Exposé du Prince Louis Rwagasore, fait à la chambre de commerce du Rwanda-Urund

Exposé du Prince Louis Rwagasore, fait à la chambre de commerce du Rwanda-Urundi en date du 25 Août 1960 Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je suis particulièrement heureux d’être parmi vous. Je vous remercie de m’avoir donné la parole devant cette tribune et d’avoir accepté de dialoguer. C’est la 1ère fois qu’une tribune me soit offerte, qu’un tel dialogue me soit possible. Je sais que ce n’est pas une tribune politique, mais mieux que cela une tribune des hommes qui ont fait des Nations, c’est-à-dire ceux qui, par leur travail, leurs efforts, leur abnégation, ont construit ce Pays plus que les autres. Donc, vous ne m’en tiendrez pas rigueur si, en passant, je suis obligé de vous parler de mes vues politiques, car je ne vois pas comment vous pourrez croire en moi, avoir confiance en mes vues économiques et sociales, si vous ignorez mes opinions politiques. Mon but est uniquement de vous donner confiance et non de vous promettre des monts et merveilles, et cette confiance, pour qu’elle soit valable, doit être réciproque. Moi qui ai vécu quatre ans et demi en Belgique, et durant lesquels j’en ai profité pour voyager en d’autres pays d’Europe comme l’Allemagne Fédérale, la France, la Hollande, l’Italie, la Grèce et le grand Duché de Luxembourg, croyez moi, j’ai gardé le meilleur souvenir de ces années ; car l’on garde la nostalgie d’un pays ou d’un peuple qu’on a connu dans son milieu naturel. Je suis par après rentré dans mon pays ou très souvent, comme d’autres africains rentrent d’Europe, j’étais déçu par ceux que j’avais connu, que j’avais appris à comprendre et par conséquent à aimer, par contacts constructifs, par civilisation commune, c’est-à-dire chrétienne et occidentale. A mon enthousiasme, à ma foi de servir mon peuple, à mes illusions aussi, je n’ai rencontré qu’un mur d’incompréhension, de terribles malentendus, parfois d’humiliation. Tout cela n’était pas très grave s’il s’agissait uniquement de ma personne, hélas, cela est arrivé à d’autres de mes compatriotes. Que pourraient être nos sentiments devant le refus catégorique et systématique de ce qui pourrait ressembler de loin à une initiative ne provenant pas de la puissante administration ? Face à une telle situation, seul un homme n’ayant pas de foi pouvait abandonner, car la différence entre le possible et l’impossible est le degré de la volonté des hommes. Cette volonté, nous l’avons, ce qui signifie par conséquent que seules la raison, la compréhension, l’honnêteté et un dialogue franc peuvent donner la solution à ce pénible malentendu, peuvent nous amener vers un compromis, vers des concessions mutuelles. Mon jeu, en somme, est facile et comme je l’écrivais il n’y a pas longtemps : « Dans cette politique, mon rôle n’a pas été et ne sera pas d’imposer au peuple murundi ma façon de penser et de connaître les choses, mais mon rôle plus simple, plus humble peut-être, n’est pas plus audacieux, c’est-à-dire, il a consisté à traduire, à maintenir la volonté, les désirs et les aspirations de ce peuple. Il va de soi que si ma voix n’avait pas de valeur il y a deux ans, la raison et les sentiments vous obligent aujourd’hui à l’écouter parce que c’est une voix écoutée par des centaines de milliers de personnes. » Je ne suis pas venu, Mesdames, Messieurs, vous faire un procès de politique coloniale belge. Il y a quelque chose de vrai et de bien qui a été fait, il y a aussi des erreurs, de graves erreurs, qui ont été commises. Mais nous ne sommes plus à l’heure de jouer à la victime, de nous apitoyer sur le passé ou de nous exalter sur un avenir incertain ; ce qui est, est. Nous sommes, au contraire, à l’heure de la responsabilité, à l’heure décisive du tournant de l’histoire. Nous sommes à l’heure de bâtir sur des bases réelles, sûres et durables. L’avenir de ce pays est à nous tous, vous comme nous. Dès lors il n’est pas possible que cet avenir repose dans des mains et les caprices de quelques hommes qui n’ont aucune attache au pays, aucun intérêt futur, dans les mains des opportunistes, si pas des activistes. Nous ne sommes plus à l’heure des pionniers et des expériences en laboratoire. Je me répète, nous sommes à l’heure des grandes décisions, des grandes responsabilités et, par conséquent d’une grande sagesse et d’une immense bonne volonté. Ce que je suis venu dire, je le dirai très simplement, moi je le dirai avec cette franchise pénible pour les uns, réconfortante pour