Quand les francs-mac ¸ons signent des traite ´s diplomatiques: circulations et

Quand les francs-mac ¸ons signent des traite ´s diplomatiques: circulations et e ´changes mac ¸onniques entre France et Angleterre (1765-1775) PIERRE-YVES BEAUREPAIRE L’histoire des relations mac ¸onniques franco-britanniques au dix- huitie `me sie `cle s’e ´crit sur le mode de la rivalite ´ europe ´enne et coloniale entre puissances mac ¸onniques – il y a donc une contamination de la sphe `re fraternelle par la ge ´opolitique profane. La perme ´abilite ´ de la sphe `re mac ¸onnique aux tensions franco-anglaises est une re ´alite ´, notamment dans le contexte de la guerre d’Inde ´pendance ame ´ricaine qui voit les francs-mac ¸ons parisiens accueillir en triomphe Benjamin Franklin et lever des fonds pour l’armement d’un navire de ligne, Le Franc-mac ¸ on, qui aurait e ´te ´ offert a ` la marine royale pour remplacer les unite ´s perdues par l’amiral de Grasse a ` la bataille des Saintes. Re ´ve ´latrice est l’opposition entre les deux gloires nationales, Descartes et Newton. Si Newton est l’une des figures tute ´laires de la Grande Loge de Londres ne ´e en 1717, notamment parce que les pe `res fondateurs sont tre `s lie ´s a ` la Royal Society, les francs-mac ¸ons de la loge La Re ´union des Etrangers choisissent d’exalter Descartes et de l’opposer a ` Newton, dans le cadre du ‘nouveau patriotisme franc ¸ais’ e ´tudie ´ par Edmond Dziembowski.1 Le Discours sur l’origine, les progre `s, et les re ´volutions de la franc-mac ¸ onnerie philosophique2 de Edme Be ´guillet, avocat au Parlement de Paris, membre de l’Acade ´mie royale des sciences, auteur prolixe, collaborateur de l’Encyclope ´die, et ‘secre ´taire ge ´ne ´ral’ de La Re ´union des Etrangers est sans ambiguı ¨te ´: ‘L’e ´loge m[ac ¸onnique] de Descartes sera suivi d’une exposition de sa philosophie trop peu connue, & qui est tombe ´e presque totalement depuis que l’Anglomanie nous a engoue ´s d’un syste `me e ´tranger.’ Cependant, l’histoire des relations mac ¸onniques franco- anglaises au dix-huitie `me sie `cle ne se limite pas a ` l’e ´vocation des rivalite ´s entre Grandes Loges, ou a ` la sensibilite ´ des francs-mac ¸ons a ` l’exaspe ´r- 71 1. Dziembowski, Un Nouveau patriotisme franc ¸ ais. 2. Edme Be ´guillet, Discours sur l’origine, les progre `s, et les re ´volutions de la franc-mac ¸ onnerie philosophique, contenant un plan d’association et un projet mac ¸ onnique de bienfaisance, pour l’e ´rection d’un double monument en l’honneur de Descartes, par le fre `re Be ´guillet, avocat au Parlement, secre ´taire ge ´ne ´ral de la Loge de la Re ´union des Etrangers (A Philadelphie,1784). SVEC 2010:04 – 1_5_BEAUREPAIRE 3/1/2010 Page 71 ation du sentiment national apre `s la guerre de Sept Ans. Visites fraternelles, circulations des rituels et des cate ´chismes mac ¸onniques, traductions de textes, correspondances entre obe ´diences, loges et individus ont dessine ´ tout un espace d’e ´changes et de circulations mac ¸onniques entre France et Royaume-Uni – y compris dans le domaine colonial – qui me ´rite d’e ˆtre e ´tudie ´ pour lui-me ˆme et en relation avec l’ensemble des transferts culturels franco-britanniques. Depuis les anne ´es 1730 et notamment le Discours du chevalier Andrew Ramsay, Grand Orateur de la Grande Loge de France, jacobite notoire, les francs-mac ¸ons franc ¸ais ont cultive ´ les liens a ` la fois historiques – si l’on songe au nombre important d’aristocrates jacobites francs-mac ¸ons re ´fugie ´s en France – et le ´gendaires avec l’Ecosse – re ´pute ´e ultime refuge des templiers, dont les Stuart seraient eux-me ˆmes les he ´ritiers et par la ` me ˆme les Supe ´rieurs inconnus de l’ordre mac ¸onnique – comme me `re de ‘leur’ franc-mac ¸onnerie, chevaleresque et chre ´tienne. A Marseille, notamment, la prestigieuse loge Saint-Jean d’Ecosse, atelier du grand ne ´goce franc ¸ais et e ´tranger, pre ´tend tenir ses constitutions de la Grande Loge d’Edimbourg. Mais au-dela ` du re ´cit de fondation mythique, les liens avec la franc- mac ¸onnerie anglaise sont les plus nombreux et les plus vivants tout au long du dix-huitie `me sie `cle. Les visites de francs-mac ¸ons anglais dans les ateliers franc ¸ais sont une re ´alite ´ tout au long du sie `cle. Elles concernent aussi bien un espace habitue ´ aux circulations franco-anglaises, le Boulonnais, que l’Auvergne, lorsque le fils d’un lord anglais de ´cide de s’y installer. A Boulogne-sur-Mer, Gabriel Abot de Bazinghen pratique la mac ¸onnerie