1 Regards sur la colonisation de l’Afrique et du Congo à la mémoire de ma cousi
1 Regards sur la colonisation de l’Afrique et du Congo à la mémoire de ma cousine, le Dr Marie-Hélène WEBER-CHEIKH (1939-2000), agent de la coopération luxembourgeoise, décédée dans l’exercice de sa profession à Dakar (Sénégal) Plus de trente ans après les indépendances des anciennes colonies d’Afrique 1, les voiles commencent à se lever sur cette période honteuse pour un certain nombre de pays européens face au continent noir. Nos trois voisins, à des titres divers, y ont joué un rôle déterminant, parfois inversement proportionnel à leur taille géographique, comme la Belgique. Plusieurs manifestations culturelles viennent d’avoir lieu à ce sujet en Luxembourg et suscitent la présente réflexion. . Le colonialisme, ses légitimations, ses injustices et ses ambiguïtés Que le colonialisme soit un vilain penchant, personne, ou presque, n'en doute plus aujourd'hui. Selon le Grand Dictionnaire Encyclopédique Larousse 2, c'est la « doctrine qui préconise l'établissement et le développement de pays dépendants considérés comme sources de richesse et de puissance pour la nation qui les possède ». C'est le « résultat de la différence de développement économique entre pays de cultures le plus souvent très dissemblables et fortement inégaux aux plans technologique et militaire. Le colonialisme aboutit à l'asservissement d'un pays par un autre, à sa dépendance politique et surtout à sa mise en compte réglée au plan économique. Au XIXe siècle le colonialisme a été le complément indispensable de la naissance du capitalisme, qui a conditionné le développement industriel des pays européens. » Des facteurs culturels et religieux ont joué également dans la mesure où, pour le christianisme, l’homme doit se « soumettre » la terre, l’Église ayant toujours prôné la conquête idéologique sous forme de croisades ou de missions. Une des justifications avancées par les partisans de ce qui allait devenir le colonialisme était la guerre contre l’esclavagisme qui régnait encore en Afrique au XIXe siècle ou contre le système des prises d’otages, le cannibalisme, l’obscurantisme, etc. On sait que la conquête de l’Algérie, entre autres, fut légitimée par la « libération » de ces fléaux, que la présence française promettait. L’occupation et l’exploitation du futur Congo belge donnèrent lieu à de semblables arguments. D’une manière générale, la supériorité de la civilisation chrétienne, blanche et européenne n’était guère mise en doute, le pouvoir politique et militaire collaborant avec le clergé et les milieux économiques, les précédant, les favorisant ou, au contraire, tirant profit de leur antériorité. Victor Hugo lui-même, dont l’engagement humanitaire et la philanthropie étaient au-dessus de tout soupçon et a qui jeté son immense prestige dans la lutte pour l’abolition de l’esclavage aux États-Unis 3, n’échappait pas aux effets pervers de la mentalité colonialiste. Dans son Discours sur l’Afrique, tenu à Paris le 18 mai 1879 lors d’un banquet commémoratif de l’abolition en France, il expose sa pensée à ce sujet. On y trouve certaines des idées convenues de son temps, comme : « l’Afrique n’a pas d’histoire ». Le « flamboiement tropical » est « absolu dans l’horreur ». La liberté, bien le plus précieux pour l’homme, selon le républicain français, le noir n’avait pas su la conquérir lui-même ; c’est le blanc, en l’occurrence Victor Schoelcher 4, qui l’a offerte à la race noire au nom de la race blanche. Ce qui donne lieu à ces considérations : « Il me semble que voir l’Afrique, ce soit être aveuglé. Un excès de soleil est un excès de nuit. […] Déjà, les deux peuples civilisateurs, la France et l’Angleterre, ont saisi l’Afrique ; la France la tient par l’ouest et par le nord, l’Angleterre la tient par l’est et par le midi. Voici que l’Italie accepte sa part de ce travail colossal. L’Amérique joint ses efforts aux nôtres ; car l’unité des peuples se révèle en tout ; l’Afrique importe à l’univers ; une telle suppression de mouvement et de circulation entrave la vie universelle, et la marche humaine ne peut s’accommoder plus longtemps d’un cinquième du globe paralysé. Les hardis pionniers se sont risqués, et, dès leurs premiers pas, ce sol étrange est apparu réel ; ces paysages lunaires deviennent des paysages terrestres ; la France est prête à y apporter une mer ; cette Afrique farouche n’a que deux aspects : peuplée, c’est la barbarie, déserte, c’est la sauvagerie, mais elle ne se 1 Cet article concerne avant tout la zone subsaharienne ; pour le Maghreb, certains problèmes se poseraient en d’autres termes. 2 Vol. III, Paris, 1982, p. 1389. 