Daniel Lefèvre - Commentaires de poèmes Le commentaire qui suit est le résultat
Daniel Lefèvre - Commentaires de poèmes Le commentaire qui suit est le résultat du travail de Daniel Lefèvre avec ses élèves d'hypokhâgne du lycée Malherbe de Caen. Il est ici librement mis à la disposition des élèves de lycée, hypokhâgneux, étudiants et professeurs, pourvu que cet usage demeure dans le partage culturel gratuit, hors de toute pratique commerciale. Paul Valéry, Le Cimetière marin 1ère étude : genèse, méditation, procédés Le Cimetière Marin Ce toit tranquille, où marchent des colombes, Entre les pins palpite, entre les tombes; Midi le juste y compose de feux La mer, la mer, toujours recommencée O récompense après une pensée Qu'un long regard sur le calme des dieux ! Quel pur travail de fins éclairs consume Maint diamant d'imperceptible écume, Et quelle paix semble se concevoir ! Quand sur l'abîme un soleil se repose, Ouvrages purs d'une éternelle cause, Le temps scintille et le songe est savoir. Stable trésor, temple simple à Minerve, Masse de calme, et visible réserve, Eau sourcilleuse, Œil qui gardes en toi Tant de sommeil sous une voile de flamme, O mon silence ! ... Édifice dans l'âme, Mais comble d'or aux mille tuiles, Toit ! Temple du Temps, qu'un seul soupir résume, À ce point pur je monte et m'accoutume, Tout entouré de mon regard marin; Et comme aux dieux mon offrande suprême, La scintillation sereine sème Sur l'altitude un dédain souverain. Comme le fruit se fond en jouissance, Comme en délice il change son absence Dans une bouche où sa forme se meurt, Je hume ici ma future fumée, Et le ciel chante à l'âme consumée Le changement des rives en rumeur. Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change ! Après tant d'orgueil, après tant d'étrange Oisiveté, mais pleine de pouvoir, Je m'abandonne à ce brillant espace, Sur les maisons des morts mon ombre passe Qui m'apprivoise à son frêle mouvoir. L'âme exposée aux torches du solstice, Je te soutiens, admirable justice De la lumière aux armes sans pitié ! Je te tends pure à ta place première, Regarde-toi ! ... Mais rendre la lumière Suppose d'ombre une morne moitié. O pour moi seul, à moi seul, en moi-même, Auprès d'un cœur, aux sources du poème, Entre le vide et l'événement pur, J'attends l'écho de ma grandeur interne, Amère, sombre, et sonore citerne, Sonnant dans l'âme un creux toujours futur ! Sais-tu, fausse captive des feuillages, Golfe mangeur de ces maigres grillages, Sur mes yeux clos, secrets éblouissants, Quel corps me traîne à sa fin paresseuse, Quel front l'attire à cette terre osseuse? Une étincelle y pense à mes absents. Fermé, sacré, plein d'un feu sans matière, Fragment terrestre offert à la lumière, Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux, Composé d'or, de pierre et d'arbres sombres, Où tant de marbre est tremblant sur tant d'ombres; La mer fidèle y dort sur mes tombeaux ! Chienne splendide, écarte l'idolâtre ! Quand solitaire au sourire de pâtre, Je pais longtemps, moutons mystérieux, Le blanc troupeau de mes tranquilles tombes, Éloignes-en les prudentes colombes, Les songes vains, les anges curieux ! Ici venu, l'avenir est paresse. L'insecte net gratte la sécheresse; Tout est brûlé, défait, reçu dans l'air A je ne sais quelle sévère essence ... La vie est vaste, étant ivre d'absence, Et l'amertume est douce, et l'esprit clair. Les morts cachés sont bien dans cette terre Qui les réchauffe et sèche leur mystère. Midi là-haut, Midi sans mouvement En soi se pense et convient à soi-même Tête complète et parfait diadème, Je suis en toi le secret changement. Tu n'as que moi pour contenir tes craintes ! Mes repentirs, mes doutes, mes contraintes Sont le défaut de ton grand diamant ! ... Mais dans leur nuit toute lourde de marbres, Un peuple vague aux racines des arbres A pris déjà ton parti lentement. Ils ont fondu dans une absence épaisse, L'argile rouge a bu la blanche espèce, Le don de vivre a passé dans les fleurs ! Où sont des morts les phrases familières, L'art personnel, les âmes singulières? La larve file où se formaient les pleurs. Les cris aigus des filles chatouillées, Les yeux, les dents, les paupières mouillées, Le sein charmant qui joue avec le feu, Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent, Les derniers dons, les doigts qui les défendent, Tout va sous terre et rentre dans le jeu ! Et vous, grande âme, espérez-vous un songe Qui n'aura plus ces couleurs de mensonge