les autres et qui m’a toujours valu des antipathies, car toute vérité n’est pas bonne à dire. L’expérience m’a montré que la vérité et l’honnêteté finissent toujours par triompher. C’est pourquoi j’écrivais encore la semaine dernière que ça importe peu qu’on m’accuse d’être communiste, anti-blanc, anti-belge, de fauteur de troubles, que sais-je encore…ma victoire finalement sera de démontrer au peuple murundi que je n’étais pas ce que l’on m’avait accusé d’être. D’abord je ne sais être communiste ni communisant. En effet, je suis aristocrate, je suis le 17e descendant direct de la dynastie actuelle du Burundi, je crois que cette dynastie a encore un grand rôle à jouer, surtout en cette période délicate et décisive. Je suis pour un régime monarchique non que je sois le fils de mon père, mais parce que je crois que la monarchie est encore ce qu’il y a de mieux dans ce pays et en laquelle le peuple croit encore. Je ne crois pas que nous devons imposer la révolution au peuple. Ce serait une fausse révolution ; par conséquent, je ne pourrais raisonnablement et délibérément aller à l’encontre de mes propres convictions, de mes propres intérêts, par conséquent, des intérêts du peuple murundi. Enfin je suis croyant et chrétien, par conséquent ceux qui propagent de tels bruits sont absolument irresponsables, dangereux pour notre avenir et plus néfastes que tout ce qu’on puisse imaginer ou ils sont à pardonner parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. Je ne suis pas en divergence de vues avec mon père, le Mwami du Burundi ; nous différons peut-être de génération et de formation mais pas de sentiments profonds de fidélité et de dévouement au peuple murundi qui doivent être ceux des représentants de la dynastie qui veille à la destinée du Burundi. Je veux et je cherche uniquement à servir mon pays et cela personne ne peut me l’empêcher ou me le reprocher. Je ne suis ni contre les blancs ni contre les Belges, ni contre les etrangers établis dans ce pays, je respecte trop les sentiments hospitaliers de ma race ; mais je suis, je l’ai dit et le dirai encore, contre une administration qui pour moi si elle continue résolument et je dirais cyniquement ce qu’elle est entrain de faire, ratera sa mission, comme, soyons francs, elle l’a été au Congo, et même au Rwanda. Pourtant il y a encore une chance au Burundi ; car quoiqu’il puisse arriver, le peuple murundi n’est pas un peuple fou, exalté et irréfléchi et comme il faut réussir coûte que coûte, jusqu’au dernier moment, nous garderons le tete froide, nous ne permettrons pas de troubles dans le pays car les pêcheurs dans l’eau trouble nous guettent et nous ne leur donnerons pas cette occasion. Je sais que vous voulez entendre de ma bouche comment je conçois l’avenir économique du Burundi, des relations futures entre les tuteurs et nous. Comment pourrais-je vous en parler si je n’épuise pas d’abord les problèmes politiques ? A quoi cela vous servirait que je vous dise de belles paroles, agréables à l’oreille ; qu’en même temps je ne sais pas vous assurer si mes vues que vous aurez admises, je l’espère, seront un jour appliquées. Pour cela, il faut, je le pense, que je m’assure et vous assure en même temps que mon plan politique est et sera déterminant. Pour cela aussi, il faudrait que je ne sois pas critiqué gratuitement, aveuglément et très souvent maladroitement. N’ai-je pas chaque jour rencontré des témoignages des hommes qui ne me connaissent pas et qui se laissent induire en erreur par des personnes qui me connaissent encore moins ou auxquelles je n’ai pas caché les quatre VERITES. Tout le problème est là. Nous sommes peut-être difficiles et intransigeants lorsque nous défendons les intérêts de notre pays mais nous ne sommes pas pour cela des fanatiques, nous sommes ouverts à tout dialogue sincère et honnête. A quoi sert de se créer inutilement des ennemis, des mécontents et des aigris ? Pourquoi prendre nos désirs pour des réalités ? Les sentiments vous poussent naturellement du côté facile, et, du côté de ceux qui cherchent la facilité et pas toujours les intérêts de leur pays ; alors que la raison devait vous pousser aussi naturellement du côté des autres, comme je l’ai dit plus haut, plus difficiles, plus intransigeants mais qui forment une force morale puissante laquelle est à même de vous donner des garanties tangibles qui portent sur un temps plus long et durable. Je ne vous uploads/Geographie/ prince-louis-rwagasore.pdf

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