Une classe ouvrière en Egypte pharaonique : les merit Schafik ALLAM (Université
Une classe ouvrière en Egypte pharaonique : les merit Schafik ALLAM (Université de Tübingen) Une composante majeure de la population ouvrière dans la société pharaonique est désignée dans les textes par le terme générique merit – notre sujet dans cet exposé1. Signalons d’emblée que notre documentation, quoique à première vue abondante, contient beaucoup de textes difficilement exploitables. Pourtant, en synthétisant leurs données, on obtiendra des précisions utiles pour l’intelligence de l’état de la couche sociale dite merit. A travers les textes, les merit apparaissent assez souvent dans le domaine privé d’un individu, homme ou femme, haut placé dans la société. Les textes dévoilent également que tant de temples et autres institutions disposaient, eux aussi, d’équipes appelées merit. Une telle équipe pouvait avoir été octroyée par le souverain à n’importe quelle institution ou communauté ; le souverain pouvait certainement faire de même pour récompenser un de ses fonctionnaires les plus dévoués. De plus, quelques témoignages donnent bien à comprendre que des équipes dites merit travaillaient également dans les domaines appartenant à la Couronne. Ces équipes-merit travaillant dans un domaine quelconque pouvaient être si nombreuses qu’une organisation spécifique était 1 Cet exposé, présenté à la 58ème session de la SIHDA le 21 septembre 2004, n’est qu’une version abrégée d’une étude intitulée « Une Classe ouvrière : les merit ». Pour le texte intégral avec l’appareil bibliographique au complet, voir les actes du colloque international, qui eut lieu à Banyuls-sur-mer les 10-13 octobre 2001, ayant pour thème général « La Dépendance rurale dans l’Antiquité égyptienne et proche- orientale » (textes réunis par B.Menu (Institut Français d’Archéologie Orientale – Le Caire 2004). 22 SCHAFIK ALLAM nécessaire pour régler et contrôler leur travail. En effet, les textes signalent l’existence de fonctionnaires à différentes échelles, qui assumaient l’administration de groupes dits merit. Il s’agit, d’une part, de comptables qui tiennent des livres ; un groupe parmi eux se caractérise par le titre de chacun comme « scribe de merit ». Ces comptables sont d’ailleurs hiérarchisés, puisque quelques-uns portent le titre « intendant des scribes de merit » ; d’autres sont qualifiés, chacun, comme « scribe-en-chef des équipes-merit ». En dehors de ces comptables nombreux et variés, ce sont d’autre part les dirigeants, qui dans la pratique exerçaient une certaine autorité, directement ou indirectement, sur les équipes-merit travaillant dans les chantiers les plus divers. Ces dirigeants avaient, entre autres attributs, le titre de « maître de merit ». Notons à ce propos un titre important attesté pour un haut fonctionnaire, un « directeur de toutes les missions du roi » ; ce dignitaire est en même temps désigné comme « directeur des missions (relatives aux) équipes-merit ». Nous connaissons en outre un titre non moins important : « directeur des ateliers de merit » ; il apparaît dans la titulature de maints hauts fonctionnaires qui assumaient, entre autres charges, de considérables responsabilités administratives. En dépouillant la documentation, il devient clair que l’une des occupations majeures de merit relevait généralement de l’agriculture. En effet, bon nombre de textes montrent bel et bien que le terme merit était fréquemment employé en combinaison avec le vocable pour dire « champs ». Cette association significative nous incite à conclure qu’il s’agit d’une expression pour paraphraser le fait que les équipes en question étaient a priori vouées à la culture. Nous allons à présent passer en revue quelques exemples concluants. Voilà un scribe travaillant dans les domaines royaux. Il assume la responsabilité de « directeur des archives royales » ; mais il porte en même temps le titre de « directeur des merit et des terres ». D’autre part, une scène dans un tombeau met en relief un troupeau d’ânes lors de travaux agricoles dans le domaine d’un seigneur ; ces bêtes sont guidées par quelques personnes dites merit2. Par ailleurs, les liens étroits de merit à la terre et l’agriculture transparaissent nettement à 2 E.BROVARSKI, The Senedjemib Complex, Part I – The Mastabas of Snedjemib Inti (G 2370), Khnumenti (G 2374) and Senedjemib Mehi (G 2378) – Giza Mastabas 7 (Boston 2001) p. 63 ; fig. 52b-53. LES MERIT, UNE CLASSE OUVRIERE EN EGYPTE… 23 Revue Internationale des droits de l’Antiquité LI (2004) travers un titre répandu parmi les gouverneurs locaux dans la région autour de la ville moderne Akhmim (dès la fin du 22e siècle). Ces gouverneurs portaient, entre autres titres, celui de « directeur des missions (relatives aux) terres et merit dans les deux départements ». A ce stade, il convient d’évoquer un décret royal datant du 25e siècle avant notre ère. Ce