Bernard Sergent Pylos et les Enfers In: Revue de l'histoire des religions, tome
Bernard Sergent Pylos et les Enfers In: Revue de l'histoire des religions, tome 203 n°1, 1986. pp. 5-39. Citer ce document / Cite this document : Sergent Bernard. Pylos et les Enfers. In: Revue de l'histoire des religions, tome 203 n°1, 1986. pp. 5-39. doi : 10.3406/rhr.1986.2655 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1986_num_203_1_2655 Zusammenfassung From the study of myths and characters connected with the city of Pylos in Messenia, many authors in the 19th century have come to the conclusion that it concerned a mythical city, hypostasis of the infernal world. The identification ascertained by Linear В tablets of the palace site of Ano Englianos as the Pylos of Homer has rendered obsolete that interpretation. However, many studies of family names specifically from Pylos in the 13th century B.C. have a real connotation of Hell, and this coincides with the old mythological studies. It may be considered that the Greeks had as early as the Mycenaean period conceived their land Messenia as a land connected with the world of the dead. A few Indo-European parallels support this hypothesis. Abstract Pylos and the Underworld From the study of myths and characters connected with the city of Pylos in Messenia, many authors in the 19th century have come to the conclusion that it concerned a mythical city, hypostasis of the infernal world. The identification ascertained by Linear В tablets of the palace site of Ano Englianos as the Pylos of Homer has rendered obsolete that interpretation. However, many studies of family names specifically from Pylos in the 13th century B.C. have a real connotation of Hell, and this coincides with the old mythological studies. It may be considered that the Greeks had as early as the Mycenaean period conceived their land Messenia as a land connected with the world of the dead. A few Indo-European parallels support this hypothesis. Résumé De l'étude des mythes et des personnages attachés à la ville de Pylos, en Messénie, nombre d'auteurs, au XIXe siècle, ont conclu qu'il s'agissait d'une ville mythique, hypostase du monde infernal. L'identification, assurée par les tablettes en Linéaire B, du site palatial d'Ano Englianós avec la Pylos homérique, a rendu caduque cette interprétation. Pourtant, de nombreux anthroponymes précisément pyliens, du XIIIe siècle avant notre ère, ont une nette connotation infernale, et cela recoupe les analyses mythologiques anciennes. On peut penser que les Grecs ont conçu, dès l'époque mycénienne, la Messénie où ils s'installaient comme une terre liée au monde des morts. Quelques parallèles indo-européens soutiennent cette hypothèse. BERNARD SERGENT PYLOS ET LES ENFERS De V élude des mythes et des personnages attachés à la ville de Pylos, en Messénie, nombre d'auteurs, au XIXe siècle, ont conclu qu'il s'agissait d'une ville mythique, hypostase du monde infernal. L'identif ication, assurée par les tablettes en Linéaire B, du site palatial d'Ano Englianôs avec la Pylos homérique, a rendu caduque cette interprétat ion. Pourtant, de nombreux anthroponymes précisément pyliens, du XIIIe siècle avant notre ère, ont une nette connotation infernale, et cela recoupe les analyses mythologiques anciennes. On peut penser que les Grecs ont conçu, dès l'époque mycénienne, la Messénie où ils s'installaient comme une terre liée au monde des morts. Quelques parallèles indo-européens soutiennent cette hypothèse. Pylos and the Underworld From the study of myths and characters connected with the city of Pylos in Messenia, many authors in the 19th century have come to the conclusion that it concerned a mythical city, hypostasis of the infernal world. The identification ascertained by Linear В tablets of the palace site of Ano Englianos as the Pylos of Homer has rendered obsolete that interpretation. However, many studies of family names specifi cally from Pylos in the 13th century B.C. have a real connotation of Hell, and this coincides with the old mythological studies. It may be considered that the Greeks had as early as the Mycenaean period conceived their land Messenia as a land connected with the world of the dead. A few Indo-European parallels support this hypothesis. Revue de l'Histoire des Religions, ссш-1/1986, р. 5 à 39 6 Bernard Sergent A partir de 1857, date de la publication de la Mythologie der griechischen Slámme, t. I, d'H. D. Muller, l'étude du cycle pylien fut dominée, dans la philologie allemande, puis, au xxe siècle, européenne, par la doctrine selon laquelle Pylos était une métaphore des Enfers et Nélée, son fondateur, une hypostase du dieu Hadès. Solidement argumentée, elle s'im pose par exemple aux auteurs qui étudiaient la migration ionienne, Wilamowitz-Moellendorf et Momigliano dans les années 