Draft 31/10/2017. Traduction française à paraître dans un recueil de textes de

Draft 31/10/2017. Traduction française à paraître dans un recueil de textes de K. Twardowski sous la direction de D. Fisette, en préparation. Prière de ne citer que la version publiée. Idée et perception Une recherche épistémologique à partir de Descartes* Kasimir Twardowski Remarque préliminaire La vérité de la proposition corgito ergo sum – le principe de la théorie cartésienne de la connaissance – repose sur ceci que, dans cette proposition, on n’affirme rien d’autre que quelque chose qui est perçu clairement et distinctement. C’est justement là, d’après Descartes, ce qui fait de toutes les connaissances – et pas seulement de celle-là – des connaissances, c’est-à-dire des jugements que nous effectuons en ayant la conviction qu’ils sont vrais, car en eux, seul ce qui est perçu clairement et distinctement est tenu pour vrai. Si on se limitait à ces jugements dont l’objet est perçu clairement et distinctement, on se tiendrait à l’abri de toute erreur. En tant que critère de la vérité, la clara et distincta perceptio a une fonction fondatrice pour la théorie cartésienne de la connaissance. Tous ceux, sans exception, qui ont récemment travaillé sur la philosophie cartésienne l’ont reconnu1. Les tentatives certes rares de clarifier l’essence de la clara et distincta perceptio divergent les unes des autres sur des points de détail, mais l’accord complet règne en ce qui concerne l’importance du rôle qu’elle joue dans la philosophie de Descartes. Il est d’autant plus frappant qu’on n’ait pas prêté attention à l’usage de l’expression clara et distincta idea, qui figure chez Descartes à côté de l’expression clara et distincta perceptio, lorsqu’on n’a pas tout simplement identifié les deux expressions. Le premier cas se présente chez Koch2 et chez Natorp3 ; le dernier, chez Bolzano4 et chez Peter * « Idee und Perzeption. Eine erkenntnis-theoretische Untersuchung aus Descartes », Wien, Verlag von Carl Konegen, 1892, pp. 5-46. La pagination indiquée en marge de la présente traduction est celle de la réédition du texte allemand original dans K. Twardowski, Gesammelte deutsche Werke, Springer, 2017, pp. 17-37 (NdT). 1 Descartes mentionne occasionnellement d’autres critères de vérité. Cf. R. Descartes, Principia philosophiae [désormais cité Princ. phil.] 1644, II, 20 et III, 43, où la correspondance de l’expérience avec la déduction est introduite comme critère (les passages sont cités d’après l’édition de F. Knoch : R. Descartes, Opera philosophia omnia, t. I-III, Francofurti ad Moenum, Fridericus Knochius, 1697, dans laquelle chaque texte conserve une pagination indépendante). Voir aussi Princ. phil. IV, 205-206. 2 A. Koch, Die Psychologie Descartes’, München, Kaiser, 1881. 2 Knoodt5. Et pourtant, [18] Antoine Arnauld6 fait déjà une différence entre perceptio et idea, en définissant la perception comme un acte de représentation et l’idea, en revanche, comme un contenu de représentation. L’ambition du présent travail est d’établir le rapport existant entre la perception [Perzeption] claire et distincte et l’idée claire et distincte, et de compléter ainsi les recherches existantes. Un défaut apparent de ce travail appelle une justification. On a effectivement complètement évité de se pencher sur le point de vue théologique de Descartes. Une manière d’expliquer ce choix consiste à remarquer que Descartes lui-même, en érigant son critère, élimine la déité – si l’on peut dire. Sa regula generalis vaut aussi sous la présupposition que la déité trompe les hommes, ou qu’elle n’existe tout simplement pas. Il est facile de le voir à partir de la manière dont Descartes parvient à établir la regula. Son raisonnement est le suivant : lorsque je me représente que je n’ai aucun corps et aucun sens, et que j’admets que les représentations de corps, d’étendue, de mouvement et d’autres choses semblables sont d’une certaine façon formées par moi-même, et ne réclament aucune chose en dehors de moi qui produirait ces représentations en moi, alors MOI qui fais les suppositions et ai les représentations susmentionnées, je ne suis pas annihilé. Mais peut-être n’est-ce qu’une illusion de ma part lorsque, niant l’existence des choses que j’ai mentionnées, je me suppose moi-même comme existant ? C’est possible, il se peut que je me trompe moi-même, il se peut que cette illusion soit l’œuvre d’un être tout puissant ; mais même lorsque je suis trompé, il n’en est pas moins vrai que MOI, j’existe, si je suis trompé. Ce JE est mon cogitare (compris au sens le plus large, comme désignant l’ensemble des phénomènes psychiques). Or, sur quoi repose cette conviction inébranlable ? Sur le fait que je perçois clairement et distinctement ce que j’affirme, et que ce que je perçois ainsi clairement et distinctement est nécessairement vrai. C’est pourquoi je peux établir comme