décret fut énoncé par le roi Néférirkarê qui adresse le grand prêtre dans la ville d’Abydos. En l’occurrence, Sa Majesté lui ordonne de ne plus déplacer les merit appartenant à un sanctuaire pour exécuter un travail, que ce soit, à l’extérieur. A l’occasion, le monarque menace quiconque passerait outre à sa volonté, proclamant : « En ce qui concerne tout homme qui enlèverait quelques merit (travaillant) dans un champ (appartenant) à la divinité, il sera frappé d’une pénalité (précise)3 ». C’est ainsi que le monarque interdit formellement tout acte de réquisitionner les équipes-merit appartenant aux temples de cette ville. Le travail agricole était donc au centre des activités de merit. Ce genre de travail, quoique d’importance primordiale dans la société antique, ne nécessitait pas une habilité artisanale particulière, à ce qu’il nous semble. A côté de travaux agricoles, les merit étaient engagés aussi dans d’autres types d’occupations. Dans le domaine privé d’un seigneur, quelques équipes en travaillaient évidemment dans la maisonnée de celui-ci – par exemple comme valets et serviteurs (hommes et femmes) ; tous étaient généralement chargés d’occupations domestiques pour la famille seigneuriale. A ce propos nous entrevoyons à travers une scène que la nourrice dans une maisonnée seigneuriale était une femme qualifiée comme merit4. Au reste, bien des textes laissent transparaître que l’approvisionnement en aliments était également une des besognes de merit. En témoigne une scène dans le tombeau d’un gouverneur de province ; y sont dépeintes plusieurs femmes-merit s’occupant du brassage de la bière5. Par ailleurs, notre documentation contient un texte significatif ; il a 3 K.SETHE, Urkunden des Alten Reiches (Leipzig 1933) p. 171,7-172,1; cf H.GOEDICKE, Königliche Dokumente aus dem Alten Reich – Ägyptologische Abhandlungen 14 (Wiesbaden 1967) p. 24. 4 H.O.LANGE/H.SCHÄFER, Grab- und Denksteine des Mittleren Reiches II – Catalogue Général des Antiquités du Musée du Caire (Berlin 1908) p. 110 (CGC 20516) ; A.MARIETTE, Abydos – Description des fouilles II (Paris 1880) pl. 22. 5 E.BROVARSKI, The Inscribed Material of the First Intermediate Period from Nag- ed-Dêr, 2 vol. (Dissertation Services Chicago 1989) p. 430-432 et fig. 40. 24 SCHAFIK ALLAM été retrouvé sur le territoire du temple qu’a fait ériger la reine Hatchépsout à Thèbes-ouest6. Ce texte, datant manifestement du règne de cette reine (15e siècle avant notre ère) traite du traînage de pierre, peut-être au cours de la construction du temple. En l’occurrence, ce traînage de pierres fut exécuté par un ensemble de merit sous l’autorité d’un dirigeant assisté par deux scribes-comptables. Dans le texte est d’ailleurs précisée en chiffres la quote-part des pierres à manœuvrer par les ouvriers-merit. Encore un texte qui mérite notre attention à plusieurs points de vue ; il provient d’une oasis si lointaine, celle de Dakhla (à quelque 400 km de la Vallée). Par là, le gouverneur de l’oasis, qui vivait vers la fin du 3e millénaire, fait savoir que certaines parties de sa sépulture ont été érigées en quelques mois seulement7. Il paraît certain cependant que la construction en fut achevée grâce au travail de quelques équipes-merit, que ce gouverneur – selon sa déclaration – détenait à titre privé dans son domaine. Le rôle joué par les merit dans la construction de bâtiments est mis davantage en valeur par une inscription provenant de la ville d’Abydos. L’auteur de l’inscription insiste sur le fait qu’il a ménagé ses équipes-merit à l’occasion de bâtir un certain édifice, dont il a fait élever des colonnes et des portails – et ce à côté de la fabrication d’un bateau8. Il est hors de doute cependant que ce sont les merit, se trouvant à la disposition de ce seigneur, qui en réalité ont effectué les travaux en question. Evidemment, c’est la raison pour laquelle cet homme éprouve une satisfaction particulière, en faisant état de sa bienveillance envers ses merit. En descendant dans le temps jusqu’à l’époque de l’Empire égyptien (grosso modo : deuxième moitié du 2e millénaire), on est frappé par le nombre de grands domaines qui avaient dans leurs services des groupes-merit. En parlent sans ambiguïté textes et images se trouvant sur les parois de temples ainsi que dans les tombeaux appartenant aux membres de la haute société. Nous nous contenterons d’en relever ici quelques échantillons. Vient en premier le roi Ramsès II (13e siècle avant notre ère) qui 6 W.C.HAYES Ostraca from Deir-el-Bahari, dans : The Journal of Egyptian Archaeology t. 46 (London 1960) p. 31 et pl. 9. 7 J.OSING et alii, Denkmäler der Oase Dachla – Aus dem Nachlass von A.Fakhry – Archäologische uploads/Geographie/ une-classe-ouvriere-en-egypte-pharaonique-les-merit.pdf
Documents similaires
-
20
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Nov 04, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1921MB