Qu'aux yeux de chair l'onde et l'or font ici? Chanterez-vous quand serez vaporeuse? Allez ! Tout fuit ! Ma présence est poreuse, La sainte impatience meurt aussi ! Maigre immortalité noire et dorée, Consolatrice affreusement laurée, Qui de la mort fais un sein maternel, Le beau mensonge et la pieuse ruse ! Qui ne connaît, et qui ne les refuse, Ce crâne vide et ce rire éternel ! Pères profonds, têtes inhabitées, Qui sous le poids de tant de pelletées, Êtes la terre et confondez nos pas, Le vrai rongeur, le ver irréfutable N'est point pour vous qui dormez sous la table, Il vit de vie, il ne me quitte pas ! Amour, peut-être, ou de moi-même haine? Sa dent secrète est de moi si prochaine Que tous les noms lui peuvent convenir ! Qu'importe ! Il voit, il veut, il songe, il touche ! Ma chair lui plaît, et jusque sur ma couche, À ce vivant je vis d'appartenir ! Zénon ! Cruel Zénon ! Zénon d'Êlée ! M'as-tu percé de cette flèche ailée Qui vibre, vole, et qui ne vole pas ! Le son m'enfante et la flèche me tue ! Ah ! le soleil ... Quelle ombre de tortue Pour l'âme, Achille immobile à grands pas ! Non, non ! ... Debout ! Dans l'ère successive ! Brisez, mon corps, cette forme pensive ! Buvez, mon sein, la naissance du vent ! Une fraîcheur, de la mer exhalée, Me rend mon âme ... Ö puissance salée ! Courons à l'onde en rejaillir vivant. Oui ! grande mer de délires douée, Peau de panthère et chlamyde trouée, De mille et mille idoles du soleil, Hydre absolue, ivre de ta chair bleue, Qui te remords l'étincelante queue Dans un tumulte au silence pareil Le vent se lève ! ... il faut tenter de vivre ! L'air immense ouvre et referme mon livre, La vague en poudre ose jaillir des rocs ! Envolez-vous, pages tout éblouies ! Rompez, vagues ! Rompez d'eaux réjouies Ce toit tranquille où picoraient des focs ! Paul Valéry : Le Cimetière marin 1ère étude : genèse, méditation, procédés Contrebalance à lui tout seul tout le reste de l’œuvre → chef d’œuvre au sens artisanal et au sens littéraire du terme. Synthèse des qualités de Valéry, on y reconnaît les méditations habituelles, les procédés et les attitudes fondamentales de Valéry (cf. Valéry, Variété III : Au sujet du Cimetière). I. La genèse du Cimetière Cf. Variété III → œuvre en cours d'élaboration lorsque J. Rivière la déroba à l'auteur pour la publier à la NRF. A l'initial, « figure rythmique ». Faire la part de l'exagération joviale de Valéry → c'est un méridional. Également pudeur de l'intimité d'un écrivain. D'autre part, comprendre qu'autre chose est de sentir le besoin d'écrire un poème et autre chose de dire que le contenu du poème sera indifférent à l'auteur. Distinguer deux temps ┌ - L'idée première (forme décasyllabique) └ - Le contenu Il y a certes des moments où l'on écrit sans savoir où l'on va. Mais il est alors fatal qu'on écrive ses préoccupations les plus intimes. C'est justement lorsque le sujet n'est pas imposé, que l'on exprime le plus intime de soi-même. Distinguer la première chose qui pousse à écrire et ce qui est écrit. Le Cimetière est né du désir d'expérimenter une forme déterminée, mais aussi de la volonté de faire un poème, le poème où l'on se met tout entier. Valéry le gardera longtemps et ne le considère pas comme achevé, quand Rivière met un terme à ses hésitations. II. La signification humaine « Je savais que je m'orientais vers un monologue aussi personnel et aussi général que possible » : l'épigraphe de l’œuvre. Cf. le commentaire d'Alain : « Ici est le destin de l'Homme ». → Monologue dramatique, animé, qui repose sur des notions à la fois simples et générales, les notions de vie et de mort. Trois grands mouvements : A) L'éblouissement de midi (strophes 1-4) Cf. vers 1 et tous les vers où il n'y a qu'une apparence de l'instant. Cf. vers 12 : « Le temps scintille »... : l’apparence immédiate. Hypnose sensible de l'heure de midi. Éblouissement → le poète disparaît dans les sensations. Impression de vérité, de paix ou mieux : état qui fait dédaigner tout quête de la connaissance (cf. « dédain souverain »). B) La méditation sans issue (strophes 5-21) α) Impossibilité de rester dans l'hypnose sensible → Valéry se tourne vers le futur (« ma future fumée ») et semble se résigner à la pensée de uploads/Geographie/ valery-lecimetieremarin.pdf
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- Publié le Mar 09, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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