Article Reference Géographie humaniste et littérature : notes de lecture LÉVY,
Article Reference Géographie humaniste et littérature : notes de lecture LÉVY, Bertrand Abstract L'article examine les contributions géographico-littéraires des années 1960-1982, avec l'accent mis sur l'ouvrage de D.C.D. Pocock (ed.), 1981, Humanistic Geography and Literature. The Experience of Place. LÉVY, Bertrand. Géographie humaniste et littérature : notes de lecture. Brouillons Dupont, 1983, vol. 11, p. 37-59 Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:19267 Disclaimer: layout of this document may differ from the published version. GEOGRAPHIE HUMANISTE ET LITTÉRATURE : NOTES DE LECTURE * par Bertrand LEVY Université de Genève Survol des principaux travaux sur la question La parution du premier recueil traitant des liens entre la littérature et la géographie (Pocock (ed.), 1981) mérite que l'on s'y attarde. Cet ouvrage est issu du courant humaniste de la géographie anglo-saxonne, comme la majeure partie des contributions que je cite ci-dessous. Cela provient du fait que la géographie humaniste a été la première à poser quelques jalons épistémologiques et méthodologiques en vue de l'intégration de sources de connaissance non scientifique dans la discipline géographique (Ley, Samuels, 1978). Ce courant qui se développe depuis quelques années dans les pays anglophones se manifeste par une réaction qualitativiste si- gnificative face à l'immense vague de production géographique néo-positiviste. Il est à noter que le renouveau humaniste parcourt de nombreuses sciences humaines et sociales, à côté de la géographie. Intéressant "effet en retour" que de recevoir aujourd'hui une leçon humaniste du Nouveau-Monde, alors que l'humanisme a éclot historiquement dans le Vieux Monde voici cinq siècles. Soulignons à ce propos que le mouvement humaniste actuel poursuit les mêmes ambitions fondamentales que l'humanisme historique, dans un contexte épistémologique bien sur différent (Ley, Samuels, 1978). La connaissance, à la con- * Je remercie le Professeur Raffestin qui a veillé à la correction de l'article, ainsi que le Bollettino Della Società Geographica Italiana, où a paru cet article en italien, qui en a autorisé une version française. -37- Publié in : Brouillons Dupont, Avignon, 11-1983, 37-59. dition de respecter la totalité humaine, prise dans son sens individuel et générique, compose toujours l'aspiration des humanistes. En se penchant sur les travaux géographiques consacrés à la littérature et déjà effectués, on distingue de multiples approches non, exclusives mutuellement. Trois études discutent les fondements théoriques du croisement du discours artistique de la littérature avec la géographie (Seamon, 1976; Tuan, 1978; Pocock, 1981). Toutefois, la majeure partie des contributions dévolues aux "Belles-Lettres" s'articule sur des études de cas, précédées ou non de fondements théoriques. Ces études traitent un ou des thèmes géographiques émergeant chez un ou plusieurs écrivains, associés ou non à un espace de référence. Les concepts plutôt abstraits de nature et de culture ont été illustrés géographiquement dans un ouvrage monumental, basé davantage sur la littérature philosophique et religieuse que sur la littérature imaginative (Glacken, 1967). L'exhaustivité historique de cette étude ne peut que servir la cause de la perspective géographico-littéraire. L'image de la nature et ses implications culturelles apparait aussi dans les articles consacrés à la littérature romantique (Seamon, 1978). Le concept de paysage ("Landscape") cher à la géographie culturelle américaine (qui correspond approximativement à notre géographie humaine) surgit fréquemment. Le contenu morpho-fonctionnel et l'image du paysage vus dans la littérature retiennent l'attention de nombreuses recherches (Olwig, 1977; Silverman, 1977; Salter et Llyod, 1977; Salter, 1978). La notion de région est souvent extraite de la littérature par les géographes, pour identifier des traits factuels régionaux physiques ou humains apparaissant dans des nouvelles (Darby, 1948; Gilbert, 1960), ou une identité régionale (Whittington, 1974). Le thème de la ville a été élucidé du point de vue de la géographie de la perception (Bailly, 1980), et de son contenu symbolique et social (Lloyd, 1976; McCleery, 1981). Notons entre parenthèses que -38- la perspective diachronique est présente dans la plupart des recherches citées; très peu de travaux s'attachent à interpréter des œuvres littéraires actuelles. Il faut aussi mentionner les contributions récentes (que je commente par la suite) sur le thème de l'expérience géographique du déracinement, dépeinte dans toute sa complexité dans la littérature (Middleton, 1981; Olsson, 1981; Seamon, 1981). Un certain nombre de travaux souligne par des thèmes variés l'esprit géographique d'un auteur (Tissier, 1981), ou son imagination géographique (Cosgrove, 1979). J. Wintsch (1979) a interprété les termes spatiaux d'un roman en se fondant sur une classification symbolique empruntée à la psychanalyse. Je me suis contenté de relever les études (pas toutes) concernant la littérature imaginative effectuées en général par des géographes. Cependant, les géographes ne sont pas les seuls au monde à s'intéresser aux contenus spatiaux et géographiques de la littérature. Le nombre de travaux dévolus