1 - Introduction Comme toutes les langues qui accèdent à l’écrit et par conséqu

1 - Introduction Comme toutes les langues qui accèdent à l’écrit et par conséquent au savoir scientifique, tamazight doit développer son lexique, notamment en matière de vocabulaire de spécialité. Pour Jacques Ruffié (1990), une langue n’aura le statut de langue vivante, que si elle assume son rôle dans la communication quotidienne et la diffusion du savoir scientifique. Si nous voulons que la langue amazighe soit impliquée d’une manière pro­ fonde dans ce processus de l’apprentissage des matières scientifiques afin de s’imposer dans son espace vital, et autochtone, il faut qu’elle assure la fonction de transmission et de communication. Dans ce contexte, il a semblé opportun, voire urgent, d’équiper cette langue de moyens nécessaires pour affronter son temps, qui est celui de la science et de la technologie. L’un des moyens de son équipement est sa standardisation. La normalisation est une urgence par le fait que toute promotion linguistique passe d’abord par «la promotion d’un standard linguistique» (Sauzet P., 2002). Pour ce dernier la normalisation linguistique est à la fois : «une condition de la transmission, une condition de la valorisation de la langue et un instrument de son étude scientifique». L’aménagement de la langue amazighe est donc plus qu’une nécessité. Cependant, son succès dépend essen­ tiellement du choix de la démarche méthodologique à suivre. Normaliser une langue c’est agir sur cette langue à différents niveaux. Jacques Leclerc (1986 : 358) définit la norme comme «une sorte de loi linguistique à laquelle les sujets parlants doivent se conformer pour communiquer entre eux. Cette loi a son fondement dans la nécessité pour les usagers de communiquer de façon efficace et d’employer, pour ce faire, à peu près les mêmes sons, les mêmes mots, les mêmes structures». Donc, la normalisation de tamazight consiste à standardiser sa prononciation, ses structures morphologiques et grammaticales et son lexique, et surtout atté­ nuer les divergences et supprimer les fais dialectaux non fonctionnels qui sont souvent source de problèmes d’intercompréhension (Ennaji M. 2004). Ce qui fait que la normalisation d’une langue nécessite une certaine distanciation par rapport à l’écrit, sans pour autant s’éloigner trop des usages quotidiens. Pour réus­ sir une telle tâche, il est donc nécessaire de tenir compte d’un certain nombre de précautions lors de la standardisation. Quelle démarche pour la standardisation de tamazight ? 29 Mohand Maharazi Chargé de cours de linguistique française Université de Mesrata (Libye) mahrazimohand@yahoo.fr 30 2 - Problématique Un des problèmes qui se pose, lors de la stan­ dardisation ou de la promotion d’une langue à une certaine fonction, est le fait qu’on est confronté, dans la plupart des cas, à une situation de dialecti­ sation. C’est le cas de tamazight, puisque cette lan­ gue est parlée de différentes façons dans plusieurs pays de l’Afrique du Nord, avec une phonologie, un vocabulaire et une syntaxe partiellement différents. Cet état de fait nous conduira à nous deman­ der s’il est possible de construire une seule langue amazighe à partir de sa pluralité, sans pour autant constituer une nouvelle forme de diglossie de type tamazight standard vs tamazight dialectal. Ou bien doit-on aménager chaque dialecte à part ou encore imposer un dialecte ? Les politiques linguistiques pratiquées dans ces pays permettent-elles d’unifor­ miser tamazight ? 3 - Démarche méthodologique C’est donc à ces questions, entre autres, que cette communication souhaite apporter des élé­ ments de réponses ; il s’agit de proposer des choix méthodologiques et des principes à retenir dans la standardisation et la modernisation de la lan­ gue amazighe en procédant par deux approches : l’approche socio politico linguistique et l’approche linguistique. Nous étayerons notre communication par des exemples concrets issus de notre recherche récente dans le domaine de la terminologie scien­ tifique et plus spécifiquement celle de l’électrotech­ nique. Evidemment, chaque démarche présente des avantages mais aussi des inconvénients. Selon ces avantages et ces inconvénients et surtout selon l’objectif visé, nous allons choisir la démarche qui nous semble la plus adéquate pour notre travail. A première vue, la dernière solution, c’est-à-dire im­ poser un dialecte, semble la plus facile à réaliser, mais comme le disait Abdellah Bounfour (1983 : 143) on risque d’exclure une grande partie de nous-même. 3.1 Approche socio politico linguistique L’idéal, c’est de faire de tamazight une lan­ gue apte à assumer le statut de langue officielle, c’est-à-dire, une langue habilitée à être employée dans l’enseignement, les médias, l’administration et surtout capable de véhiculer des savoirs scienti­ fiques et techniques. Mais pour y aboutir, plusieurs cheminements peuvent être envisagés selon les moyens mis en œuvre et le temps nécessaire pour