PIONNIERS MOURIDES AU SÉNÉGAL: COLONISATION DES TERRES NEUVES ET TRANSFORMATION

PIONNIERS MOURIDES AU SÉNÉGAL: COLONISATION DES TERRES NEUVES ET TRANSFORMATIONS D'UNE ÉCONOMIE PAYSANNE G. ROCHETBAU Centre ORSTOM, B.P. 1386, Dakar (Sénégal) RÉSUMÉ ABSTRACT Le colonat mouride, dans ses manifestations actuel- les et spontanées, nous fait-il assister à lkpparition de dynamismes inédits, susceptibles de déboucher sur une économie plus ouverte et une agriculture plus progressive ? En vue de répondre à cette question, la présente etude s’attache à faire le bilan comparé des systèmes d’économie paysanne dans les zones de départ et en zone pionnière, en distinguant : - au niveau des communautés villageoises : les transformations observées dans la stratification à base économique, découlant de I’accès différentiel aux Terres Neuves, et de I’apparition de phénomènes de dépendance économique ; Does the Mouride farming in its present and spontaneous manifestations enable us to witness the emergence of new dynamic processes that cari lead to a more open type of economy and a more progressive forin of agriculture? In order to answer the question, this paper deals more particularly with the comparative balance-sheet of the different systems of pensant economy in the areas of origin and in the pioneer zones. It distinguishes: - au niveau de l’exploitation agricole : les trans- formations des conditions de la production agricole (stratégies d’allocation du temps et structures de la production) et des rapports sociaux qui leur cor- respondent. - at the level of village communities, the changes noticed in the economic stratification proceeding from the differential access to the New Settlements and from thc occurence of economic dependence phenomena; - at the level of agricultural exploitation,, the changes in the conditions of agricultuml production (Strategies of time allocation and structures of pro- duction) and in the social relationships connected with them. Introduction t Les études mourides et le problème des migrations rurales dans le Bassin aràchidier sénégalais ,Les mourides du Sénégal représentent les adeptes d’une confrérie islamique, fondée k la fin du XIX” siècle par le prophète Amadou Bamba sur le modèle Cah. ORSTOM, sér. Sci. Hum, vol. XII, no 1 - 1975 : 19-53 des grandes confréries islamiques qui se sont déve- loppées dans le monde arabe et dans l’Afrique au sud du Sahara à partir du XIP siècle. On en retrouve dans le Bambisme les caractères généraux : autorité d’un chef religieux initiateur d’une liturgie spécifique (Wird) et investi de pouvoirs mystiques particuliers (barke) qui en font un médiateur entre les hommes 2n -. G. ROCHETEAU - - et l’au-delà ; obéissance supposée absolue des dis- ciples (talibe) liés à leur marabout (Shaikh) par un lien personnei librement consenti (1). La Confrérie sénégalaise des Mourides a suscité auprès de differents spécialistes en sciences humaines un intérêt soutenu, tenant à ses particularités sur plusieurs plans : Les islamologues ont posé le problème de son orthodoxie, soit en considérant la pure doctrine mouride à travers les écrits du Saint fondateur (2), soit en mettant l’accent sur la singularité des compor- tements sociaux qui en découlent et lui donnent une place à part dans l’ensemble des g sectes 2 islamiques (valorisation du travail, exagération appa- rente du lien de dépendance envers le marabout) (3). Les politicologues, tels Marty et Nekkach (4) et les historiens, tels Suret-Canale, Witherell et Lucy Berhman (5) se sont penchés sur l’étude des condi- tions de son apparition et des causes de sa rapide Fxpansion. Le Mouridisme a ainsi pu être interprété comme une réponse de la société traditionnelle wolof aux effets de la pénétration coloniale, qui renversa les hiérarchies existantes et instaura un état général d’insécurité. Les nobles virent dans le nouveau mouvement un moyen de redonner une assise locale à leur autorité, même s’ils durent la partager sur le plan proprement politique et en matière de contrôle foncier avec de nouvelles élites issues de couches plus vastes de la société. Le petit peuple y trouva les conditions d’un retour :à la sécurité au sein de communautés villageoises restructurées. Les merce- (1) Cf. D. Cruise O’Brien : « Le talibe mouride : la sou- mission dans une confrérie religieuse sénégalaise D. Cah. d’Etudes Africaines, vol. 10, cah. 4%, 1970. - (2) Cf. F. Dumont: K Essai sur la pensée religieuse d’Amadou Bamba (1850-1927). Université de Dakar (3 vol. multigr.).. (3) Cf. « Notes et études sur l’islam en Afrique Noire ». Recherches et documents du CHEAM, Paris, 1963. \ . Monteil : K Esquisses sénégalaises 8. Initiations et Etudes Afriacines, n* XXI, IFAN, Dakar, 1966. (4) Cf. - P. Marty : « Etudes sur l’Islam au Sénégal 3. Leroux, Paris, 1917. - L. Nekkach : G Le mouridisme