Pour une histoire des risques naturels dans les Pyrénées occidentales française
Pour une histoire des risques naturels dans les Pyrénées occidentales françaises sous l'Ancien Régime Desplat, Christian Christian Desplat Texte intégral • 1 La définition du risque n'est pas évidente ; voir la réflexion de M.L. Rescia-Pellegrin, Les regis (...) • 2 F. Braudel, La Méditerranée au temps de Philippe II, Paris 1985, 6e ed. 1Vidal de La Blache, R. Dion en leur temps et pour la géographie, M. Bloch et surtout F. Braudel pour l'histoire ont insisté sur la part du milieu dans les sciences humaines. Quelles que soient par ailleurs les manières dont il les domine ou les subit, l'homme doit compter avec un certain nombre de contraintes naturelles, les unes quasi intemporelles à l'échelle de la durée des sociétés humaines, les autres plus brutales, accidentelles et donc événementielles. Le modèle braudélien, la Méditerranée au temps de Philippe II2 a longtemps été considéré comme l'exemple à suivre en la matière. Toutefois, en privilégiant la longue durée, l'histoire « abyssale », Braudel rejoignait ceux qui avec l'École des Annales réglaient de vieux comptes avec l'histoire événementielle, l'histoire politique surtout. On prit alors le risque de perdre de vue l'importance du moyen et du court terme ; la série, longue, massive tendait à privilégier la permanence et à masquer ce à quoi les hommes restent le plus sensibles : les ruptures, l'accident. Si Ton admet avec M. Bloch, que l'historien comme l'ogre de la légende se nourrit de chair fraîche et que les véritables objets de sa recherche sont les sociétés humaines, comment dès lors négliger leur sensibilité aux risques et aux accidents de tous ordres auxquels elles sont exposées. Il n'est évidemment pas question de renoncer à la mesure qui suppose la durée et la répétition ; mais il faut rendre sa véritable place à l'événement dont l'aspect politique, diplomatique ou militaire, n'est que Tune des très multiples facettes. Un orage de grêle, qui n'est d'ailleurs jamais un fait isolé, peut être non pas exemplaire, mais servir de révélateur à une crise économique ancrée dans la longue durée ou bien à des fantasmes sociaux, qui font partie d'un très ancien patrimoine collectif. Dans la perspective d'une histoire événementielle revisitée, les accidents et les risques naturels devraient naturellement trouver leur place. • 3 Sur l'ensemble de la question, voir V. Berdoulay et M. Phipps, Paysage et système, 1985. Sur la pe (...) 2Les géographes les premiers ont reconsidéré la question du milieu ; depuis les années soixante, à travers le thème privilégié de la perception et des représentations du milieu naturel, de nombreuses études ont été consacrées aux risques et aux accidents dont peuvent être victimes les milieux. Tous s'accordent d'ailleurs pour noter que le fait, sa réalité matérielle, importe parfois moins que Pour une histoire des risques naturels dans les Pyrénées occidentales f... https://books.openedition.org/pumi/23471 1 sur 43 25/07/2022, 09:24 la manière dont il est perçu et que les sensibilités sont susceptibles de profondes mutations3. • 4 D. Mornet, Les sciences de la nature au XVIIIe siècle en France, Paris, 1911. • 5 E. Sereni, Histoire du paysage rural italien, Paris, 1964 et A. Verhulst, Histoire du paysage rura (...) • 6 N. Broc, Les montagnes vues par les géographes et les naturalistes de langue française du XVIIIe s (...) 3De leur côté, les historiens ne restaient pas inactifs ; quelques travaux pionniers comme ceux de D. Mornet, étaient déjà porteurs d'idée neuves4. Dans des termes empruntés à la littérature, la « nature », ou bien à l'esthétique, le « paysage », plusieurs travaux de grande qualité se sont attachés à l'étude de perceptions particulières du milieu : celles des paysages ruraux5, celles de la montagne dont on a pu écrire que le « sentiment » n'était qu'une forme exaltée du sentiment de la nature6. Rebaptisé de diverses manières, le milieu a suscité au moins deux dérives scientifiques et affectives. La première, que l'on pourrait qualifier d'esthétisante, a fini par réduire l'environnement au paysage et celui-ci au jardin. La nature n'est plus alors que le décor d'un théâtre dont l'unique acteur serait l'homme ; l'anthropocentrisme triomphe ainsi sans limite. • 7 La littérature « catastrophiste » est très abondante et plutôt inégale ; de nombreux ouvrages sont (...) 