Topoi. Orient-Occident. Supplément Antioche et le Kappa Pierre-Louis Malosse Ci

Topoi. Orient-Occident. Supplément Antioche et le Kappa Pierre-Louis Malosse Citer ce document / Cite this document : Malosse Pierre-Louis. Antioche et le Kappa. In: Topoi. Orient-Occident. Supplément 5, 2004. Antioche de Syrie. Histoires, images et traces de la ville antique; https://www.persee.fr/doc/topoi_1764-0733_2004_act_5_1_2890 Fichier pdf généré le 08/01/2019 ANTIOCHE ET LE KAPPA α βέβαια προτιμούσανε τό Κόππα εκατό φορές C. Cavafis, Ό ΙΟΥΛΙΛΝΟΣ ΚΑΙ ΟΙ ΆΝΤΙΟΧΕΙΣ, 1926 1 Pendant l’hiver 363, Julien adresse aux habitants d'Antioche2 le discours que l’on appelle habituellement Misopogon. Évoquant les moqueries et les lazzi dont il est la victime, il cite les propos qu’il a entendu tenir en sa présence : « Le Chi, disent-ils, n’a fait aucun tort à la cité, et le Kappa non plus. Ce que veut dire cette énigme due à votre ingéniosité, il est difficile de le comprendre, mais nous avons trouvé dans votre cité des exégètes qui nous ont expliqué que ces lettres étaient des initiales, l’une voulant désigner le Christ, l’autre Constance » 3. 1 . « Ah, bien sûr qu'ils préférèrent le Kappa, et cent fois ! » 2. Plus exactement à la Boulé de la cité. Voir l’introduction à ce discours (VII) dans l’édition de Lacombrade (CUF ), p. 142. 3. Or. VII, 28 (= 357A). L’emploi des initiales montre que l’on craignait de parler trop ouvertement. Mais leur transparence - Julien est ironique et méprisant en parlant d’énigme et de la nécessité d’exégètes : voilà tout ce à quoi s’élève l’ingéniosité (le mot grec est plus fort : σοφία) de ses adversaires ! - révèle que la crainte n’était pas très forte. Il est de nouveau question du « Kappa » plus loin dans le même discours (32, 360 D) : « ... vous commencez, vous autres (les habitants d’Antioche), à regretter le Kappa ». Cette formulation (« vous commencez... ») conduit J. Bouffar¬ tigue (voir Bouffartigue 2003), à supposer que la mort de Constance n’avait guère été pleurée au premier abord. Cependant, ce ne sont plus ici les paroles mêmes des protestataires d’Antioche qui sont rapportées, mais le point de vue personnel de Julien, qui était arrivé dans cette ville, persuadé d’y être accueilli avec joie. Par ailleurs, ce ne serait pas la seule occasion où un peuple ait jugé beaucoup plus favorablement un gouvernant après sa mort que de son vivant, le recul et la Topoi, Suppl. 5 (2004) p. 77-96 78 P.-L. MALOSSE On sait, par divers témoignages et diverses déductions qu’ Antioche était majoritairement chrétienne dès le milieu du IVe siècle. Comme Julien lui- même 4, on ne s’étonne donc pas que la foule regrette « le Chi ». Moins attendue l’association à ce « Chi » du « Kappa », parce qu’en bons lecteurs d’Ammien Marcellin et de Libanios 5, nous ne voyons pas comment Constance pouvait avoir laissé un si bon souvenir, comment on pouvait préférer ce jaloux, ce cruel, lui et son appareil d’espions et de percepteurs, à un Julien si plein d’humanité 6. La surprise, qui est à l’origine de cette communication, semblera moins justifiée si l’on remarque la durée des séjours de Constance à Antioche, les faveurs qu’il a réservées à cette cité et les traces que l’on peut déceler de sa popularité auprès des habitants. Constance l’Antiochien Après un séjour en Gaule, dont la durée est difficile à déterminer, Constance fut envoyé en Orient par son père en 333 ou 334 7 et s’installa à Antioche. Il avait quinze ou seize ans 8 et, en tant que César depuis l’âge de sept ans, il était déjà entouré de toute la suite propre à un empereur : des troupes, une domesticité, « des yeux et des oreilles » 9, c’est-à-dire sans doute, plutôt que les services de renseignement que cette expression désigne chez Hérodote, un appareil de hauts fonctionnaires chargés de faire le lien entre le souverain et ses subordonnés 10. On devine que la jeunesse de ce vice-roi accroissait l’influence comparaison avec ses successeurs lui donnant des couleurs qui étaient inaperçues sur le moment même. 4. Un peu plus loin dans le même passage (357 D) il explique que le peuple, « dans sa majorité, voire tout entier, a choisi l’athéisme » et attribue à des causes religieuses la haine qu’on lui manifeste. Mais il s’étonne lui aussi de voir citer Constance. Sur le degré de christianisation d’Antioche au IVe siècle, voir Petit 1955, p. 200 sq. 5. Oud’Athanase! 6. A titre d’exemple de cette position moderne si proche de celle de Julien, on peut lire les p. 147-148 de Piganiol 1947. Assurément, le poète alexandrin cité en épigraphe de cette communication voyait plus juste. 