Guillaume APOLLINAIRE, Alcools (1913) Parcours associé : modernité poétique ? T

Guillaume APOLLINAIRE, Alcools (1913) Parcours associé : modernité poétique ? TEXTE 1. « Les colchiques »1 Le pré est vénéneux mais joli en automne Les vaches y paissant Lentement s’empoisonnent Le colchique couleur de cerne et de lilasir Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là Violâtres comme leur cerne et comme cet automne Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne Les enfants de l’école viennent avec fracas Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières Qui battent comme les fleurs battent au vent dément Le gardien du troupeau chante tout doucement Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne TEXTE 2. « Le voyageur »2 à Fernand Fleuret3 Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant La vie est variable aussi bien que l’Euripe Tu regardais un banc de nuages descendre Avec le paquebot orphelin vers les fièvres futures Et de tous ces regrets de tous ces repentirs Te souviens-tu Vagues poissons arques fleurs surmarines Une nuit c’était la mer Et les fleuves s’y répandaient Je m’en souviens je m’en souviens encore 1 Rédaction vers 1902, publication en revue 1907. 2 D'abord publié en revue en sept. 1912. 3 Poète, ami d'Apollinaire. Alcools (1913) Modernité poétique ? 1 Un soir je descendis dans une auberge triste Auprès de Luxembourg Dans le fond de la salle il s’envolait un Christ Quelqu’un avait un furet Un autre un hérisson L’on jouait aux cartes Et toi tu m’avais oublié Te souviens-tu du long orphelinat des gares Nous traversâmes des villes qui tout le jour tournaient Et vomissaient la nuit le soleil des journées Ô matelots ô femmes sombres et vous mes compagnons Souvenez-vous-en Deux matelots qui ne s’étaient jamais quittés Deux matelots qui ne s’étaient jamais parlé Le plus jeune en mourant tomba sur le côté Ô vous chers compagnons Sonneries électriques des gares chant des moissonneuses Traîneau d’un boucher régiment des rues sans nombre Cavalerie des ponts nuits livides de l’alcool Les villes que j’ai vues vivaient comme des folles Te souviens-tu des banlieues et du troupeau plaintif des paysages Les cyprès projetaient sous la lune leurs ombres J’écoutais cette nuit au déclin de l’été Un oiseau langoureux et toujours irrité Et le bruit éternel d’un fleuve large et sombre Mais tandis que mourants roulaient vers l’estuaire Tous les regards tous les regards de tous les yeux Les bords étaient déserts herbus silencieux Et la montagne à l’autre rive était très claire Alors sans bruit sans qu’on pût voir rien de vivant Contre le mont passèrent des ombres vivaces De profil ou soudain tournant leurs vagues faces Et tenant l’ombre de leurs lances en avant Les ombres contre le mont perpendiculaire Grandissaient ou parfois s’abaissaient brusquement Et ces ombres barbues pleuraient humainement En glissant pas à pas sur la montagne claire Qui donc reconnais-tu sur ces vieilles photographies Te souviens-tu du jour où une abeille tomba dans le feu C’était tu t’en souviens à la fin de l’été Deux matelots qui ne s’étaient jamais quittés Alcools (1913) Modernité poétique ? 2 L’aîné portait au cou une chaîne de fer Le plus jeune mettait ses cheveux blonds en tresse Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant La vie est variable aussi bien que l’Euripe TEXTE 3. « Clair de lune »1 Lune mellifluente aux lèvres des déments Les vergers et les bourgs cette nuit sont gourmands Les astres assez bien figurent les abeilles De ce miel lumineux qui dégoutte des treilles Car voici que tout doux et leur tombant du ciel Chaque rayon de lune est un rayon de miel Or caché je conçois la très douce aventure J'ai peur du dard de feu de cette abeille Arcture Qui posa dans mes mains des rayons décevants Et prit son miel lunaire à la rose des vents Commentaire Emile VERHAEREN, « Ma ville », Les flammes hautes (posth.) J’ai construit dans mon âme une ville torride. Gares, halles, clochers, voûtes, dômes, beffrois, Et du verre et de l’or et des feux sur les toits. Passant, tu n’y trouveras pas Autour des vieux foyers de quiétude Les fauteuils lourds, boiteux et las Où sommeillent et se chauffent en tas Les habitudes ; Ni sur les murs des ardentes maisons Les antiques images, Ni les bergers, ni les rois mages, Ni le bœuf, ni l’ânon, Ni la Vierge Marie, ni le Christ calme et doux Que j’aime encor, mais plus ne prie A deux genoux ; Passant, tu n’y trouveras guère Sous les poussières 1 Édition pré-originale sous le titre de « Lunaire », La Grande France, numéro 19, septembre 1901. Alcools (1913) Modernité poétique ? 3 Que les débris épars de choses de naguère. Je sais, je sais Le charme exquis des souvenirs inapaisés, Mais mon cœur est trop fier et trop vivace Pour se stériliser Dans le regret et le passé. Souffles et vents illuminant l’espace, Ma ville est trépidante aux bruits de l’univers Et l’avenir frappe à ma porte – et je le sers. Oh ! l’exaltante et brûlante atmosphère Que l’on respire en ma cité : Le flux et le reflux des forces de la terre S’y concentrent en volontés Qui luttent ; Rien ne s’y meut torpidement, à reculons ; Les triomphes soudains y broient sous leurs talons Les chutes ; Tout rêve y est porté par un rêve plus haut ; Tout y devient l’enjeu de l’unanime assaut ; La fièvre et la fureur et le risque et l’angoisse Y perforent les blocs des problèmes nouveaux ; La recherche y nourrit de feu chaque cerveau Pour que l’ardeur d’y vivre immensément s’accroisse. […] DISSERTATION sur œuvre René CHAR1 verra dans tout Poète un « grand Commenceur ». Peut-on considérer que le recueil Alcools comme un « grand commencement » ? Lecture CURSIVE . Aloysius BERTRAND, Gaspard de la nuit (1842) 1 René CHAR, Partage formel, LIV, in Seuls demeurent (1945). Alcools (1913) Modernité poétique ? 4 uploads/Geographie/ sequence-poesie-apollinaire-x27-21-revisee-3-textes-en-premiere-generale.pdf

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