30, Sakellariou encore dans les années 501. Vinrent les fouilles ďÁno Englianós. Elles anéantirent la doctrine en question : hormis le dernier cité, aucun auteur ne la maintient de nos jours. Non seulement Pylos devenait, en effet, une ville réelle; mais bientôt L. R. Palmer lisait sur une tablette du Palais, dans l'anthroponyme (au datif) Ne-e-ra-wo, *Nehelâw5i, la forme pleine dont le nom légen daire grec Nëleùs était un hypocoristique suffixe en -eus2. Réintégrant l'histoire, Pylos et les Pyliens quittaient la théologie. Lorsqu'en 1977 encore Michel Sakellariou définit Nélée comme une divinité chthonienne3, ce n'est qu'une conséquence de son refus, regrettable et anachronique, d'admettre la validité du déchiffrement du Linéaire В par Ventris. Les choses ne me paraissent pourtant pas aussi simples, et la restitution de Pylos à l'histoire n'empêche pas que celle-ci ait été de fait utilisée et manipulée par la tradition littéraire : elle a donc pu faire l'objet d'un investissement symbolique tel que l'interprétation philologique antérieure au déchiffr ement n'est peut-être pas dénuée de fondements. Il convient de reprendre l'étude des arguments sur lesquels elle se bâtis sait, en tenant compte des découvertes mycénologiques. 1. U. von Wilamowitz-Moellendorf, Ueber die ionische Wanderungr, SPAW; 1906, p. 67-68 = Kleine Schriften, V, 1, Berlin, 1937, p. 161-162 ; A. Momigliano, Questioni di storia arcaica, SIFC, 10, 1932, p. 272-294 ; M. Sakellariou, La migration grecque en Ionie, Athènes, 1958, p. 49-54. 2. L. R. Palmer, dans Eranos, 54, 1956, p. 8, n. 4 (sur PY Fn 79.5). 3. M. Sakellariou, Peuples préhelléniques ďorigine indo-européenne, Athènes, 1977, p. 116. Pylos et les Enfers 7 1. Ces arguments tiennent en un certain nombre de rap prochements, dont il faut vérifier la validité. • Nêleùs et nêlees : antique et repris par de nombreux auteurs4, le rapprochement entre le nom propre et l'adjectif, qui signifie « intraitable, sans pitié », et s'applique à Hadès5, est caduc : c'est au plus une etymologie populaire6. Palmer a reconnu dans le radical de Nehelâwos la racine du verbe néomai, i.e. *nes-, qu'on retrouve dans le nom du fils de Nélée, Néslôr7. Que le père et le fils portent des noms comprenant un élément commun est conforme à une tradition indo européenne. Cela ne garantit pas l'historicité des personnages, mais à la fois l'antiquité de la tradition et la valeur de l'étymo- logie de Palmer. Il s'ensuit que Nélée n'est pas, originellement, une hypo- stase d'Hadès ; plus généralement, puisqu'il n'est pas nêlees, il est douteux qu'il ait jamais été conçu comme une forme humanisée du dieu des Enfers. • Hèraklès contre Pylos : en deux occasions, Г Iliade évoque l'expédition du fils d'Alcmène contre la capitale légen daire de la Messénie. Au chant XI, Nestor raconte comment dans sa jeunesse, au temps du règne de son père Nélée, Hèrak lès fit une guerre sans merci à Pylos, tuant onze des fils du roi, et seul survécut le récitant8. Mais, au chant V, Dionè expose à Aphrodite comment il est arrivé à d'autres dieux qu'elle-même d'être blessés par des mortels. Ainsi 4. H. D. Muller, Mythologie der griechischen Staemme, I, Gôttin?en, 1857, p. 151; Wilamowitz-Moellendorf, Der Glaube der Hellenen, I, Berlin, 1931, p. 338 ; cf. Sakellariou, Migration, p. 50. 5. Hés., Théog., 456, et cf. 770 sur Cerbère. 6. Palmer, I.e., p. 9 ; J.-L. Perpillou, Les substantifs grecs en -euç, Paris, 1973, p. 186 ; P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, III, Paris, 1968, p. 751. 7. Palmer, I.e., et The Interpretation of the Mycenaean Greek Texts, Oxford, 1963, p. 80 ; de même II. Muhlestein, Redende Personennamen bei Homer, SMEA, 1969, p. 76, et Museum Helveticum, 1965, p. 155-156; M. Durante, SMEA, 1967, 33-47 ; L. J. Ruijgh, Etudes sur le grec mycénien, Amsterdam, 1967, § 335, p. 369-370 ; J. Chadwick et L. Baumbach, The Mycenaean Greek Vocabulary, Glotta, 41, 1963, p. 216, etc. 8. IL, XI, 690-692. 8 Bernard Sergent « Le dieu monstrueux, Hadès, comme d'autres a subi [une telle offense], sous la forme d'un trait rapide, quand... [Hèraklès], le fils de Zeus qui tient l'égide, à Pylos, au milieu des morts, le vint frapper et livrer aux souffrances... La flèche avait pénétré dans son épaule robuste, et elle inquiétait son cœur. Paièôn sur lui répandit des poudres calmantes, et il put le guérir, parce qu'il n'était pas né mortel »9. Puisque contrairement à ce qui fut longtemps pensé, Nélée n'est pas Hadès, les deux textes ne sont pas deux versions d'un même mythe, mais plutôt deux fragments consécutifs d'un même récit : après les meurtres uploads/Geographie/ sergent-pylos-et-les-enfers.pdf
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- Publié le Apv 14, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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