4Le même courant a d'autre part engendré une autre dérive ; celle du « catastrophisme ». À suivre les catastrophistes, l'histoire du milieu n'aurait connu que deux stades : le premier serait celui, idéal, de l'immuabilité qui imposerait une politique de conservation à tout prix ; cette option ne s'applique d'ailleurs pas exclusivement au milieu, elle concerne aussi le patrimoine artistique. Le second stade envisagé est celui d'une dégradation générale, résultat quasi exclusif de la prédation humaine qui imposerait une politique de restauration systématique. Entre conserver et restaurer n'existerait aucune autre alternative7. • 8 Voir en particulier W. Abel, Crises agraires en Europe (XIIIe- XXe siècles), Paris, 1973. • 9 E. Leroy-Ladurie, Histoire du climat depuis l'An Mil, 1e ed. Paris, 1961. • 10 Deveze, La vie de la forêt française au XVIe siècle, Paris, 1961. • 11 Voir le guide de recherche publié par ce groupe : Aspects de la recherche sur l'histoire des forêt (...) 5Parallèlement à ce courant qui se soucie assez peu de la recherche et de l'analyse factuelle, qui prétend gérer l'espace sans toujours prendre en compte le temps, on y cultive volontiers les mythes originels, de nombreux historiens, sensibles aux grands cycles de crises de l'Europe médiévale et moderne en ont recherché les facteurs structurels et en particulier ceux qui relèvent du milieu8. Élargissant les perspectives d'étude de son grand cycle agraire languedocien, E. Leroy-Ladurie fit figure de précurseur en donnant en 1967 la première édition de son Histoire du climat depuis l'An mil9. De son côté, M. Devèze avait ouvert dès 1961 la voie à des recherches particulièrement stimulantes sur la forêt10. Depuis, les travaux n'ont cessé de se multiplier ; autour du Groupe d'histoire des forêts françaises (GHFF) est née une véritable école « environnementaliste » dont les objectifs ont fini par dépasser l'objet initial11. Les succès remarquables de cette école sont aujourd'hui reconnus par tous ; cependant, même et surtout parmi les combattants de la première heure, une inquiétude s'est glissée : la recherche Pour une histoire des risques naturels dans les Pyrénées occidentales f... https://books.openedition.org/pumi/23471 2 sur 43 25/07/2022, 09:24 environnementale peut-elle fonctionner et dans quel but ? • 12 A. Corvol-Dessert, Histoire et environnement ? Histoire de l'environnement. IHMC no19 1992. 6Dans une brillante réflexion, qui risque malheureusement de rester un peu trop confidentielle, A. Corvol-Dessert conclut ainsi : « Tout cela n'augure rien de bon pour le futur, celui de l'environnement, celui de son histoire et de ses historiens »12. Ce propos pessimiste, tout à fait fondé, renvoie dans un premier temps à des difficultés de fonctionnement : celles qui touchent en particulier à la constitution et au financement des groupes de recherches. Mais il concerne surtout la problématique générale et des questions de définitions. Dans le domaine qui nous intéresse ici, les historiens sont (très naturellement) tributaires du vocabulaire des disciplines voisines, de celui de la géographie surtout. Le choix des mots n'est jamais tout à fait innocent ; l'exemple de « l'environnementalisme » est à cet égard révélateur. Autant le mot d'environnement a connu le succès auprès des organes de diffusion et du public, autant celui de milieu est resté dans l'ombre. Au point que l'on a fini par douter de l'existence du milieu et des milieux ; l'Université, toujours prompte à brûler ce qu'elle a trop longuement adoré, les rejetait de ses enseignements. Un effort de clarification et de redéfinition s'imposait et semble en effet se dessiner. • 13 Ph. et G. Pinchemel, La face de la terre. Éléments de géographie. Paris, 1992, p. 219. • 14 Pinchemel, op. cit. p. 305. Un effort considérable de clarification a été consenti par les géograp (...) • 15 Y. Chatelier et G. Riou (dir.), Milieux et paysages, Paris 1986. On comparera l'approche des auteu (...) 7Une grande synthèse récente s'y est attachée ; sans remettre en cause les acquis de l'écologie et de l'environnementalisme, elle met en perspective le catastrophisme et toutes les déviations réductionnistes : « La dénaturation des milieux est réelle mais elle ne dispense pas de les connaître. La notion de milieu n'est pas périmée »13. Ph. et G. Pinchemel donnent ensuite une définition de l'environnement qui ne manquera pas de retenir l'attention de l'historien : « Ce que nous appelons environnement n'est que la fraction de la réalité saisie par nos sens »14. Ainsi admettrons nous que les sociétés humaines ne se confondent pas avec le milieu qui existe en dehors d'elles et des représentations successives qu'elles en proposent. En même temps on insistera sur le fait que rares sont les milieux qui échappent à l'homme « ce bâtisseur de paysages »15. 8Dans cette perspective il apparaît plus facile d'écrire une histoire de l'environnement plutôt qu'une histoire des milieux naturels proprement dits. Dans le premier cas, favorisé par la nature des sources historiques, l'anthropocentrisme est l'objet uploads/Geographie/ pour-une-histoire-des-risques-naturels-dans-les-pyrenees-occidentales-francaises-sous-l-x27-ancien-regime 2 .pdf
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- Publié le Apv 07, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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