? La européenne semble constituer elle-même une quatrième « strate » unificatrice. Mais par certaines de ses méthodes — et notamment par qu'elle donne à de nouvelles formes de traite - n'introduit-elle pas, dans un acier dont l'apparence de solidité était trompeuse, la paille de futures ruptures ? L'esclave, par la violence dont il est victime, est un facteur de fracture. Mais il est aussi un élément du « continuum culturel », un trait d'union. La traite, insulte à la civilisation, est un fait de civilisation. La Réunion, petite île des Mascareignes située au cœur des pages qui suivent, en porte aujourd'hui la trace. Les tentatives de destruction ou de falsification de la mémoire sont mieux connues. Leur déchiffrage permet à une société qui se veut créole, et de plus en plus métissée, de mieux comprendre son passé et ses cicatrices, de mieux s'accepter. La seule ambition de ce texte est de suggérer qu'un travail obstiné consacré à la traite clandestine permet de montrer qu'elle a existé de façon massive à Bourbon, ce qui avait été longtemps ignoré ou nié. Ce trafic présente des caractéristiques originales mais bien des mystères subsistent : la tâche des chercheurs n'est donc pas achevée. Silence des sources ou silence de l'histoire ? Dans l'étude de l'esclavage, et dans celle de la société qui l'organise, la traite figure avec les relations sexuelles, la couleur des uns et des autres, les mauvais traitements et le marronnage parmi les sujets que les habitants des îles tentent le plus souvent de taire ou, au contraire, d'enrichir Dans ce domaine, l'océan Indien est l'Atlantique. 1. Pour plus de détails, on peut se reporter à H. Gerbeau, « La traite esclavagiste dans l'océan Indien du xve au xixe siècle ; problèmes posés à l'historien, recherches à entreprendre », in Histoire Générale de l'Afrique, Études et Documents, vol. 2, La Traite négrière du XVe au XIXe siècle, Paris, UNESCO, 1979, p. 194-217 - ou aux diverses traductions du volume. l'océan indien n'est pas l'atlantique 81 Une année de rencontres avec des « captifs de case » dans la vallée du Niger, suivie de quelques années de travail à la Martinique, m'avaient préparé à recevoir de plein fouet certaines remarques d'Antoine Gisler, qui estimait que la question de l'esclavage avait « cessé de préoccuper les moralistes », alors qu'elle avait été « abandonnée plutôt que résolue » 2. Cet abandon traduisait-il absence d'intérêt ou volonté d'oubli ? La question méritait d'être posée au-delà du cercle des moralistes, en particulier dans des sociétés qui avaient connu ou connaissaient l'esclavage et paraissaient avoir abandonné le problème. Ceux qui jouissaient de quelques privilèges dans ces sociétés n'exigeaient-ils pas que l'on oublie des aspects essentiels, voire la totalité, de l'esclavage, sauf à n'en mémoriser que les affabulations ? Loi du silence. Mais je souhaitais me référer aussi à un autre « silence ». Affronté à une surabondance d'archives, dans lesquelles les esclaves ne s'exprimaient jamais directement, je m'interrogeai sur les moyens de dépasser le vide apparent des sources. Les chemins suivis par les rebelles offraient-ils une voie d'approche au chercheur ? Par eux, l'esclave semblait affirmer sa qualité d'être humain et ne plus se résigner à être seulement un « facteur de production » 3. Ces voies d'investigation présentaient peut-être un double mérite, celui de conduire à l'histoire des intéressés en suivant les traces qu'eux-mêmes, par une uploads/Geographie/ outre-1631-0438-2002-num-89-336-3982.pdf
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- Publié le Dec 11, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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