depuis 1912 B. Archives du Sérz&al, dossiers lG56, 1952. (5) Cf. - J. Suret-Canale : « Afrique Noire p. 2 vol., Paris, Editions sociales (1964). - J. Witherell : <d The response of the people of Cayor to French penetration s (1850-1900). Ph. D., Disserta- tion, Ann Arbor, Michigan, 1964. - L. Behrman : « The political influence of Mus- lim Brotherhoods in Senegal B. Ph. D., Dissertation. Boston University, 1967. naires royaux désormais sans emploi, eurent la possi- bilité de reprendre place dans la société rurale. Dans le prolongement de ces travaux, le socio- logue Tijane Sy (6) fut amené à mettre l’accent sur les implications sociales du Bambisme qui, à certains égards, peut être considéré comme un mou- vement réformateur jugeant l’homme plus sur ses mérites personnels qu’en fonction de son origine sociale, instaurant les conditions d’une mobilité sociale plus grande que par le passé et limitant en particulier sur ce plan les effets du système traditionnel des castes. Le géographe Paul Pélissier centra ses analyses sur le rôle du Mouridisme dans l’extension de l’espace agricole sur le flanc oriental du Bassin de l’arachide, qui se présente comme le résultat de la convergence de trois facteurs, intervenant de manière concomitante : « l’implantation du Mouridisme sur les marges du domaine des paysanneries tradition- nelles et son orientation vers la colonisation agricole, le succès de la culture de l’arachide au Sénégal et les efforts de l’administration et du grand commerce en vue d’en favoriser l’expansion, la pénétration des voies de communication en direction de l’est et notamment la construction du chemin de fer joignant Dakar au Niger » (7). Amorcé au début du siècle à partir du premier foyer des regroupements mourides dans la région de Diourbel et Touba, le mouvement de conquête pionnière se développa vers l’est sur toute la bordure occidentale du désert central du Ferlo, remontant les vallées du Saloum au sud, dans l’actuel départe- ment de Kaffrine, du Sine, jusqu’aux escales de Sadio et Gassane, et du Bounoum, au nord, jusqu’aux escales de Dodji et Barkedji (cf. fig. 1). Bien que ’ l’on assiste à un ralentissement du peuplement et à une stabilisation du front pionnier depuis 1945, comme consiquence d’une part de la raréfaction des terres vacantes et de la volonté de l’administration centrale de faire respecter les périmètres forestiers classés sur les marches du désert, d’autre part de l.exutoire représenté par l’accélération des migra- tions urbaines, la marche vers l’est se poursuit aujour- d’hui et prolonge ses avancées en contournant le Ferlo vers le Saloum et le Sénégal oriental. (6) Cf. Cheikh Tijane Sy : « La confrérie sénégalaise des Mourides ». Présence Africaine, Paris, 1969. (7) Cf. P. Pélissier : « Les paysans du Sénégal t). Impri- merie Fabrègue, Saint-Yriex, 1966. (Livre 5, chap. 6 : < Conquête pionnière et mouridisme dans les Terres Neuves du Ferlo Occidental 2). Cah. ORSTOM, sér. Sci. HI~., vol. XII, na I - 1975 : 19-53 PIONNIERS MOURIDES AU SÉNÉGAL 21 Ainsi conservent toute leur actualité les conclu- essentiellement, au-delà de certaines motivations reli- sions de l’auteur sur les facteurs ayant conditionne gieuses, à une organisation hiérarchisée et particu- la réussite de cette politique d’expansion territoriale lièrement efficace dans ses fonctions d’encadrement dans le pass6 : presque exclusivement limitée aux de la population et dans ses rapports avec l’adminis- assises de la Confrérie en pays wolof, elle tiendrait tration centrale. KHELKOM -DIAGA , Village enquêté A Forage profond GB Forêt classée $+$. Limite orientale Situation actuelle du front pionnier de la culture de l’arachide en 1920 ------ FIG. 1. - Le domaine des G Terres Neuves » et la marche du front pionnier. (D’qvès Paul Pélissier, « Les paysans du Sénégal XX). C’est ce dernier aspect du problème qui a princi- palement retenu l’attention de l’anthropologue anglais D.B. ICruise O’Brien. Dans une synthèse récente (l), il étudie les fondements de l’autorité politique chez les Mourides, mettant en lumière en particulier les modalités du recrutement des élites maraboutiques, plus ouvert qu’on ne le pensait jusqu’ici, et la struc- ture hiérarchique du groupe dirigeant, qui se présente comme une pyramide à quatre étages : le Khalifa- Général des Mourides, successeur du Saint fondateur de la Confrérie, les Khalifas, chefs des lignages (1) Cf. D. Cruise O’Brien : « The Mourids of Senegal n. Faber & Faber, London, 1971. maraboutiques, les Shuyukh, qui sont les marabouts ordinaires, et les talibe, ou disciples. ,Le Khlalifa-Général demeure l’incarnation de l’unité de la Confrérie. II uploads/Geographie/ pionniers-mourides-au-senegal-colonisation-des-terres-neuves-et-transformations-d-x27-une-economie-paysanne.pdf

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