Grigori Perelman G rigori Perelman naît le 13 juin 1966 à Leningrad, l’actuelle

Grigori Perelman G rigori Perelman naît le 13 juin 1966 à Leningrad, l’actuelle Saint-Pétersbourg. Sa mère, intellectuelle juive, avait renoncé à une carrière de mathémati- cienne pour se consacrer à l’éducation de ses deux enfants, Grigori et Lena, tous deux devenus mathématiciens. À cette époque, les mathématiques constituaient l’un des rares moyens d’accéder à des trésors bannis par le gouvernement dans d’autres domaines : le raisonnement logique, la libre création, les voyages à l’étranger... C’était encore plus vrai pour les juifs, souvent en prise à un antisémitisme d’État, qui devaient redoubler de talent pour accéder à l’Université. L ’école mathématique russe était alors exceptionnelle. Le légendaire Andrei Kolmogorov (fondateur de la théorie moderne des probabilités, théoricien de premier ordre en mécanique clas- sique, en théorie de l’information et dans l’étude de la turbu- lence) avait une forte influence sur tout le système éducatif. Des clubs mathématiques attiraient les enfants doués, où des ensei- gnants passionnés les préparaient aux Olympiades internatio- nales. C’est dans l’un des clubs les plus réputés, l’École 239 de Leningrad, que G. Perelman aiguise sa jeune intelligence, sous la houlette de Valery Ryzhik. Il s’affirme rapidement comme un extraordinaire « problem solver », et obtient la médaille d’or aux Olympiades internationales de 1982, avec la note maximale. G. Perelman entre ensuite à l’Université de Leningrad où il étudie la géométrie riemannienne lisse et non lisse (voir l’encadré ci-dessous) sous la direction d’Aleksandr Alexandrov et de Dmitri Burago, et avec les encouragements éclairés de Misha Gromov, l’un des meilleurs géomètres du moment. G. Perelman devient en quelques années un spécialiste de la théorie des espaces d’Alexandrov à courbure positive, et écrit avec M. Gromov et D. Burago l’ouvrage de référence sur le sujet. Quelques années plus tard, G. Perelman démontre une importante conjecture de géométrie riemannienne, dite « conjec- ture de l’âme » : la géométrie d’un espace à courbure positive, éventuellement infini, peut se « reconstruire » à partir d’un sous- ensemble borné bien choisi, nommé âme. Sa preuve, d’une stupéfiante concision, lui vaut une reconnaissance internationale. Il voyage à New York, puis à Berkeley en Californie, et rencontre plusieurs spécialistes de la géométrie riemannienne, tels le Chinois Gang Tian et l’Américain Richard Hamilton. Ce dernier se consacre depuis 15 ans à la théorie du flot de Ricci, dont il est le fondateur. Le flot de Ricci (voir l’encadré page ci-contre) fournit une recette pour déformer continûment les objets géométriques en étalant leur courbure, de la même façon que l’équation de la chaleur, découverte par Fourier au début du XIXe siècle, étale la température (voir les pages 114 et 115). 242 Les mathématiciens Au XIXe siècle, Riemann a fondé la géométrie dite rieman- nienne : dans un espace lisse, on définit en chaque point un espace tangent (comme le plan tangent à une surface) dans lequel on se donne une façon de mesurer les normes des vecteurs et les angles. On mesure ainsi la vitesse instantanée d’une courbe, et on en déduit sa longueur. On définit ensuite la distance entre deux points comme la longueur du plus court chemin (ou géodésique) qui les joint. Les concepts de base de la géométrie riemannienne sont donc les longueurs, les angles et les distances. En géométrie non lisse, on conserve ces trois concepts fonda- mentaux, mais on se passe de plans tangents. Par exemple, en son sommet, le cône n’admet pas de plan tangent unique- ment défini. Cependant, entre deux quelconques de ses points, on peut toujours trouver une géodésique. On peut alors tracer des triangles géodésiques, dont les côtés sont les plus courts chemins entre les sommets qu’ils relient. Étant donné un triangle géodésique T tracé sur le cône (en bleu, ci-contre), traçons un triangle T’ dans le plan euclidien, tels que les trois côtés de T’ ont même longueur que les côtés de T. On montre que les médianes du triangle T’ sont toutes plus courtes que les médianes correspondantes du triangle T : on dit que le triangle T est plus « gras » que son homologue plat T’. Cette propriété traduit le fait que le cône est un espace à courbure positive. La notion d’espace à courbure positive peut ainsi être définie pour des structures non lisses, présentant des singularités (comme la pointe d’un cône). Toutefois, dans de tels espaces, les « pointes » ne peuvent pas être « trop nombreuses » : Perelman a obtenu des résultats très précis en ce sens. GÉOMÉTRIE LISSE ET