3 Voir F. Wilhelm, « 1997 Année européenne contre le racisme. Victor Hugo et la lutte antiesclavagiste aux États-Unis d'Amérique. Son combat voltairien pour la réhabilitation de John Brown », Récré 13, Diekirch, 1997, pp. 159-186. 4 Auteur principal du décret de 1848 abolissant l’esclavage dans les colonies françaises, le décret étant signé par le ministre de la Marine, Emmanuel Arago, fils du savant. 2 dérobe plus […] Au dix-neuvième siècle, le blanc a fait du noir un homme ; au vingtième siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde. Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème. L’Europe le résoudra. Allez, Peuples ! emparez-vous de cette terre. Prenez-la. À qui ? à personne. Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. Où les rois apporteraient la guerre, apportez la concorde. Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l’industrie ; non pour la conquête, mais pour la fraternité. Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires ; allez, faites ! faites des routes, faites des ports, faites des villes ; croissez, cultivez, colonisez, multipliez ; et que, sur cette terre, de plus en plus dégagée des prêtres et des princes, l’Esprit divin s’affirme par la paix et l’Esprit humain par la liberté ! » 5 Pour la IIIe République française, qui connaîtra grâce aux colonies et protectorats la plus grande extension territoriale de l’histoire de France, voilà un texte véritablement fondateur. Texte cependant curieux, puisque le très anticlérical et antimonarchiste patriarche des lettres françaises se réfère nettement au contexte biblique et ne fait mystère de sa foi. Dieu soutient l’homme blanc dans ses efforts pour rendre la terre vivable. Même s’il méconnaît totalement la portée des cultures africaines, les traditions ethniques, les données religieuses locales, on peut dire à la décharge de l’auteur des Misérables qu’il a toujours cru, même aux moments où la liberté était le plus menacée, au principe de l’évolution du monde en direction du Bien, ce que la Légende des Siècles était censée expliquer. Que des hommes d’un autre continent, issus d’une autre pensée, aux modes de vie ancestraux diamétralement opposés à la conception européenne, n’aient pas cette vision du temps, du devenir, de la société, ne semble pas avoir effleuré l’esprit de Hugo. Bien que l’Afrique soit privée d’histoire, à son avis, il ne se rend pas compte que les notions d’avancée, de progrès orienté vers un mieux, donc de lutte dialectique entre des principes contraires, ne fait pas partie de la sensibilité africaine. Il ne voit pas que la valeur suprême, pour les noirs, n’est pas de toujours tendre vers une amélioration ou un changement, mais plutôt de vivre en accord avec leur environnement et leurs traditions tribales, bref que la culture, pour eux, consiste à reproduire des structures et des rites immuables, jamais remis en question rationnellement. Cela dit, le « colonialisme » pacifique de Hugo qui mise sur le travail de conviction et non sur la contrainte, ne consiste pas à préconiser l’exploitation des noirs par la violence physique et l’asservissement brutal, mais plutôt à les mettre dans l’état de liberté qui leur permette de participer d’eux-mêmes aux bienfaits de la civilisation blanche. C’est, en dépit d’une certaine générosité, une attitude qui fait des noirs des assistés : un déni d’autonomie et de confiance. En 1879, Hugo ne pouvait pas savoir qu’il y aurait en 1885 – année de sa mort – un État indépendant du Congo. Mais, au moment de son Discours, en 1879, la conquête belge était lancée, puisque dès 1878, Léopold II de Belgique, le souverain qui avait expulsé Victor Hugo de son royaume en 1870 parce que celui-ci y avait offert l’asile politique aux communards poursuivis à Paris, avait embauché l’aventurier Stanley pour explorer l’Afrique centrale. En 1877 ce roi, qui réalisa une partie de ce que Hugo avait appelé de ses voeux, déclarait à un correspondant belge qu’il ne voulait pas laisser échapper « l’occasion de nous procurer une part de ce magnifique gâteau africain ».6 On sait que cela amena ce monarque « visionnaire » et glouton à s’accaparer à titre personnel d’un dixième de la surface de la colonie, huit fois plus grand que son royaume en Europe. Il tirait une partie de ses revenus faramineux des plantations de caoutchouc où les noirs étaient sévèrement exploités, mutilés en guise de sanction disciplinaire, voire décimés par une recherche maximale du profit. Il n’a jamais mis les uploads/Geographie/ regards.pdf
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- Publié le Mar 02, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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