d’adoption (qui re ´unit hommes et femmes), qu’on pense a ` tort absente d’Angleterre, avec les dames Coolebrooke me `re et fille.3 Ils font e ´galement vivre un the ´a ˆtre de socie ´te ´. A Clermont, Edouard Onslow appartient a ` la principale loge de l’orient, Saint-Maurice, ou ` il fre ´quente le futur monarchien Stanislas comte de Clermont-Tonnerre en garnison dans la ville et le futur conventionnel Georges Couthon. Ces liens se manifestent aussi par l’obtention de constitutions anglaises par des loges franc ¸aises, mais surtout par l’existence d’une loge bifrons qui mate ´rialise la ne ´cessite ´ de mettre sur pied des interfaces entre mac ¸onneries anglaise et franc ¸aise, par-dela ` les rivalite ´s, profanes et mac ¸onniques. Signifi- cativement, cette loge, ‘connue au grand orient de France sous le titre de l’Heureuse Rencontre, et a ` celui d’angleterre sous le no184’, est e ´rige ´e a ` Brest qui, port de guerre, est au centre de la rivalite ´ franco-anglaise. 72 Pierre-Yves Beaurepaire 3. Boulonnais, noble et Re ´volutionnaire, le journal de Gabriel Abot de Bazinghen (1779-1798), e ´d. Alain Lottin, Louisette Caux-Germe et Michel de Sainte-Mare ´ville (Arras, 1995). SVEC 2010:04 – 1_5_BEAUREPAIRE 3/1/2010 Page 72 Le traite ´ mac ¸onnique anglo-franc ¸ais de 1765 Les tensions comme le maintien d’un ne ´cessaire espace de dialogue et d’e ´changes entre les obe ´diences mac ¸onniques des deux pays ont conduit Paris et Londres a ` e ´laborer – difficilement – un traite ´ de bon voisinage et de pre ´vention des risques – plus que d’entente cordiale – au lendemain de la guerre de Sept Ans (1756-1763). De fait, les anne ´es 1764-1768 ont e ´te ´ de ´terminantes pour les relations entre la Grande Loge de France et la principale puissance mac ¸onnique du temps, la Grande Loge d’Angleterre (dite des Modernes). Marque ´es par une intense activite ´ e ´pistolaire et diplomatique, elles se soldent, en 1765, par la conclusion d’un traite ´ visant a ` de ´velopper les e ´changes d’information, a ` faciliter l’accueil des fre `res voyageurs et, surtout, a ` de ´limiter les ressorts, ou ` chaque obe ´dience peut exercer, de manie `re exclusive, sa souverainete ´, par l’acceptation mutuelle d’un principe de non-inge ´rence. Le traite ´ que les francs-mac ¸ons anglais et franc ¸ais signent en 1765 peut e ˆtre de ´fini comme une sorte de gentleman’s agreement. Une lettre adresse ´e au Grand Orient de France le 20 mai 1774 par le Deputy Grand Master4 Rowland Holt et le Grand Secretary Heseltine nous apprend que les relations entre les deux obe ´diences ont e ´te ´ soigneusement codifie ´es par a Treaty entered into between our Grand Lodge, and that of France, about the year 1765 whilst the late Count de Clermont was Grand Master. The substance of which Treaty was That as there were several lodges in France under the authority of our Grand Loge – we, on our part, should not constitute any New lodges in France after the date of such Treaty – and in consideration there of the Grand Lodge of France should not constitute any lodges out of the French Dominions to interfere with our authority.5 Les Anglais affirment avoir respecte ´ les clauses du traite ´ jusqu’a ` la mort du Grand Maı ˆtre franc ¸ais, le comte de Clermont. C’est le sens de la lettre qu’adresse John Salter, Deputy Grand Master, le 15 mars 1768, au fre `re Brest de La Chausse ´e, important officier de la Grande Loge de France: I have received some letters from different parts in France, particularly one from Bordeaux6 praying a Deputation to appoint a Provincial Grand Master, 73 Circulations et e ´changes mac ¸ onniques entre France et Angleterre 4. C’est-a `-dire substitut du Grand Maı ˆtre, dans la terminologie mac ¸onnique franc ¸aise de l’e ´poque. 5. Dans une lettre sans date au Grand Secretary James Heseltine, Vignoles, Grand Maı ˆtre Provincial pour les pays e ´trangers, e ´crit: ‘Comme il a entendu que M. Heseltine entendoit faire quelques changemens dans la liste des Loges, il croit devoir lui proposer d’ajouter aux G[rands] M[aı ˆtres] P[rovinciaux] ceux de France et de Hollande en conse ´quence des traite ´s faits avec eux, ainsi: France, SAS le Prince de Clermont; Hollande, Charles Baron de Boetzelaer’. Londres, Grand Lodge Library, Freemasons’ Hall, Archives de la Grande Loge Unie d’Angleterre, 25/A/13. 6. L’Anglaise de Bordeaux, fonde ´e le 27 avril 1732, a e ´te ´ constitue ´e par la uploads/Geographie/ svec-beaurepaire-libre-pdf.pdf

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