l’aboutissement de l’entreprise. Selon l’objectif, qu’il soit à long ou à court terme, ou encore de faire une ou plusieurs langues berbères, quatre types de solution peuvent être envisagés. La première est de forger une langue berbère «moyenne» sur la base des dialectes exis­ tants. La seconde est de choisir un dialecte comme langue officielle en le développant de telle manière qu’il se rapproche le plus possible des autres. La troisième consiste à développer chaque dialecte in­ dépendamment les uns des autres. La dernière est de développer les dialectes en les faisant converger de manière à obtenir à moyen terme une langue amazighe commune. La première solution, ou «codification compo­ sitionnelle» selon la terminologie de Carles Cas­ tellanos (2003), nécessite une description précise des variations dialectales pour tenter de forger une forme moyenne, une sorte de lieu commun des différents parlers, qu’il faudra ensuite diffuser par différents moyens (médias, école, etc.)» (Calvet L. J., 1996 : 49). Ce serait le cas typifié par la koïnè grecque, la langue commune créée sur la compo­ sition de différents dialectes. Les linguistes sont tout à fait capables de réaliser cet objectif, d’autant plus qu’il existe entre ces dialectes un fonds lexical commun et un système phonologique très proche d’un dialecte à l’autre. Cette option a comme avan­ tages : Une langue unifiée au niveau national ou ma­ ghrébin ; Le renforcement des liens entre les amazigho­ phones de toutes les régions ; Le fait qu’un amazigh commun aurait plus de chance d’être enseigné dans d’autres pays comme langue étrangère. Une langue normalisée au niveau national serait beaucoup plus appropriée pour donner des argu­ ments solides contre la politique actuelle qui refuse une officialisation de la langue (Allaoua M., 1994). En revanche, cette option aurait comme incon­ vénients : Le fait que cette koïnè risque d’être coupée de la réalité sociolinguistique et des pratiques réelles des Mohand Maharazi Quelle démarche pour la standardisation de tamazight ? 31 amazighophones. Une telle langue serait destinée à une minorité lettrée, à l’instar du latin lorsqu’il cohabitait avec les vernaculaires français ou espa­ gnol... ou encore, à l’instar de la langue arabes vis- à-vis de ses dialectes (Allaoua M., 1994) ; Nécessité de beaucoup de temps aux spécialistes pour la reconstitution de cette langue commune. L’enseignement généralisé à tous les Algériens dans les écoles aboutirait après une ou deux géné­ rations à asseoir et consolider cette langue (Nait- Zerrad K., 2002). Nécessité d’une politique linguistique com­ mune, du moins, entre l’Algérie et le Maroc, ce qui n’est pas encore le cas. La deuxième solution, ou «codification unitaire» selon Carles Castellanos (2003), relève du «coup de force» ou du «centralisme jacobin» (Calvet L. J., 1996 : 49) en imposant un dialecte comme lan­ gue nationale et officielle. Ce type de codification pourrait être exemplifié par la langue française, construite principalement à partir du dialecte de la capitale. Cette option aurait comme inconvé­ nients : - Le choix du dialecte d’une région risque de provoquer le mécontentement des autres régions ; - Exclusion de tout un patrimoine culturel ; - Eloignement de la langue de la plupart des parlers et dialectes. Et pour avantages : - Facilité et rapidité dans la réalisation ; - Une seule langue standardisée aurait plus de chance d’accéder au statut de langue officielle. La troisième solution, ou «codification indé­ pendante» pour Carles Castellanos (2003), traite chaque dialecte comme une langue à part, ce qui donnerait un ensemble de géolectes standards c’est-à-dire un kabyle standard, un chaoui stan­ dard, un chleuh standard, un rifain standard, etc. Cette approche trouve des similitudes avec les lan­ gues scandinaves (suédois, danois, norvégien...) construites à partir de parlers très proches. Malgré l’inexistence d’une orthographe commune, ces lan­ gues permettent néanmoins une intercompréhen­ sion grâce, notamment, à une partie plus ou moins commune du vocabulaire conservé. Ce type de standardisation aboutirait, en Algérie par exemple, à quatre langues régionales (kabyle, chaoui, moza­ bite, touareg). Cette option présente à son tour des avantages et des inconvénients. Avantages : - Préservation des spécificités intrinsèques de chaque dialecte ; - Les langues formées refléteraient la réalité so­ ciolinguistique de chaque région. Inconvénients : - Cette option présuppose une politique ter­ ritoriale de l’Etat c’est-à-dire une reconnaissance officielle de l’autonomie linguistique et culturelle de chaque région. Dans ce cas chaque langue ré­ gionale serait enseignée sur son territoire parallèle­ ment avec la langue officielle. - Risque d’accentuer la dialectisation de la lan­ gue amazighe, ce qui pourrait constituer un obs­ tacle sérieux pour uploads/Geographie/ quelle-demarche-pour-la-standardisation-de-tamazight.pdf

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