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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Claude Raffestin Cahiers de géographie du Québec, vol. 21, n° 53-54, 1977, p. 123-134. Pour citer la version numérique de cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/021360ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/documentation/eruditPolitiqueUtilisation.pdf Document téléchargé le 30 March 2010 « Paysage et territorialité » CAHIERS DE GÉOGRAPHIE DE QUÉBEC, Vol. 2 1 , nos 53-54, septembre-décembre 1977, 123-134 PAYSAGE ET TERRITORIALITÉ par Claude RAFFESTIN Département de Géographie, Université de Genève, Genève, Suisse DE LA PRÉSENTATION À LA REPRÉSENTATION Il est devenu banal de dire que les systèmes réels, dans et devant lesquels les hommes sont placés, témoignent de relations complexes qui se sont nouées entre des collectivités et des lieux. Ce qui est moins banal, car non encore vraiment élucidé avec précision et clarté, c'est de se demander comment l'on passe du « dans », présentation du système, au « devant », représentation du système. Ernst Cassirer peut nous aider à poser le problème : « Le primitif connaît parfaitement le cours de la rivière, mais cette connaissance (acquaintance) reste très éloignée de ce que nous pouvons appeler connaissance (knowledge) en un sens abstrait et théorique. La connaissance, dans le premier cas, n'est qu'une présentation; dans son sens théorique, elle implique et présuppose la représentation»1. Mais ce phénomène n'intéresse pas que le primitif et il est assez évident que chacun de nous, selon les circonstances, est placé dans les mêmes conditions. Nous pouvons avoir une présentation de telle ou telle chose sans en avoir une représentation parce qu'il nous manque une conception générale et un système de concepts qui nous permettraient de passer de la connaissance immédiate à la connaissance théorique et abstraite. Quelle est cette connais- sance théorique et abstraite ? Elle « n'est pas une adhésion à la réalité du monde, mais une prospection de cette réalité, un effort d'intelligibilité, au sens étymologique de ce m o t » 2 . Cette connaissance «est langage dans la mesure où celui-ci est compris comme un lieu de médiation, comme un écran sur lequel se dessinent les formes intelligibles du monde» 3. Ce « dessin » des formes intelligibles, par rapport à la géographie, c'est ce qu'on peut appeler le géogramme qui est la représentation à travers un langage ou un métalangage du système réel ou géostructure. La géostruc- ture est l'organisation à rendre intelligible, (un quartier, une ville ou une région, par exemple) et le géogramme est l'organisation « rendue intelligible » par la médiation d'un langage. Il est possible de formaliser le processus : soit G, la géostructure, G', le géogramme et a , un langage. On a dès lors a G -> G' . On voit que a permet une transformation, c'est-à-dire une projection de G dans un espace linguistique ou dans un espace mathé- matique 4. Le géogramme G' dépend donc, dans sa forme, du langage choisi. 1 2 4 CAHIERS DE GEOGRAPHIE DE QUEBEC, vol. 2 1 , nos 53-54, septembre-décembre 1977 Ici intervient la nature du langage utilisé. S'il s'agit d'une langue naturelle, et même si les concepts utilisés sont parfaitement définis, les géogrammes projetés à partir d'une même géostructure, et pour autant que les procédures d'analyse soient les mêmes, seront semblables sinon équivalents. S'il s'agit d'un langage logico-mathématique, on peut s'attendre à des géogrammes équivalents. Ce qui revient à dire que les langages n'ont pas le même coefficient de cohérence. Ainsi, Montréal étudié par des géographes clas- siques avec les concepts traditionnels du langage morpho-fonctionnel donnera lieu à des géogrammes semblables. En revanche la même géostruc- ture étudiée par des géographes quantitatifs, partant des mêmes données et utilisant une même méthode d'analyse donnera lieu à des géogrammes équivalents. Il y a une augmentation du coefficient de cohérence lorsqu'on passe d'un langage naturel à un langage logico-mathématique. Mais dans les deux cas, le mécanisme de la représentation est le même. Nous ne voulons pas dire, et nous n'avons pas dit, que la représentation géographique, soit le passage de la géostructure au géogramme, était une simple question de langage. Le langage n'est qu'un « lieu de médiation ». « Lieu de médiation » qui n'est pas indépendant de l'organisation sociale dans laquelle, pour laquelle et à travers laquelle