Paysage sonore et pratiques de field recording, Le rapport de la création élect
Paysage sonore et pratiques de field recording, Le rapport de la création électroacoustique à l’environnement naturel Pauline Nadrigny Le terme de paysage sonore, en anglais soundscape, est assez familier et a gagné en popularité, depuis sa création dans les années 70, au-delà du champ musical. Du fait même de cette popularité, cette notion se voit souvent réduite à sa stricte définition, sans prise en compte des implications problématiques qui la sous-tendent. L’une de ces implications consiste en un certain rapport à la nature, plus précisément, au son naturel. En effet, les théories du paysage sonore ont contribué, et c’est là une de leurs conséquences les plus importantes, à une prise en compte écologique de la perception sonore. L’élaboration de cette notion est, de fait, inséparable d’une réflexion sur la pollution sonore à l’heure post-industrielle, au combat pour la préservation d’une perception sonore agréable, certes, mais d’abord non nocive, et à une prise en compte qualitative des seuils limitatifs. Cette seule considération serait cependant réductrice. Connexe au souci de protection, parfois relativement indépendante de ce dernier, se constitue également une approche artistique. Le field recording, traduit en français par l’expression générale de prise de son, d’abord simple moyen technique de fixer dans des enregistrements des paysages sonores, devient le medium d’un mouvement esthétique, plus ou moins lié à l’écologie sonore. Le but de cette étude est une analyse de ce mouvement artistique, qui se développe depuis les années 70 mais trouve depuis une dizaine d’années un nouvel essor par des prolongements critiques. C’est que le field recording, comme pratique musicale, trouve de nombreuses expressions, diversité qui ne peut se comprendre que si l’on étudie, à la source, les conditions d’émergence de la notion de paysage sonore. Nous espérons en cela que cette étude permettra de se déprendre du préjugé qui lie souvent électroacoustique et conception new age de la nature, et limite la prise en compte de la nature par les mouvements musicaux électroacoustiques à un retour à une sonorité naturelle de l’origine (sons de baleines, bruits de cascades…) dans une perspective parfois médicinale. Le field recording, dès son utilisation dans le cadre des théories du soundscape, et dans sa réalité contemporaine, illustre un rapport subtil, et nullement naïf à la notion de nature. Qu’est-ce qu’un paysage sonore ? Avant de décrire les conditions d’émergence de cette notion devenue fameuse, quelques mots sur le passage du paysage visuel au paysage sonore, en anglais du landscape au soundscape. On peut se demander s’il est anodin de convoquer une notion généralement liée au 1 sens de la vision pour décrire une réalité acoustique. Parler de paysage sonore, de soundscape, ce n’est pas seulement appliquer à l’auditif les caractéristique du paysage visuel, c’est viser le paysage sonore dans sa spécificité perceptive. Sans nous attarder sur de nombreuses différences1, notons cependant une distinction intéressante pour nous en ce qu’elle est directement liée aux enjeux écologiques du paysage sonore. L’oreille n’a pas de paupière. Nous vivons de manière permanente dans un environnement sonore partiellement qualifié. Dès lors, la seule protection contre cette intrusion permanente d’informations est un mécanisme psychologique de sélection. Le paysage sonore est visé à l’intérieur, il s’impose comme une constitution perceptive, là où le paysage visuel paraît être visé au-dehors, à travers une fenêtre que la peinture a d’abord ménagé au spectateur. La notion de paysage sonore, en anglais soundscape, est introduite en théorie musicale par le canadien Raymond Murray Schafer, dans les années 70. Le terme paraît officiellement dans The New Soundscape en 19692. On retiendra un ouvrage, paru en 1977, qui se charge à la fois de définir cette notion et d’en dérouler les implications écologiques et esthétiques (l’un n’allant sans l’autre pour Schafer). Il s’agit du livre intitulé The Soundscape, our sonic environment and the tuning of the world, publié en 19773. Cette expression de « tuning of the world » que l’on peut traduire par « harmonie du monde » est extrêmement importante. Comme nous allons le voir, le propos de Schafer se fonde sur le désir de ré harmoniser les rapports de l’homme aux sons qui l’entourent, tout le problème étant le principe de cette harmonie. Murray Schafer illustre ce désir dans la fondation du World Soundscape Project, fer de lance du mouvement de l’écologie sonore sur le continent nord américain, qui sera suivi par de nombreux projets, dont le World Forum for Acoustic Ecology (WFAE). Au seuil de son ouvrage The soundscape, Schafer pose cette question générale: « Quelle est la relation entre l’homme et les sons de l’environnement