règle générale que tout ce que je perçois clairement et distinctement est vrai. Une objection, à laquelle Descartes lui-même semble prêter le flanc, vient assez rapidement à l’esprit et a aussi été soulevée par ses contemporains. Descartes dit effectivement à plusieurs reprises que, si sa regula n’offrait pas vraiment une certitude maximale, alors il faudrait admettre que Dieu est un être trompeur. Mais que Dieu ne soit pas un être trompeur, qu’il se caractérise au contraire par une parfaite véracité, c’est ce qu’affirme Descartes justement encore une fois sur la base de sa regula. Descartes écarte le reproche selon lequel cette démonstration est circulaire en distinguant l’évidence médiate de l’évidence immédiate7. Descartes ne fait ainsi valoir la véracité de Dieu que 3 P. Natorp, Descartes’ Erkenntnistheorie, Eine Studie zur Vorgeschichte des Kritizismus, Marburg, Elwert, 1882. 4 B. Bolzano, Wissenschaftslehre, Bd. I-IV, Sulzbach, Seidel, 1837. 5 P. Knoodt, De Cartesii sententia cogito ergo sum, Vratislaviae, Grassii, Barthii & Socii, 1845. 6 A. Arnauld, Œuvres, t. XXXVIII : Des vraies et des fausses idées, Paris-Lausanne, Sigismond d’Arnay & Compagnie, 1780, p. 198, déf. III. 7 Deinde, quod circulum non comiserim, cum dixi non aliter nobis constare, quae clare et distincte percipiuntur, vera esse, quam quia Deus est, et nobis non constare Deum esse, nisi quia id clare et distincte percipitur, iam satis in responsione ad II. objectiones numm. 3° et 4° explicui, distinguendo scilicet id, quod re ipsa clare percipimus, ab eo, quod recordamur nos antea clare percepisse. Primum enim nobis constat, Deum existere, quoniam ad rationes, quae id probant, attendimus ; postea vero sufficit, ut recordemur nos aliquam rem clare percepisse, ut ipsam veram 3 pour l’évidence du [19] souvenir – ce qui fait apparaître superflue une considération de cette question du point de vue de la présente recherche. 1. Les différentes versions du critère Les versions que Descartes donne de sa regula generalis divergent dans leur formulation. Les formulations les plus importantes employées par Descartes sont les suivantes : a) Illud omne est verum, quod valde clare et distincte percipio (Med. III). b) Omne id, quod valde dilucide et distincte percipio, verum est (Diss., 18)8. c) Probatur, ea omnia, quae clare et distincte percipimus, vera esse (Med., synopsis, IV med.). d) Scio, me in illis, quae perspicue intelligo, falli non posse (Med. V). e) Quamdiu aliquid valde clare et distincte percipio, non possum non credere verum esse (ibid.). f) Illia omnia, quae clare et distincte percipio, necessario sunt vera (ibid.). g) Nihil potest clare et distincte percipi, quod non sit tale, quale percipiatur, hoc est, quod non sit verum (Resp., resp. ad. VII obj.). On peut aisément reconnaître que ces versions de la regula generalis – et d’autres formulations du même genre – sont différentes manières d’exprimer une seule et même idée. Car rien ne s’oppose à ce qu’on considère dilucide comme un synonyme de clare, ni à ce qu’on admette l’équivalence entre perspicuitas et claritas, une équivalence qui est d’ailleurs justifiée par Descartes lui-même (Resp., p. 69 – resp. ad. II obj.). Le fait de laisser tomber la détermination exprimée par distincte dans la version d) ne doit pas induire en erreur, puisque Descartes déclare explicitement que la clarté seule ne suffit pas pour la validité de la regula, mais qu’elle doit toujours être combinée à la distinction9. Descartes a beau parler tantôt de valde clare, tantôt simplement de clare percipere, on ne pourra pas en tirer de conjectures concernant le degré de clarté et la certitude plus grande ou plus faible qui en résulte, puisque Descartes exige la clarté parfaite pour toutes les perceptions qui sont censées offrir une connaissance sûre10. La plupart des difficultés sont soulevées par l’emploi des expressions concipere et intelligere à côté de percipere. La terminologie latine du Moyen Âge, dont Descartes s’inspire presque d’un bout à l’autre, distingue précisément entre intelligere, concipere et percipere. Il n’en reste pas moins qu’il nous faut faire abstraction de cette différence et que, au cours de la recherche, nous considérerons exclusivement l’expression percipere, premièrement, parce que le sens des esse simus certi, quod non sufficeret, nisi Deum esse et non fallere sciremus (R. Descartes, Responsiones [désormais cité Resp.], 1648, IV, rééd. dans Id., Opera philosophica omnia, op. cit., pagination indépendante). 8 R. Descartes, Dissertationes de methodo [désormais cité Diss.], 1637, p. 18, rééd. dans Id., Opera philosophica omnia, op. cit., pagination indépendante. 9 Etenim ad perceptionem, cui certum et indubitatum iudicium possit inniti, non modo requiritur, ut sit clara, sed uploads/Geographie/ transl-twardowski-idee-et-perception.pdf

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