il a été institué. Il est conditionné par toute une problématique sociale qui s'inscrit dans un triangle (figure 1) Figure 1 qu'on peut schématiquement représenter. Mais selon les finalités prépondérantes de l'organi- sation sociale les questions seront différentes : vouloir quoi, savoir quoi et pouvoir quoi ? La « compétence » ou le code utilisé variera VOULOIR A selon les réponses données à ces questions et par conséquent le ou les langages a, (3, etc . . . projetés sur G seront sensiblement POUVOIR SAVOIR différents. Il n'existe donc pas une géographie qui serait, une fois pour toutes, la représen- tation de la géostructure mais des géogra- phies qui sont conditionnées par le choix qui est fait d'un triangle donné qui s'enracine dans la société. Toute société possède une présentation de la géostructure dans laquelle elle évolue mais peu à peu elle tend à en élaborer une repré- sentation qui révèle ses finalités profondes. En simplifiant beaucoup, on peut distinguer deux triangles à partir desquels se sont constituées les représentations géographiques jusqu'à maintenant (figure 2, l-ll). Chacun de ces triangles postule un « lieu de médiation » par lequel on peut passer de la géostructure au géogramme. Le premier est celui de la géographie clas- sique qui privilégie les signes permettant de représenter la morpho-fonc- tionnalité de la géo-structure ; tandis que le second est celui de la nouvelle géographie qui à l'aide de signes correspondant à des concepts univoques tels que prix, distances, coûts, tente d'expliquer les constructions et de les reproduire. Alors que dans le premier cas, il y a restitution d'un spectacle, dans le second il y a volonté de refaire le spectacle à partir d'une « métrique » pour le maîtriser. Les deux sont dans un rapport sémiologique en ce sens que le premier dénote des formes et des fonctions alors que le second connote Figure 2 PAYSAGE ET TERRITORIALITÉ 125 VOULOIR-ORGANISER VOULOIR • VOIR DOMINER VOULOIR - EXISTER POUVOIR-VOIR SAVOIR-VOIR POUVOIR ORGANISER SAVOIR ORGANISER POUVOIR - EXISTER SAVOIR - EXISTER DOMINER DOMINER celles-ci du point de vue de leur dynamique : « est connotative une sémiotique dans laquelle le plan d'expression est constitué par une autre sémiotique » 5. Encore que cela n'est pas toujours le cas puisque la nouvelle géographie adapte souvent un langage mathématique au premier triangle sans refor- mulation d'une problématique. Actuellement on peut prétendre qu'un nouveau triangle est en gestation (figure 2, III). En grande partie, son langage est à faire. Alors que le premier triangle a donné naissance au langage du paysage, le troisième pourrait donner naissance à celui de la territorialité. Il est évident que I et III seront dans un rapport sémiologique et que III connotera I. Nous reviendrons sur cette question ultérieurement. Notre projet va consister à montrer comment et pourquoi s'est construit le langage de la géographie du paysage d'une part et quelles sont ses limites d'autre part. En outre, nous voudrions indiquer une manière de dépasser la représentation du paysage par le recours à une possible géographie de la territorialité fondée sur le triangle III. Quand nous disons «dépasser» cela ne signifie nullement substituer l'une à l'autre mais trouver le moyen de connoter l'une par l'autre. L'une représente le « vu » alors que l'autre cherche à représenter le « vécu ». Le langage du paysage est celui des formes et des fonctions alors que le langage de la territorialité est celui des relations. Ils se réclament donc de problématiques différentes. LE « VU » OU LA GÉOGRAPHIE DES PAYSAGES D'emblée, il faut insister sur le caractère « historique » de la notion de paysage. La chose n'intéresse vraiment l'œil occidental qu'à partir du XVIe siècle. Le sens pictural fait son apparition au XVIIe siècle. C'est le besoin de représentation de l'âge classique qui fonde le paysage. Celui-ci est institué, en quelque sorte, par la volonté de représenter6. Dès lors, l'œil prend toutes choses à son piège car il pense pouvoir tout saisir, tout embrasser. De cette illusion de l'appréhension globale est né le paysage qui rend compte 1 2 6 CAHIERS DE GÉOGRAPHIE DE QUÉBEC, vol. 2 1 , nos 53-54, septembre-décembre 1977 du spectacle. Dès lors, les descriptions de paysages ne manqueront pas dans la littérature du XVIIe au XIXe siècle : qu'il s'agisse de uploads/Geographie/ paysage-et-territorialite-claude-raffestin.pdf

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