qui est le sien, et que se produit-il lorsque ces sons viennent à changer ? » On pressent que la visée est double: il s’agit à la fois, dans une visée descriptive, d’étudier une relation changeante de l’homme aux sons, et, dans une visée axiologique et prescriptive, de s’interroger sur la manière de pallier les changements dès lors qu’ils peuvent s’apparenter à une dégradation de l’harmonie du paysage sonore. Commençons donc par l’aspect descriptif. Le soundscape n’est autre que l’environnement sonore (sonic environnement) d’un sujet déterminé4. Cette définition très générale, qui comprend tous les phénomènes acoustiques pour un sujet donné, est d’emblée 1 Pour une étude de ces dernières, cf. Jean-François Augoyard, « La vue est-elle souveraine dans l’esthétique paysagère ? », Le Débat, mai-août 1991, n°65 2 R. Murray Schafer, The New soundscape, A handbook of the modern music teaching, Toronto, Berandol Music, 1969 3 R. Murray Schafer, The Soundscape, our sonic environment and the tuning of the world, 1977, Knopf, Réed. Destiny Books, 1994. Les passages traduits le sont par l’auteur de l’article. Pour la traduction française : Le paysage sonore, Paris, Lattès, 1979 4 Ibid., p. 271. On se réfèrera utilement au lexique figurant à la fin de l’ouvrage (cf. document joint à l’article) 2 précisée. Techniquement, écrit Schafer, le soundscape est toute portion de l’environnement sonore visée comme champ d’étude. Le paysage sonore est un environnement que l’on étudie, c’est-à-dire auquel on prête attention comme tel. Il est donc délimité, présente un certain nombre de relations internes repérables : il s’agit d’une entité organisée. Autre remarque, le soundscape peut référer à des environnements existants ou à des constructions abstraites. Une composition musicale, le résultat d’un montage de bandes magnétiques peuvent être considérés comme paysages sonores. Notons le caractère extrêmement ouvert de cette définition : le paysage sonore n’est pas spécifiquement un paysage faisant intervenir des sonorités naturelles. Sa définition repose sur un principe englobant, qui aborde dans la même perspective composition musicale et environnement sonore naturel. Mais Schafer ne se contente nullement d’inventer le néologisme de soundscape. Il s’agit également de penser, comme pour tout paysage, la perspective par laquelle il se constitue, perspective que Schafer conçoit d’emblée comme dynamique. Pour cela, il reprend les concepts de la théorie de la forme, qu’il reçoit notamment de sa lecture de Marshall McLuhan, à savoir le couple perceptif figure/fond. Il thématise ainsi les principes fondamentaux de ce paysage, en repérant notamment trois types de phénomènes sonores qui le structurent : 1. Les sonorités maîtresses ou toniques, keynote sounds, qui jouent le rôle de fond. Employer le terme keynote pour se référer à ces sonorités est révélateur : en musique, le terme key désigne la fondamentale, le principe selon lequel les autres sonorités doivent être entendues (la tonalité par exemple). Dans un paysage sonore, le son fondamental détermine la perception de tous les autres : le son de la mer dans une ville côtière, le son des trains qui passent dans un appartement longeant une voie de RER. Ces exemples nous indiquent une autre caractéristique des keynote sounds : ils ne sont pas toujours conscientisés. Notre perception est conditionnée par eux, mais ce conditionnement reste souvent inaperçu – nous en prenons conscience lorsque le son en question s’arrête. 2. Les sons à valeur signalétique ou signaux sonores – en anglais signal sounds. Ces sonorités tiennent le rôle de figures. À la différence du son tonique, le signal sonore est remarqué, il apparaît comme événement pour le sujet qui le perçoit. Le signal sonore renvoie souvent à autre chose que lui-même : une représentation, une cause, un contexte. 3. Les marqueurs sonores (soundmarks). Le terme, dérivé de l’anglais landmark, borne qui délimite des parcelles dans un paysage visuel, qui délimite des propriétés, traduit le même type de phénomène. Un marqueur sonore est un son qui réfère à une communauté, qui possède certaines qualités qui le rendent unique, remarquable. Son statut est intermédiaire car ce type de sons est à la fois prisé par les membres 3 d’une communauté - en cela il s’apparente à un signal sonore, mais est également familier. Il fait, pour reprendre l’expression commune, partie du paysage, il fait corps avec lui. En cela, il a quelque chose à voir avec les sonorités du type keynote sounds. L’exemple favori de Schafer est le marqueur sonore de sa propre communauté, celle de Vancouver : le son de la corne de brume. Son de la mer, son d’un train, d’une corne de brume : parler de paysage uploads/Geographie/ pauline-nadrigny.pdf
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- Publié le Fev 08, 2022
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