7. Sur la question des dates de ces deux missions, voir l’exposé complet donné par TANTiLLO 1987, n. 90. 8. Constance est né le 7 août 317. Voir PLRE, p. 226, s.v. « Fl. lui. Constantius 8 ». 9. Libanios, Or. LIX, 40 : Constantin « crée pour [Constance et son frère] des armées, une suite, et même des “oreilles” et des “yeux”, respectant en tout point la confor¬ mité avec le modèle ». Le « modèle » imité pour les Césars est l’appareil qui entoure Constantin lui-même, l’Auguste. 10. Le premier d’entre eux était le préfet Ablabius (voir Piganiol 1947, p. 81), favori de Constantin et peut-être même membre indirect de la famille impériale (voir ANTIOCHE ET LE KAPPA 79 et le pouvoir de son entourage. La présence de ce corps de dignitaires riches et puissants autour du fils préféré de Constantin11 ajoutait assurément, pour Antioche, quelque profit matériel au lustre donné par le rang de capitale. On n’a guère de renseignements sur l’activité du jeune César : sans doute est-ce parce qu’il n’a rien fait d’extraordinaire. On ne peut plus croire, comme Seeck, que Constance, rappelé à Constantinople pour son mariage en 335, ne revint en Orient que dans le courant de 336, parce qu’il avait été entre-temps envoyé sur la frontière danubienne : l’inscription qui lui attribue une victoire sur les Sarmates se réfère certainement à une campagne commune des trois frères en 337, après la mort de Constantin 12. Son absence fut donc sans doute très brève. La seule œuvre qu’on puisse lui attribuer sans contestation au cours de ces trois ou quatre années est la fortification des places d’Amida et d’ An tonino upolis sur la frontière perse 13. Son âge, de toute façon, ne pouvait l’engager dans des opé¬ rations de grande envergure, et il n’avait pas été placé là dans ce but. Libanios, malgré le caractère vague de ses indications, décrit finalement assez bien le rôle auquel il s’appliqua 14 : se charger des tâches administratives et judiciaires - en rhétorique encomiastique, cela se dit « tenir lieu de père aux nations » -, et surtout installer dans la turbulente métropole de l’Orient une image concrète de l’empereur lointain, « révélant partout davantage la majesté de celui qui [Γ] avait délégué ». Le même sophiste insiste d’ailleurs beaucoup sur l’absence d’auto- Chausson 2001). Auprès d’un tel personnage, le jeune Constance ne devait guère compter. 11. C’est du moins ce que tâche de démontrer Julien, Or. III, 33 (= 94 a-b). Voir le commentaire de Tantillo 1997, p. 225, n. 113. Julien prétend que Constantin marqua sa faveur en particulier en attribuant à Constance la part de l’empire qu’il s’était jusque là réservée. Il est exact qu’il n’avait d’abord envoyé ses fils (Crispus, Constantin II et Constance lui-même) qu’en Occident ou sur le Danube, et qu’il dirigeait directement l’Orient depuis la fondation de Constantinople. Cependant la présence d’un César en Orient était sans doute devenue nécessaire : voir plus loin. 12. Seeck, s.v. «Constantius II », c. 1045. Voir la démonstration de Barnes 1983. Ajoutons que si Libanios avait pu trouver un exploit à faire reluire dans son éloge (Or. LIX) pour la période du césarat, période où il peine à trouver du brillant, il en eût certainement profité ; or il est strictement muet sur cette victoire. Voir aussi l’appréciation de Barnes 1981, n.144, p. 397, sur la valeur (respectable) du témoi¬ gnage de Libanios. 13. Ammien, XVIII, 9, 1 ; Vie de Jacques le Reclus, en syriaque, trad, anglaise dans Lieu et Dodgeon 1991, p. 154. Voir aussi M.-P. Lindet dans son édition de Festus C CUF ), p. 34, n. 190. 14. Or. LIX, 46. Libanios prétend parler de Constant et de Constance à la fois, mais il est clair que le compte-rendu qu’il donne correspond uniquement à Constance. Son frère, plus jeune de trois ans, n’obtint une résidence personnelle que plus tard (Seeck, s.v. « Constans », c. 948, d’après Eusèbe), en Italie, où il n’eut sans doute rien d’autre à faire que d’y vivre, sa tâche consistant surtout à incarner l’image de son père. 80 P.-L. MALOSSE nomie du César, qui devait toujours consulter son Auguste avant de faire le moindre geste. On peut donc conjecturer aisément les raisons qui ont amené Constantin à établir l’un de ses fils en Orient : les Perses manifestant un regain d’activité, il ne fallait uploads/Geographie/ topoi-1764-0733-2004-act-5-1-2890-1.pdf

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