NON LISSE Cédric Villani Triangle géodésiquesur un cône. perelman-lma2310.qxp 25/10/10 17:19 Page 242 À travers l’étude du flot de Ricci, R. Hamilton souhaite démontrer la fameuse conjecture de Poincaré, énoncée en 1904 et considérée comme le Graal de la topologie. Selon cette conjecture, un espace lisse de dimension 3, fini, sans bords et sans trous, peut être déformé jusqu’à devenir identique à une hypersphère, c’est-à- dire une sphère de dimension 3 plongée dans un espace de dimension 4 (à gauche, une hypersphère représentée via les projections de ses tranches). À l’époque où R. Hamilton commence ses travaux, l’énoncé est connu en dimen- sion 2, et il a été démontré en dimension supérieure ou égale à 5 par Stephen Smale, en dimension 4 par Michael Freedman. Mais la dimension 3 résiste, et les mathématiciens se sont longtemps interrogés sur la véracité de cette conjecture... jusqu’à ce que le géomètre américain William Thurston propose une conjecture encore plus forte que celle de Poincaré : il propose une classification complète et cohérente de tous les univers tridimensionnels finis. La puissance de son programme a convaincu le monde que la conjecture « doit être vraie » ! S. Smale, M. Freedman et W. Thurston ont tous trois reçu la médaille Fields pour leurs travaux. P our vaincre la conjecture de Poincaré, l’idée forte de R. Hamilton est de déformer une variété de dimen- sion 3 par le flot de Ricci pour en faire un objet de plus en plus régulier, jusqu’à ce qu’il ressemble à une hypersphère, dont la courbure est uniforme. Cependant il achoppe depuis de nombreuses années sur des problèmes techniques consi- dérables, et la communauté des géomètres ne croit plus guère aux vertus de cette stratégie, qu’elle juge trop indirecte. Néanmoins G. Perelman lui accorde toute son attention... En 1995, mécontent de ses progrès, G. Perelman dédaigne les offres des universités américaines et retourne à Saint-Péters- bourg où il accepte un poste de recherche à temps plein à l’Institut Steklov. Durant sept ans, il ne donne plus de nouvelles au monde extérieur qui le croit égaré sur une voie sans issue. Entre-temps, la conjecture de Poincaré continue de défrayer la chronique : en 2000, l’Institut Clay, fondé par un mécène et basé à Cambridge, a offert un million de dollars à quiconque résoudrait cette conjecture, ou l’une des six autres énigmes du « Prix du Millénaire ». Le public est émerveillé, les mathémati- ciens sceptiques : les énigmes sont si difficiles que personne ne parie sur leur résolution à brève échéance. La surprise est donc complète quand en 2002, G. Perelman signale laconiquement à ses anciens collègues américains qu’il vient de rendre public un manuscrit sur Internet : il y esquisse une « ébauche éclectique de démonstration » de la conjecture de Thurston ! Pendant son long silence, G. Perelman a repris le flam- beau de R. Hamilton et fait tomber le verrou qui le bloquait. Inspiré par la physique théorique, G. Perelman a montré qu’une certaine quantité, nommée improprement entropie, décroît le long du flot de Ricci. Par cette découverte, originale et profonde, il prouve que le flot de Ricci n’aboutit jamais à des singularités trop violentes. G. Perelman revient aux États-Unis et y donne quelques exposés. Il impressionne par la maîtrise et la précision avec lesquelles il répond à toutes les questions. Mais il n’est pas satisfait : agacé par la pression médiatique et irrité de la lenteur avec laquelle la communauté mathématique digère sa preuve, il rentre à Saint-Pétersbourg et laisse les autres vérifier ses arguments sans lui... Cela nécessitera quatre ans pendant lesquels différentes équipes reproduisent la preuve de G. Perel- man et la complètent dans les moindres détails. L’équipe américaine de Bruce Kleiner et de John Lott est à l’avant- garde ; comme G. Perelman, ils ont publié leurs recherches sur Internet au fur et à mesure de leur élaboration. L’enjeu de cette démonstration et le retrait de G. Perelman mettent la commu- nauté mathématique dans une situation inédite. Une contro- verse éclate quand une autre équipe réclame une partie du crédit de la preuve. Quoi qu’il en soit, la communauté acquiert la certitude que G. Perelman a bien démontré le programme de Thurston et donc la conjecture de Poincaré. En 2006, G. Perelman se voit attribuer la médaille Fields, puis en 2010 le Prix du Millénaire. Mais pour lui, ces récom- penses sont peu de chose à côté de la fierté d’avoir résolu le problème, et il est mécontent de l’agitation qui a régné depuis qu’il a offert sa preuve. Soucieux de ne pas trahir uploads/Geographie/ perelman.pdf

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