à l'espace dans la littérature est plus important pour l'instant chez les non géographes que chez les géographes (Pocock, 1981, p. 13). Des ouvrages écrits par des hommes de lettres (Sansot, 1973), des critiques littéraires comme J. Weisgerber (1978), des philosophes (Bachelard, 1974), ou même des linguistes (Lotman, 1973), sont susceptibles d'éclairer les relations homme-espace médiatisées à travers le langage de la littérature. L'on m'excusera de ne pas tous les mentionner. Une remarque s'impose après l'énumération faite ci-dessus : on constate une large variété d'approches géographiques par rapport aux textes littéraires, coïncidant avec le bagage scientifique, les problématiques (pas toujours explicitées), et les goûts littéraires et régionaux variés des géographes. L'ouvrage de géographie humaniste et de littérature que je vais résumer illustre aussi cette diversité de perspectives. L'ouvrage présent souligne à des titres divers les enseignements que la discipline géographique peut tirer de la litté- -39- rature imaginative (nouvelles, romans, poésie, etc.). La littérature philosophique y est reléguée à une place marginale; cette dernière fait l'objet de recherches à part et décisives dans l'épistémologie de la géographie (Harvey, Holly, 1981). Attardons-nous maintenant sur le recueil édité par D.-C.-D. Pocock (1981) qui établit quelques fondements solides en faveur de l'appréciation d'un "document géographique" bien éloigné du "terrain" concret traditionnel à notre branche; la littérature témoigne d'une conception de l'espace relativement abstraite, qui nait de la rencontre de l'imagination et la conscience d'un artiste, l'écrivain ou le poète, avec son lecteur. Résumé critique de "Humanistic Geography and Literature" (Pocock, ed., 1981) L'introduction de l'ouvrage par D.-C.-D. Pocock (1981) est un plaidoyer général pour l'emploi des sources d'inspiration littéraire par le géographe. Plaidoyer convaincant, qui laisse au géographe humaniste une grande latitude dans son appréciation de la littérature imaginative. L'approche de D.C.D. Pocock n'imprime pas de règles méthodologiques contraignantes au géographe plongeant dans l'univers littéraire. C'est au contraire une démarche souple, empirique, et non structuraliste vis-à-vis de la littérature que propose l'éditeur, qui écarte les techniques "objectives" comme l'analyse structurale ou de contenu, pas à même selon lui de capter l'essence du mot (p. 9). Pour Pocock, le problème de la rencontre d'un art, la littérature, avec la géographie, disci- pline à tradition scientifique, est un faux problème. En effet, il laisse entendre (p. 9) que la perspective géographico-littéraire participe davantage d'un art que de la science sociale. Rien n'empêche alors la géographie qui se caractérise -40- par un exercice d'emprunt permanent aux autres disciplines d'invoquer les Muses littéraires. C'est une optique. Toutefois, l'auteur insiste sur la spécificité du rôle du géographe par rapport au critique littéraire celui-ci est impliqué avec la totalité d'une œuvre, alors que celui-là fait intervenir spécialement son savoir académique et ne vise pas à la synthèse critique. La frontière entre la critique littéraire et la géographie concernée par la littérature n'est cependant pas étanche, car le géographe peut contribuer à sa manière à la critique, en insistant sur les relations homme-espace. Si la géographie n'est pas investie dans ce contexte d'un statut scientifique, la littérature imaginative, quant à elle, est en plein dans le domaine artistique. C.-D.-C. Pocock met en évidence le caractère forcément partial et subjectif d'une représentation artistique. L'auteur tente ensuite de résoudre par un syllogisme ce qui apparait à première vue comme un sophisme, à savoir que la fiction de l'univers littéraire est plus réelle que la réalité qui prévaut dans le monde. Je résume ainsi le syllogisme développé (pp. 10-12) : le monde exprimé dans l'art, bien qu'il soit fictif, est plus réel que la réalité, car la portée du message artistique est universelle. A la condition qu'il accepte ce syllogisme (rappelons que le syllogisme n'est plus utilisé dans la pensée scientifique), le géographe intéressé par une certaine forme du réel peut appréhender l'espace-temps et la condition humaine articulés dans la littérature. A ce propos, D.-C.-D. Pocock cite des travaux qui ont relevé des correspondances entre les traits topographiques apparaissant dans la littérature et ceux des paysages concrets (pp. 12-16). Le chapitre 2. du recueil (Cosgrove, Thornes, 1981) est une illustration de la complémentarité du langage artistique de la littérature au langage scientifique de la météorologie. -41- Les auteurs s'intéressent à l'œuvre de John Ruskin (1819- 1900) et montrent comment chez cet écrivain et poète, la description artistique des formes des nuages du ciel s'accompagne d'une connaissance réelle de la science météorologique. Ruskin, qui en plus de ses qualités littéraires était doué d'un talent naturel pour le dessin et de connaissances météorologiques (science alors à ses uploads/Geographie/ levy-1983-geographie-humaniste-et-litterature-notes-de-lecture.pdf
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- Publié le Fev 02, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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